Louis-Noël Bobey, capital de l’enfance

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Je n’ai pas encore fini de te parler du festival Détours de Chant. Celui-ci avait invité le 5 février Louis-Noël Bobey pour les Coups de pousses. Conteur des temps modernes, en chansons ou slams aux belles trouvailles textuelles, Bobey brosse les portraits de gens ou d’endroits. De ce bonhomme, qui utilise parfois le patois bressan, se dégage de l’humanité et du naturel. Sourire aux lèvres, toujours à l’écoute du moment présent, je ne l’ai pas encore vu donné deux concerts semblables. Hexagone a déjà chroniqué son concert au festival d’Avignon l’été dernier, son passage Chez ta mère et sa venue aux auditions Chantons sous les toits en novembre dernier. J’ai donc profité de son nouveau passage toulousain pour évoquer avec lui son parcours. L’entretien a eu lieu dans un appartement, entre une bonne soupe et un verre de rhum arrangé (merci Micheline 1). Je ne peux pas te retranscrire les nombreux éclats de rire, les moments de réflexion, les moments sans parole à… déguster la soupe. Et c’est bien dommage ! Comme dans ses concerts, un beau moment d’échange et de naturel. 

Photo Michel Gallas
Photo Michel Gallas

Hexagone : Comment se retrouve-t-on à chanter et à raconter des histoires devant des gens ? 
Louis Noël Bobey : A chaque réunion de famille dans le Jura, mariage ou enterrement, mes oncles et tantes chantaient, racontaient des histoires, faisaient des sketchs ; tout est de leur faute ! Tu me dis que mes concerts sont originaux mais d’une certaine manière, je réinvestis beaucoup ce capital de l’enfance. J’ai aussi eu la chance d’avoir un père qui me chantait Le loup, la biche et le chevalier et m’inventait des histoires rocambolesques de « petit bonhomme » avant de faire dodo. J’ai aussi été marqué bien plus tard par un concert de Julos Beaucarne, à Marseille. Sa façon de faire m’a interpellé : il chantait, il racontait, il «dansait » ; j’en ai sans doute gardé le caractère protéiforme et le goût d’une poésie gentiment surréaliste.

Hexagone : Et tu as chanté où la première fois ?
Louis Noël Bobey : C’était au Courant d’Air Café, génial petit lieu associatif marseillais où j’étais bénévole. Je chantais en m’accompagnant au piano, c’était vraiment pas terrible ! Quand ils voulaient fermer le bar, on me disait « Louis mets-toi au piano » plutôt que de dire aux clients « on va fermer » et les gens partaient d’eux-mêmes ! J’exagère à peine. Mais l’adversité cela peut motiver, ça a été le cas : « Ah, vous ne voulez pas m’écouter, vous allez voir ! »

Hexagone : On saute quelques années. L’été dernier à Avignon, tu chantais sans micro. Les auditions Chantons sous les toits, en Novembre c’était sans sono. Tu préfères cela ? 
Louis Noël Bobey : Je n’aime pas chanter dans un micro (je ne comprends pas qu’on utilise encore ce machin préhistorique qui sonne mal et nous mange la face). Pour Chantons sous les toits je vais aller faire cinq dates chez les gens avec des jauges de maxi 70 personnes, cela me va très bien. J’ai appris à projeter ma voix en chantant dans la rue, j’y trouve plus de plaisir et aussi plus de liberté de mouvements.

Hexagone : Il me semble que tu n’aimes pas la routine. Ce soir aux Coups de pousse tu devais être en solo, et tu as appelé ce matin un vibraphoniste pour t’accompagner. L’été dernier, tu as joué en trio à Genève alors que, habitant des villes différentes vous n’aviez pas répété avant. Tu aimes la prise de risque ? 
Louis Noël Bobey : Ce n’est pas une prise de risques. Au contraire, ce genre de situation me motive ! J’aime me garder une part d’inconnu dans les concerts. A Genève, avec Guillaume Viala (vibraphone) et Youssef Ghazzal (contrebasse), on a répété ensemble pour la première fois la veille : ils ont dû intégrer treize morceaux en une journée. Le concert avait lieu le lendemain au lever du soleil, sur le lac. Et tout s’est très bien passé. Ce soir, je vais faire, en fin de concert, des morceaux inédits sur scène, dont une chanson que je connais à peine.

