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Serge Utgé-Royo – La longue mémoire…

La longue mémoire… Une mémoire si longue – autant que sa carrière – qu’il faut bien à Serge Utgé-Royo ce dix-septième album de seize titres pour épancher sa soif d’humanité. Il en signe les textes, à l’exception de Ce mur n’est pas à vous, constitué de l’assemblage de deux pièces d’Eugène Bizeau. Léo Nissim, parfait compagnon de route, compose la plupart des musiques et dirige l’orchestre.

L’objet est beau, doté d’un livret généreux aux atours de florilège artistique, mêlant dessins, peintures choisies, photos et textes.

Chanteur « poélitique » et libertaire, Serge Utgé-Royo ne chante pas pour ne rien dire et porte haut la chanson d’opinion, celle que l’on dit en voie d’extinction – faire bouger les consciences ne serait plus dans l’air du temps ? Peut-être suffirait-il de regarder là où elle se trouve. Comment se faire entendre aujourd’hui quand les émissions de radio dédiées à la chanson n’existent plus sur le service public et qu’il faut aller les chercher sur Radio Libertaire, par exemple, un des derniers bastions à relayer la chanson de parole ?

C’est pourtant d’une voix paisible, fort d’une langue à la fois ouvragée et accessible, polie mais impertinente, que nous parle Utgé-Royo. Impertinente quand il faut l’être pour dire le destin de ces Petits étrangers, ces déracinés, comme lui ce fils d’exilés espagnols.

La longue mémoire… dit le lien fort à la vie, au bonheur du vivre-ensemble qui ne s’atteint que par la conviction, le combat de tous les instants. De toute une vie. Une vie d’utopie belle en diable.

David Desreumaux


Serge Utgé-Royo
La longue mémoire…
Noir coquelicot – 2019

Chronique parue dans le numéro 12 de la revue Hexagone.


 

Soan – 10 ans de cavale

Soan n’est pas un chanteur consensuel. Ses propos ou son humour sans filtre un peu borderline n’ont pas toujours été très bien reçus par les médias. De l’eau a passé sous les ponts et le temps passe vite : comme il ne fait rien comme les autres, il est temps pour lui de jeter un œil dans le rétroviseur après ses cinq albums en studio en dix ans de carrière. C’est le moment pour le Petit Prince en provenance de « La Nouvelle Star » de célébrer ses années de parcours en liberté, dans une tentative de réconciliation auprès de ses fans et des autres.

Avec ce best of, il revisite ses compositions à partir des versions voix-guitares d’origine réarrangées par Antoine Halet (Aston Villa, Amadou et Mariam). Soan propose ici ses plus beaux morceaux dans des versions réenregistrées : Emily, Parisiennes, Séquelles, Putain de ballerine, A tire d’aile, et d’autres plus récents comme Jupiter dans de nouveaux arrangements soignés, travaillés spécialement pour l’occasion. Sept chansons sont inédites dont A l’ancienne avec Tryo, tandis que le jeune guitariste Baptiste Ventadour qui l’accompagne sur scène lui offre Pacifier.

La poésie est intense et l’interprétation à fleur de peau dans une veine brélienne. L’énergie du désespoir et les textes introspectifs de ce fan d’Alain Bashung et de Têtes Raides démontrent l’influence persistante de Noir Désir et de Louise Attaque dans l’espace de la chanson française. Punk en diable, l’album est pensé pour les scènes de la tournée à venir.

Philippe Kapp


Soan
10 ans de cavale
One hot minute – 2019

Chronique parue dans le numéro 12 de la revue Hexagone.


