Entretien au long cours avec Imbert Imbert : une vie, un métier et une contrebasse !

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Imbert Imbert était de passage à Lyon le 6 juin dernier, invité par Meedy Sigot, l’enthousiaste organisateur du festival « La Grande Côte en solitaire », un festival de l’art vivant en solo assez unique en France. Une soirée du festival était consacrée à la contrebasse, l’instrument essentiel de notre artiste. Hexagone a saisi l’occasion pour aller l’interroger sur son parcours et son répertoire. Un entretien passionnant avec un artiste hors norme sur scène et d’une grande simplicité en dehors.

Photo Anna Mano
Photo Anna Mano

Hexagone : Comment as-tu débuté sous le nom d’Imbert Imbert ?
Imbert Imbert : Mon premier album date de 2007 et c’est en 2008 que j’ai obtenu le premier prix à Le Mans Cité Chanson. Cette année là a été terrible : j’ai eu le prix des Francofolies de La Rochelle, puis le coup de coeur de la FNAC au Printemps de Bourges. A Montauban, pour « Alors Chante », j’ai reçu le prix du public et celui des professionnels. C’était vraiment une année incroyable, un truc de dingue ! Ensuite en 2010, pour le deuxième album, je n’étais plus considéré comme une « découverte » et ça a été beaucoup plus difficile. Depuis, ça va, je vis, mais ça n’est plus la fête comme en 2008.

Hexagone : Tu as quand même eu une critique dans Télérama.
Imbert Imbert : C’est vrai j’ai eu Télérama. Et beaucoup de professionnels me respectent et me soutiennent. Avec les radios nationales c’est beaucoup plus difficile, à l’inverse des radios locales. Je pense que les gens qui me connaissent savent que je ne me fous pas de leur gueule et que c’est un travail sérieux que je propose.

Hexagone : Tu as commencé la musique tout de suite avec la contrebasse ?
Imbert Imbert : J’ai commencé par le piano entre 6 et 13 ans avec une prof très gentille que j’aimais beaucoup. Je me suis mis à la basse électrique vers 13 ou 14 ans et à la contrebasse à 16 ans. J’ai arrêté l’école en seconde à 17 ans après avoir redoublé plusieurs fois. A partir de là je me suis consacré vraiment à la contrebasse. Pendant 5 ans j’y ai passé 24 heures sur 24. À Montpellier, dont je suis originaire, je travaillais le classique au conservatoire et le jazz au JAM (Jazz Action Montpellier).

Hexagone : Et pourquoi la contrebasse ?
Imbert Imbert : Parce que c’est magnifique. Parce que c’était rare aussi et que j’aime bien faire mon intéressant. J’aime bien qu’on me remarque quand je me promène dans la rue, en sueur, dans la Grande Côte de la Croix-Rousse à Lyon !!!!

Hexagone : La musique classique, ça ne t’a pas intéressé ?
Imbert Imbert  : Je venais plutôt du rock et du jazz et je suis tombé sur un bonhomme qui s’appelle Bruno Chevillon. C’est un grand contrebassiste de jazz que j’ai dû voir pour la première fois avec Marc Ducret et Daniel Humair quand j’avais 15 ans. J’ai été frappé par le bonhomme. A 20 ans, je travaillais comme un malade au conservatoire et il y avait un stage « contrebasse solo et impro libre » avec Bruno Chevillon. J’y suis allé et j’ai passé deux jours avec lui. Ca a été terrible : il m’a retourné comme une crêpe. A cette occasion je l’ai vu dans un solo qui s’appelait « Pasolini ou la rage sublime » où il lisait du Pasolini en même temps qu’il improvisait des trucs improbables à la contrebasse.
Après ça, j’ai continué à travailler mon instrument et à faire ma petite vie de musicien. En 2005 j’ai fait ma première maquette sous le nom d’Imbert Imbert. J’avais laissé un message à Chevillon sur My Space « merci de m’avoir ouvert les yeux » et il m’a répondu « j’adore ton disque »

Hexagone : Entre temps tu avais joué dans plusieurs groupes ?
Imbert Imbert : A Montpellier j’avais fait pas mal de musette. Harmoniquement parlant c’est une super école. Si tu sais jouer le musette et le blues…. tu as toutes les bases. Le jazz complique un peu tout ça mais les fondamentaux sont dans le musette et le blues. Je suis monté à Paris en 2003 et c’est là que je suis rentré dans le Jim Murple Memorial, un groupe de rhythm and blues assez connu. Je suis devenu intermittent et j’ai connu vraiment le métier de musicien. Jim Murple aimait surtout le reggae et le rock steady. J’ai tourné un an avec eux, ce qui a été très instructif mais je n’étais pas vraiment le musicien qui leur convenait. Mon idole c’était Bruno Chevillon qui fait de la musique contemporaine, du jazz improvisé juste à l’opposé de ce que faisais Jim Purple.