Photo Michel Gallas
Photo Michel Gallas

Hexagone : Comment tu construis ton concert ?
Louis Noël Bobey : 
A la manière de ceux que j’aime entendre : j’aime qu’un concert nous balade dans des ambiances différentes et ménage des surprises, dans l’écriture et les musiques, à l’image de l’imprévu, du chaos de nos quotidiens. Je prends l’exemple d’une matinée, tout peut y être tellement chaotique : tu te réveilles d’un rêve hallucinant, puis moment calme tu prends le café avec ton amie, tu jettes un œil au journal, le temps de plonger dans le sordide, et d’en ressortir la tête en pensant à ton rendez-vous chez le dentiste, t’entends à la radio un air qui te rappelle ton premier amour, puis dans la rue tu croises une voisine qui te raconte sa soirée loto du quartier entre jambons de pays et paniers garnis ; tu traverses en ne faisant pas attention et tu  percutes une voiture… Largement de quoi alimenter tout un concert en émotions, en couleurs,  diverses et variées.

Hexagone :  J’ai l’impression qu’à chaque fois que je te vois en concert, et ce soir ce sera mon cinquième, tu as un instrument de plus …   
Louis Noël Bobey : Ca dépend des jours et du nombre de bras ! Pour ce soir, en plus de la guitare, j’ai amené la kalimba, le toy piano et le djembé ; d’autres fois ce sera le banjo, le clavier. J’aime les matières sonores, tous azimuts ! Puis j’ai très envie de rejouer avec d’autres, en groupe : on se régale à jouer avec Guillaume au vibraphone et Youssef à la contrebasse, ça élargit pas mal le spectre sonore !

Hexagone : Dans ton spectacle solo, tu as beaucoup de portraits de gens, d’endroits où tu as vécu. Mais il me semble que tes derniers textes sont plus poétiques, surréalistes ou inspirés de l’écriture automatique ?
Louis Noël Bobey : 
J’écris souvent d’un jet, ce qui me passe par la tête. L’écriture y surgit souvent plus imagée, plus riche, plus dense. Avec ce style d’écriture, tu peux faire des sorties de route, tu passes à travers champs, tu sautes le fossé ! Cela crée des sensations que tu n’aurais pas en suivant la ligne blanche du mode d’écriture que l’on t’a appris. C’est une aventure, et et j’y prends bien du plaisir ! D’ailleurs ce soir je vais dire deux textes écrits comme cela.

Hexagone : A part le solo et le trio, tu joues dans d’autres formations ? Tu es intéressé par d’autres sonorités ? 

Photo Michel Gallas
Photo Michel Gallas

Louis Noël Bobey : J’ai joué du cor d’harmonie, entre autres avec l’orchestre arménien Sassoun, du piano, et beaucoup de musique classique. Des musiques traditionnelles aussi, un peu par hasard : un jour j’ai rencontré sur le marché une charmante suédoise ; elle m’a dit qu’elle jouait de la musique traditionnelle. « Ca alors, j’ai toujours rêvé d’apprendre à jouer la musique suédoise, est-ce que… »  et ça a marché ! Elle m’a appris la polska et on est sortis ensemble. En ce moment je joue d’ailleurs dans un trio de musiques trad’, Les Patassons, et on anime régulièrement des bals-folk.

Hexagone : C’est assez éloigné de ce que tu fais en solo ? 
Louis Noël Bobey : Sûr, mais j’ai besoin de côtoyer des milieux différents : classique, folk, rappeurs, … Cela me rafraîchit les idées de passer d’un univers à un autre. Je bosse par exemple sur des textes pour ce répertoire de musiques trads’, et on a un projet d’enregistrement avec un ami dj techno.