 

Maud Octallinn – Sainte saucisse

Que voilà un bien étrange album, délicieusement barré aux confins de la chanson décalée et des spécialités culinaires pur porc ! Deux ans après un premier disque, celui-ci, gageons-le n’aurait pas dépareillé chez Boucherie Productions, ou tout du moins leur succursale Charcuterie Productions… À l’image de la pochette, voilà un opus où la dérision se prend follement au sérieux, à moins que ce ne soit l’inverse. Alors bien sûr, ces petites comptines grinçantes et gentiment fofolles ne sont pas à mettre entre les oreilles prudes de vos amis véganes. Ce disque nécessitera peut-être même plusieurs écoutes afin d’en savourer toute la substantifique moelle. La performance est probablement plus pertinente en scène, où la donzelle dévoile sans conteste toute la démesure de son original talent. Si on peut hésiter à l’écoute entre trouver le projet agaçant ou attachant, il n’empêche que le charme opère, emportés que nous sommes par la voix acidulée et haut perchée évoquant tour à tour les univers musicaux de Camille, Philippe Katerine, Cléa Vincent ou Léopoldine HH. Les titres Piano-saucisse-aligot ou bien encore Je suis une andouille permettent des arrangements à la hauteur de l’ambition de l’ensemble, rehaussés qu’ils sont d’une petite flûte à bec aigrelette ou d’un trombone chamarré. En bonus, une version décapante de Boire un petit coup et sa célèbre antienne : « J’aime le jambon et la saucisse. » Maud Octallinn, bientôt en tournée dans votre cuisine, en commençant bien sûr par Toulouse et Strasbourg.

Patrick Engel


Maud Octallinn
Sainte saucisse
Ratée productions – 2019

Chronique parue dans le numéro 12 de la revue Hexagone.


 

Keren Ann – Bleue

Bleue marque le grand retour en français de Keren Ann : un événement musical qui rappelle la sombre beauté et la richesse folk de La disparition, paru il y a plus de dix-huit ans.

Bleue est un album placé sous le signe de l’eau, cet élément vital à la fois rassurant et insaisissable. Keren Ann y chante « Le long fleuve où on envoie les fous », le bleu amer de Ton île prison, les bains de minuit métaphysiques (Nager la nuit), les abysses de la douleur (Sous l’eau), la quiétude marine des Jours heureux, sans oublier Bleu, qui à une lettre près donne son titre à l’album.

Le dernier opus de Keren Ann est une réelle odyssée musicale, pour reprendre un autre morceau de l’album (Odessa, odyssée). Mais ce voyage est aussi et surtout intérieur. Keren Ann, de sa voix délicate, parle d’abord et avant tout d’elle-même, de l’amour et de la vie à deux, évoquant tour à tour l’aliénation (Le fleuve doux), la beauté (Bleu), les séparations inévitables (Le goût était acide) ou impossibles (Nager la nuit), et finalement le bonheur des Jours heureux : « Ne vois-tu pas / Venir les jours heureux ? / Ils sont bien là / Et dire que l’on vivait sans eux / Jusque-là. »

Avec Le goût d’inachevé, Keren Ann propose également un étonnant et mordant duo avec David Byrne, ex-Talking Heads. Reprenant un célèbre dialogue entre Winston Churchill et Lady Astor, le duo chante avec une amertume non teintée d’humour les amours impossibles et l’art « de souffrir en secret » à deux : « Si j’étais votre femme / Je mettrais du poison dans votre verre / Si vous étiez ma femme / Je le boirais. »

Bruno Chiron


Keren Ann
Bleue
Polydor – 2019

Chronique parue dans le numéro 12 de la revue Hexagone.


 

Jean Mouchès et Alain Sourigues – L’Atelier de Réparation de Chansons

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Jean Mouchès et Alain Sourigues, deux artistes landais amateurs de jeux de mots et d’aphorismes, se sont associés pour créer l’ARC : l’Atelier de Réparation de Chansons. Au cours du spectacle, élaboré en commun, ils s’occupent à leur manière de l’entretien courant et de la remise sur pied de la chanson nécessiteuse. C’est original et jubilatoire, drôle et intelligent. Laissons-leur ensemble, au cours d’un entretien  d’avant concert, évoquer l’ARC.

L’ARC – Alain Sourigues – ©David Desreumaux – Photo non libre de droits. Utilisation interdite

Comment vous êtes-vous rencontrés  ? 
Alain Sourigues : On se connaît depuis longtemps, depuis les années 86 ou 87. J’étais fan de l’artiste Jean Mouchès avant de le connaître vraiment. Ensuite, j’ai commencé à chanter, j’ai fait une première partie de Jean, nous sommes devenus copains puis amis.