Photo Thibaut Derien
Photo Thibaut Derien

Hexagone : Et à quel moment t’es-tu mis à l’écriture ?
Imbert Imbert : J’avais écrit des lettres d’amour… je pense que l’amour a fait beaucoup pour la poésie et pour l’écriture en général. Ca a fait couler de l’encre. J’ai commencé comme ça. Après quoi, à 18 ans, j’ai écrit une chanson d’amour pour ma maman pour lui dire merci de m’avoir laissé grandir tout seul. L’écriture de chansons a vraiment démarré après une rupture amoureuse.

Hexagone : Et ton permier album, ça a été un gros boulot pour le sortir ?
Imbert Imbert  : Oui, ça a été un gros boulot. J’avais commencé à écrire des chansons en arrivant à Paris en 2003/2004. J’étais un peu désespéré. Je n’avais même pas l’idée d’accompagner ces chansons à la contrebasse. En 2005 j’ai du faire la première partie de De Rien, le groupe de Thibaut Derien. Je m’étais retrouvé en résidence avec De Rien pour leur nouveau spectacle et pour mon nouvel album. J’avais prévu de faire leur première partie en m’accompagnant à la guitare car j’avais écrit mes chansons en m’accompagnant à la guitare ou au piano. Le metteur en scène qui nous faisait travailler m’a demandé de lui chanter une chanson. Je me suis donc accompagné à la guitare…  et il m’a pris la tête pendant deux heures. Le lendemain je lui ai chanté la seule chanson que j’avais prévu de faire avec la contrebasse. La larme à l’oeil il me dit alors « là je n’ai rien à dire ». Du coup j’ai décidé de reprendre toutes les chansons pour la contrebasse. Il me restait 15 jours pour le faire avant le spectacle. Voilà c’est comme ça que ça a démarré.
J’ai beaucoup travaillé la contrebasse parce que je voulais devenir le plus grand contrebassiste du monde… et puis je me suis rendu compte que ça n’était pas l’essentiel dans la vie de devenir le plus grand contrebassiste du monde. Au départ l’écriture des chansons était donc séparée de la contrebasse. Et à un moment donné ça s’est assemblé, un peu par hasard, et ça s’est avéré être une évidence.

Hexagone : Ce que tu racontes dans tes chansons, c’est vraiment ce que tu penses  et ce que tu vis?
Imbert Imbert : Ce que je pense oui, mais ce que je vis pas forcément. Quand je chante une chanson d’amour il faut que je puisse dire des choses atroces sans que la personne concernée ne se sente visée. Il faut que je puisse être détaché de ce que je raconte. Mais ça peut être une histoire qui s’est passée il y a dix ans ou une autre qui se passera dans dix ans.

Hexagone : Ta chanson Sexe, drogue et girolles, c’est tout un programme ?
Imbert Imbert : Au départ j’ai trouvé ces mots et je me suis demandé ce que je pouvais mettre autour de ça. Et ça m’a paru évident que le mec finissait en prison. Et s’il est en prison, c’est qu’il n’était pas bien à l’école. Moi, effectivement, je n’étais pas bien à l’école. Et donc ça parle beaucoup de l’école et du cursus dans la vie. La chanson parle de moi mais elle se finit en prison et je n’ai jamais été en prison. Je n’ai jamais dealé de LSD…. même si j’ai aimé ça quelque fois.