Hexagone : Et l’avenir ? As-tu une envie d’album, une envie de concerts à trois ?
Louis Noël Bobey : Je viens de commencer à enregistrer près d’Avignon, une trentaine de titres et j’y joindrai peut-être un livret avec quelques textes non enregistrés. C’est une façon de rassembler des titres récents et plus anciens pour mieux tourner la page. Un ami m’a dit « Quand tu enregistres, cela te libère et t’emmènes vers autre chose, cela t’aide à créer différemment. » J’ai aussi envie de privilégier à l’avenir les concerts avec le groupe (Bobey & Co), histoire de partager les bières et aussi pour donner plus de place à la musique.

Hexagone : Et ensuite, que peut-il y avoir sur le verso de la page tournée? 
Louis Noël Bobey : Autre chose, comme faire un peu moins de concerts, et animer plus d’ateliers d’écriture et de chorale. C’est ce que je fais, en ce moment, avec des enfants dans le cadre de deux projets dont un projet d’orchestre à l’école.

Hexagone : Est-ce lié à une certaine lassitude ? 
Louis Noël Bobey : Je fatigue un peu de tout faire (chercher des dates, faire ma communication, tenir mon site). Tu passes beaucoup de temps au téléphone, sur internet, et toujours pour parler de toi. C’est un coup à se chopper de l’égocentrite aigüe ! Le gars qui soude sur un bateau, il n’y a pas de journaliste qui vient le voir et dire ensuite « Oh qu’il soude bien, revenez le voir souder demain. »  Se « mettre en scène », c’est un peu bizarre quand même ! Et puis la musique ça peut se vivre très simplement, sans coups de fil et sans agent, sans technicien lumière et sans billetterie. Tu prends ton instrument, tu descends jouer dans la rue ou sur le port, comme cela m’est arrivé à Marseille, pour les gens et pour les mouettes. Et tu n’as de compte à rendre à personne.

Hexagone : Ma question Hexagonale rituelle : quels sont tes goûts en chanson ?

Photo Michel Gallas
Photo Michel Gallas

Louis Noël Bobey : A l’adolescence, j’écoutais autant Olivier Messiaen que Vanessa Paradis dont j’étais tombé amoureux, et aussi des musiques de l’est et arméniennes sur les vinyles maternels. Et côté chanson, ce que mon père écoutait : Nougaro, Ferrat et Bill Deraime : ce sont des « madeleines » affectives mais je n’ai jamais accroché avec la scène « chanson française ». Au Québec, j’ai découvert des tas de trucs géniaux : de Richard Desjardins à Violett Pi, en passant par les Colocs. J’ai aussi un petit panthéon personnel où trônent Francis Bebey, H-F Thiéfaine (Tout corps vivant branché sur le secteur…), Ray Lema et Pascal Comelade. Le tout saupoudré de beaucoup de rap, des Last Poets et autres Nicki Giovanni aux jeunes UZBK d’Avignon : des instrus, du flow et des textes saisissants de virtuosité, de poésie et d’à propos !

Hexagone : Tu veux dire quelque chose pour finir ?
Louis Noël Bobey : “Oh fatche !” Voilà ce que je veux dire : Oh fatche ! (avé l’assent). Non, c’est un peu intimidant mais relax cette interview, et puis la soupe est bonne ! J’ai encore parlé de moi, même si là c’est pour évoquer mon trip de musicien, un peu comme une boulangère parlerait farine et pâte à choux.


Le soir de l’entretien, il a ouvert son concert par Cécile, ma fille en patois. Il nous a offert une fois de plus une prestation différente, étonnante. A deux avec un vibraphoniste, en essayant des nouveaux textes et chansons, en étant toujours décontracté. A un moment, il demande si une personne de sa famille est bien dans la salle. Vu la réponse positive, il lui propose de se rapprocher dans l’allée pour le filmer avec son téléphone « comme c’est une nouvelle chanson ». Bobey a reçu ce soir-là un accueil enthousiaste du public et des pros présents. Je souhaite que nous ayons bientôt l’occasion de le revoir en trio à Toulouse ou ailleurs.


Louis-Noël Bobey, entretien le 5 février, à l’occasion des Coups de pousses du festival Détours de Chant au Bijou à Toulouse.

Prochaines occasions de le voir : Bobey avec Camille Saglio pour la Tournée de Campagne en Bretagne du 18 avril au 1er mai. Il sera au festival d’Avignon Off en juillet.

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