Et comment en êtes-vous venus à l’ARC ?
Jean Mouchès : Lors de cette première partie d’Alain j’avais été tout à fait séduit. Et depuis nous n’avons pas raté une occasion de jouer ensemble quand cela se présentait même si nous suivions chacun notre route. Un spectacle m’a été proposé dans un village landais avec comme principe de faire des duos. Avec Alain on a travaillé sur l’adaptation en langue des signes d’Amsterdam. Cela a plu tout de suite. Ce sera la première chanson et le germe du spectacle de l’ARC. A partir de là, le spectacle s’est construit avec cette idée que l’on réparait des chansons. Le spectacle est né il y a quatre ans, il existe sous une forme chantable et stable, sur une durée correcte, depuis deux trois ans.

Quel était votre objectif avec ce spectacle ?
Alain : L’objectif c’était déconner !

Jean : Franchement ? S’amuser.  C’est une cour de récréation. Un espace de liberté

Quand on écoute vos répertoires personnels, on ressent que l’humour, sous une forme différente, est important ?
Alain : Oui, même si nous sommes différents dans l’écriture, nous avons un fonds commun, un goût pour l’humour, pour la dérision, pour le pastiche.

Jean : Pour ce qui est iconoclaste, l’Oulipo, pour une façon de travailler qui déclenche la créativité en s’amusant.

Une volonté de faire rire, mais pas à tout prix ?
Alain : Comme Amsterdam avait bien marché, nous sommes partis dans cette direction de faire rire. Mais avec un certain niveau d’exigence.

Jean : Nous nous sommes dit qu’on ne voulait jamais tomber trop bas. On veut jouer sur toute la gamme d’humour possible, en évitant le bas de gamme. On essaie d’avoir de l’humour visuel, immédiat. On ne se prive pas de faire simple si cela reste digne.

L’ARC – Jean Mouchès – ©David Desreumaux – Photo non libre de droits. Utilisation interdite

Même si votre spectacle déclenche un enthousiasme important, certains ont pu être « choqués » par votre « réparation » de l’Aigle Noir de Barbara…
Alain : Tous les goûts sont dans la nature, et on peut ne pas aimer. Nous, suivant une des expressions favorites de Jean, « on met des moustaches à la Joconde ». On fait du pastiche, de la parodie. Mais cela suppose un respect de l’oeuvre initiale.

Jean : Quel intérêt d’aller abîmer une chanson que personne ne connaît ou ne respecte ? Nous sommes « fans » de Barbara, Brassens, des artistes que l’on asticote. Si l’on abîme ou si l’on essaie de réparer lamentablement leurs chansons, c’est parce qu’on les connait et qu’on les aime.

Vous pratiquez également, ce que j’avais découvert avec Raymond Devos, une sorte de fil rouge avec un gag utilisé au début du spectacle et qui revient plusieurs fois, créant ainsi une connivence avec le public.
Alain : Oui une sorte de « running gag » pour parler français. Sur Les merveilles et l’Autobus S. cela s’est construit petit à petit. Cela donne un fil rouge, un jalon, un ressort comique où les gens se rendent compte que la chute ramène au début du spectacle.

Jean : C’est la caractéristique d’un spectacle écrit, de l’ordre du théâtral avec un scénario. Ce n’est pas un récital.

Et la répartition des rôles entre vous, elle s’est faite comment ?
Alain : Cela s’est fait naturellement. Sans préméditation.

Jean : J’ai forcé ma nature car il a fallu se mettre un peu au niveau de cet escogriffe d’Alain qui bouge, qui danse, qui saute. Je suis beaucoup plus discret. Cela donne aussi un effet clown blanc et Auguste.

L’ARC – Alain Sourigues & Jean Mouchès – ©David Desreumaux – Photo non libre de droits. Utilisation interdite

Qu’avez-vous envie d’ajouter pour finir ?
Jean : Oh juste que ce spectacle-là m’a redonné une envie de la scène, un élan que j’avais perdu. Et aussi, qu’hier on jouait dans un petit lieu avec un public vraiment de 7 à 77 ans, des enfants et des adolescents, ce qui n’est pas souvent le cas en chanson française. Le spectacle a bien fonctionné. Ensuite, en parlant avec des 15-25 ans, nous avons été surpris par leur appétence, leur goût pour la chanson à texte. L’Atelier de Réparation de Chanson peut aussi être une porte d’entrée.