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Photo Anna Mano

Hexagone : Cette chanson me rappelle très clairement les années de l’après 68 que tu n’as pourtant pas connues.
Imbert Imbert : Je ne les ai pas connues mais un peu quand même à travers mes parents. Ils ont pris une maison en ruines à côté de Montpellier et ils l’ont retapée. A leur façon ce sont un peu d’anciens soixante-huitards. Je les ai vus quelques fois fumer des joints…. Mais je ne leur ai pas posé plus de questions que ça et après j’ai fait mon expérience personnelle. Ce sont des parents qui se sont très bien occupé de moi, qui m’ont porté tout en me laissant libre. 68 c’était aussi un combat pour la liberté. Ils m’ont donc éduqué dans cette idée-là.
Après j’étais très mal à l’aise à l’école. Je n’étais vraiment pas dans mon élément. Et ça, mes parents l’ont compris. Quand j’ai voulu arrêter l’école, ils n’étaient vraiment pas d’accord. Mais c’est la première fois que je me suis mis à travailler quand j’ai commencé la contrebasse. Je me suis alors rendu compte que je pouvais peut-etre devenir musicien… je n’avais pas le choix en fait.

Hexagone : Et qu’est ce que tes parents pensent de tes chansons ?
Imbert Imbert : Je crois qu’ils sont fans. Lors de mon premier concert en première partie de De Rien, ils sont montés à Paris sans que je le sache. Ils ont même réussi à joindre la régie de la salle où j’allais jouer au Zébre de Belleville pour leur dire qu’ils allaient arriver avec un quart d’heure de retard. Ils ont obtenu que le concert soit décalé d’un quart d’heure. On m’a annoncé ce retard sans me donner la cause réelle. J’ai fait ensuite mon concert et à la fin de la première partie j’ai entendu une voix qui m’interpellait de la salle. C’était mon père qui se léve. Silence dans la salle. « Oui je voulais dire que quand il avait 17 ans j’ai voulu l’empêcher d’arrêter l’école… et aujourd’hui je me flagellerais d’avoir fait ça ». C’était incroyable. Il était soixante-huitard et il avait fait plein d’études. Mais être soixante-huitard c’est bien aussi être un jour contre ses parents. Mais c’est aussi une histoire de développement personnel. Un jour ou l’autre il faut choisir sa vie.

Hexagone : Il y a beaucoup d’idées anarchistes dans tes chansons. Tu les connais les anars ?
Imbert Imbert : Oui, je les connais. Mais comme les vrais anars qui ne veulent même pas se dire anar, je ne veux pas me laisser enfermer dans une catégorie musicale. Me dire anarchiste c’est me catégoriser et ça, je ne veux pas. Je suis pour la liberté, pour l’autonomie et pour l’utopie d’une humanité meilleure que ce qu’elle est. Et ça serait mieux si on arrivait à se passer des pouvoirs. Mais c’est plus compliqué que ça en a l’air. De mon côté j’essaie d’être le plus autonome possible, de causer le moins de soucis possible à mon voisin.
J’habite une partie du temps dans une usine du Tarn dans un collectif composé de pas mal d’anarchistes qui ne se revendiquent pas comme tel mais le vivent. A 10 on a acheté une usine qu’on retape avec des ateliers pour les artistes ainsi que nos habitations. Et depuis peu on a pris aussi un logement à Bruxelles où je passe un tiers de mon temps, l’autre tiers se passe dans le Tarn et le dernier tiers en tournée. Bruxelles c’était un phantasme pour moi et ma chérie et c’est vraiment sympa comme ville. Dans le nord les gens sont hyper sympas. On y rencontre plein de gens étonnants et il y a un bon vivier alternatif ou underground. Et en même temps c’est à 1 heure 20 en train de Paris, ce qui est bien pratique pour les tournées.

Photo Jean-Luc Clercq Roques
Photo Jean-Luc Clercq Roques

Hexagone : Et qui s’occupe de tes tournées ?
Imbert Imbert : j’ai travaillé un moment avec Caravelle mais ils ont mis la clef sous la porte. C’est officiel depuis 2 jours : je vais travailler avec Dany Lapointe, la petite fille de Boby Lapointe. Elle s’occupe de Printival, le festival de Pézenas. En 2012, elle a monté un spectacle autour de Boby Lapointe avec Marie Aumoine, la directrice artistique de Chantons sous les Pins. Elle m’a appelé pour participer à ce projet où j’ai chanté Ca va ça vient, une chanson que je me suis vraiment appropriée et Petit homme qui vit d’espoir, une chanson très belle et beaucoup moins connue. Leur idée de départ était de faire 2 concerts et puis finalement on en a peut-être fait 150. On s’est vraiment régalé et c’est comme ça que j’ai mieux connu Dany. Elle est manager de Dimoné : je lui ai donc demandé récemment de s’occuper de moi et elle a accepté.