Alain : C’est une entrée, un peu faussée car nous triturons les chansons. Mais cela peut donner envie d’aller voir la source, les originaux.


L’ARC – Atelier de Réparation de Chansons – Mouchès et Sourigues – Propos recueillis en mai 2109 au Festival Dimey


Angèle Osinski – A l’évidence

Amour et décadence, quel alléchant programme que celui qui nous est proposé ici ! À l’évidence, cet album en apesanteur déboule avec Fraca !!! comme un chien dans un jeu de filles pour déboussoler nos certitudes et tournebouler nos habitudes. Avec Angèle, moins de chapelles, plus de passerelles… À l’image sans doute de ce que devrait être la chanson actuelle si elle sortait un peu plus de certaines routines, cet opus brille d’une sombre lumière opaline, nous offrant une épiphanie inspirée, des textes travaillés et parfois délicieusement ambigus… Comme Angèle le chante si bien : « Je veux seulement vous plaire / Ne pas vous rencontrer / Faire trois pas en arrière / Et deux pas de côté » (Ne pas vous rencontrer). Un album à l’image du contraste entre la douceur de son prénom, et son nom qui claque comme un coup de fouet. Hiératique, envoûtante et hypnotique, la voix éthérée se faufile en volutes sinueuses et sensuelles, se faisant tour à tour grave ou claire, c’est selon. Comme par exemple dans l’emblématique Bleu piscine avec Skye à la batterie, titre aussi gainsbourien qu’adjanesque – ou comment dire beaucoup avec finalement assez peu de choses en apparence.  Entre claviers et machines, notons des arrangements vraiment recherchés et une réalisation impeccable, celle de Katel herself aux manettes. On pourra s’interroger longuement à propos du sexe des anges, mais une chose est sûre : leur voix quant à elle a bien été capturée entre un nuage et un arc-en-ciel dans cette délicieuse galette. Aussitôt incités, osez, osez Osinski !

Patrick Engel


Angèle Osinski
A l’évidence
Fraca!!! – 2019

Chronique parue dans le numéro 12 de la revue Hexagone.


 

Thomas Breinert – Lupanar chic

Lupanar chic est un album rock classieux proposé par Thomas Breinert. Auteur-compositeur-interprète de treize des chansons qui le composent, il reprend élégamment, pour la quatorzième, L’eau à la bouche de Serge Gainsbourg.

Dans cet opus, les femmes sont omniprésentes : Anna, Venus ou encore Valentine. Thomas Breinert leur rend hommage au travers de textes profonds, drôles et bien ficelés. Dans Toxique, c’est la femme envoûtante, sensuelle et un peu sorcière, la femme paradoxale. L’infirmière de Frankenstein, chant d’amour aux sonorités électro pour Alice qui le soigne, donne lieu à un duo avec Vincent Delerm, ancien compère au sein du trio Tristes Sires.

On retrouve dans cet album des intonations proches de celles de Bashung, et on n’a aucun mal à se projeter dans une ambiance enfumée, verre à la main, pour écouter ce Lupanar chic qui déroule une succession de morceaux dansants et mélancoliques. Les styles musicaux se croisent – et se chevauchent aussi parfois –, Thomas Breinert s’appropriant chacun pour le faire sien. Il raconte des histoires universelles écrites de manière poétique, avec une certaine distinction. Même lorsqu’il se fait plus piquant, égratignant les femmes intéressées (Kopeck), Thomas Breinert garde cette image de dandy. Le mélancolique Vagabonds ajoute une touche d’émotion, par ses interrogations universelles sur la condition humaine.

Lupanar chic donne simplement envie de poursuivre l’écoute en version concert, afin de voir cet album prendre toute sa consistance dans sa dimension rock.

Malorie d’Emmanuele


Thomas Breinert
Lupanar chic
Klousky & co – 2019

Chronique parue dans le numéro 12 de la revue Hexagone.