Hexagone : Tu viens à Lyon pour un spectacle en solo. Mais tu travailles aussi avec d’autres musiciens ?
Imbert Imbert : J’ai fait une tournée en duo avec un batteur qui s’appelait Frédéric Jean. Pour le troisième album j’ai essayé de tourner avec Bruno Chevillon. On s’est éclatés ensemble mais comme il est très pris, c’est une star du jazz moderne, François Pierron qui accompagne Loïc Lantoine l’a remplacé. Et puis là je suis tombé sur Stephen Harrison qui accompagne Sarah Olivier, un musicien vraiment disponible. Il est merveilleux : c’est un anglais complètement charismatique qui vient du rock. En même temps c’est un personnage complètement opposé au mien. On se régale et on rigole à fond. Il donne beaucoup de légèreté à mes chansons et à mes spectacles. Ca fait très longtemps que je superpose les contrebasses dans mes enregistrements et je continue comme ça à le faire avec lui. Si ça ne coûtait pas aussi cher, si je pouvais faire un spectacle avec 3 ou 4 contrebasses, je le ferais.

Hexagone : Et Bruno chevillon, il a beaucoup participé à ton 3ème album ?
Imbert Imbert : Oui quand même. J’ai beaucoup préparé à l’avance. Il est venu 3 jours à l’usine dans le Tarn. La base était posée. Il a travaillé comme un peintre en rajoutant des sons et c’était magnifique. Avec Stephen Harrison on s’imbrique beaucoup plus. Sur une chanson j’ai fait appel à un musicien qui m’a fait un arrangement de cuivres et de conques, le coquillage ! Ca donne une chanson un peu exceptionnelle qui se distingue de l’ensemble.
Je suis en train de préparer maintenant le 4ème album et au lieu de faire des empilements de contrebasses comme je le fais habituellement, je voudrais faire quelque chose de beaucoup plus « live ». Stephen sera des nôtres. Grégoire Gensse qui joue du piano et de la trompette avec le cirque Plume sera là aussi. C’est un jeune homme de 29 ans qui a beaucoup d’avenir. Il y aura aussi Denis Charolles, un batteur assez incroyable. On va passer du temps à répéter ensemble, ce que je n’ai encore jamais fait. J’ai vraiment envie d’enregistrer live ce qui est vraiment exceptionnel pour moi.

Photo Anna Mano
Photo Anna Mano

Hexagone : Il est déjà très avancé cet album ?
Imbert Imbert : J’ai déjà 13 chansons… que je trouve toutes bien. Il y en aura peut-être 12 ou 14. On verra. Comme on dit, ce sera l’album de la maturité… pour la troisième fois. Je me suis pas mal détendu. J’aurai quelques chansons qui font chanter les gens comme je le fais grâce aux accords majeurs de Sois mort et tais toi dont les paroles sont pourtant très dures. Quand j’écris des chansons, je les chante le plus vite possible sur scène et, quand elles marchent, je les garde et je finis par les enregistrer. Après, à la sortie de l’album, je suis bien sûr obligé de les chanter un petit moment.

Hexagone : est-ce que les salles dans les quelles tu chantes sont de plus en plus grandes ?
Imbert Imbert : Non, c’est assez stable. Je chante dans de grands centres culturels comme dans des petits bars. Ce que je fais est assez intimiste. Je fais ma petite route et les gens qui viennent m’écouter sont en général contents et reviennent. Mais, en terme de communication, j’ai des progrès à faire sûrement. Quand j’ai été une « découverte » avec le premier album, j’ai pu aller partout pendant 3 ans. Avec le deuxième album je n’étais plus une découverte. Et c’était très différent et ça n’était plus la folie médiatique du 1er. Le 3ème album je l’ai fait tout seul sans manager, sans attaché de presse… mais bon j’ai un peu de mal avec les attachés de presse ! Bien sûr il ya aussi « L’autre distribution » qui s’occupe de mes disques. Ils tiennent le choc dans un métier difficile. On a besoin d’eux car Deezer ne rapporte rien. Mais c’est avec la scène que je gagne ma vie. J’adore pourtant le travail en studio pour sortir un album.


Un prochain concert d’Imbert Imbert : le 21 aout à Verfeil sur Seye (82)

Photo de une : Thibaud Derien

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