Cabaret All’arrabbiata : 10 jours au Théâtre du Grand Rond

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Photo Michel Gallas

Je t’ai déjà parlé fin 2014 du Cabaret All’arriabbata. Un gros coup de cœur lors des toutes premières représentations. J’écrivais ceci : « Un cabaret satirique à voir, et à revoir. Je pense, et espère, que ce cabaret n’en est qu’à ses débuts d’une belle et longue carrière méritée. Pour l’instant une seule date de sûre au théâtre du Grand Rond en janvier… 2016. » Et nous nous retrouvons en janvier 2016 avec le cabaret à l’affiche du théâtre pour dix représentations en deux semaines. Alors, ce mercredi, je suis venu voir All’arrabbiata pour … la cinquième fois. Et je ne change rien à ce que j’ai écrit l’an passé.  

Cabaret 25Depuis longtemps, je n’avais plus vu un spectacle aussi fort, aussi prenant. Construit à base de textes issus de chroniques d’Ascanio Célestini et de chansons de lutte en italien, il procure un grand plaisir de spectateur puis occupe notre esprit durant plusieurs jours. Les textes sont cyniques, d’une grande intelligence et d’une âpre dureté. Chaque scène débute comme une fable. On sourit, on rit, parfois jaune. Sous le prétexte d’une histoire, le doigt est mis sur ce que l’on accepte et que l’on ne devrait pas, sur nos lâchetés au quotidien et on se sent mal à l’aise. Cela parle du pouvoir, du rapport entre les dominés et les dominants, des dominés qui ne se révoltent pas, de la cruauté, de notre non humanité. C’est surtout un spectacle réussi. Avec un trio de comédiens chanteurs vraiment fantastiques. La mise en scène ne nous laisse pas nous poser, les chansons et leurs mélodies mettent de la gaieté et de l’enthousiasme, l’écriture amène des images surprenantes, l’humour est très présent. J’ai demandé aux trois artistes un petit échange et nous nous retrouvons le jeudi sur la scène, assis autour de la petite table utilisée dans le spectacle (regarde la photo au dessus). Je te fais les présentations. En face de moi, Renata Antonante, ritale théâtreuse (dixit le site), comédienne que l’on a pu voir récemment dans un film espagnol, elle a passé ses sept dernières années à Toulouse avant de déménager récemment sur Paris. A ma droite Pablo Seban, il a grandi à Montpellier où il découvre le théâtre. Professeur de maths à Toulouse, il a présenté récemment au Bijou sa conférence gesticulée, Mes identités nationales. A ma gauche Lucas Lemauff, musicien de formation, pianiste et chanteur, évoqué sur Hexagone, au moins pour sa participation au spectacle collectif Virage à droite et pour l’accompagnement de Piérick. Écoute-les te parler de la création de leur spectacle, de ces représentations de janvier et du futur envisagé pour ce cabaret.

Photo Michel Gallas
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Hexagone : Comment ce spectacle est né ? Quel cheminement avant sa création Chez ta mère en fin 2014 ?
Pablo : Depuis très longtemps, Renata et moi voulions faire ensemble du chant et du théâtre. Je ne me souviens pas quand est arrivé Ascanio. Mais cela se compte en années. Ascanio arrive et on se dit qu’on va peut-être faire quelque chose de cela : le présenter devant des potes, faire une petite soirée.  On a traduit les textes que nous trouvions vraiment formidables. Et puis on a essayé de les mettre en scène un peu comme on pouvait et … on ne pouvait pas ou peu. On avait besoin d’aide. De l’aide pour un regard extérieur et on a demandé à Olivier (Marchepoil) qui a accepté de suite. De l’aide sur la musique et on a demandé à Lucas.
Lucas : Ils sont venus me voir pour les arrangements musicaux, c’est une demande que j’ai souvent. Donc j’allais dire non. Puis ils m’ont montré les textes. Là j’ai dit Waouw ! « Je veux le faire avec vous. » On a commencé à travailler. Puis on est allés voir Olivier (programmateur de Chez ta mère). Il nous a dit : « je vous fais confiance je vous programme dans trois mois. »
Pablo : Alors que l’on avait rien, juste une idée et les textes. On avait l’échéance, on s’est mis au boulot et on l’a fait !

Hexagone : Donc représentations Chez ta mère en Octobre 2014, puis en décembre. Résultats : du monde et de très bons retours. Vous vous y a attendiez ?
Lucas : Nous étions confiants sur la qualité et l’impact des textes. Nous n’étions pas confiants et on se posait plein de questions sur le rythme du spectacle, sur les chansons, sur notre présence.
Renata : Au début on s’était dit : allez on le fait. C’est un test et puis on voit. Si ça ne continue pas,  au moins, on aura essayé. Et Chez ta mère on s’est dit : mais en fait, ça marche !
Pablo : Le deuxième soir, la représentante du Grand Rond nous dit « je vous programme en 2016″. Alors ok : ce projet a un an et demi devant lui et il prend de suite une dimension temporelle énorme.  

Photo Michel Gallas
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Hexagone : Plus d’une année entre Chez ta mère et le Théâtre du Grand Rond : que pouvez vous en dire sur les différentes représentations, les éventuelles évolutions du spectacle ?
Renata : Une douzaine de représentations depuis Chez ta mère. On s’est surtout rendu compte qu’on pouvait le faire dans des contextes très différents : des petits lieux avec vraiment beaucoup de proximité, deux fois en plein air, le jour et la nuit, en sonorisé ou pas. Du coup, ce qui a vraiment évolué c’est la « machine spectacle ».
Pablo : Dans les petits lieux, c’était par exemple dans le salon d’amis, dans un restaurant en poussant les tables pour pouvoir se fabriquer une scène au milieu. Et puis on a tourné dans deux gros lieux sonorisés. Une salle dans un festival avec plus de cent personnes et une en extérieur dans un amphithéâtre naturel avec cent quatre-vingts personnes.
Renata : On n’a pas ajouté ou enlevé un texte, la structure est identique. On continue à discuter de temps en temps des possibilités d’ajout de texte ou de chanson. Comme les textes sont indépendants on peut piocher sans modifier le corps du spectacle.
Lucas : On en a envie. Mais cela demande du recul et il faudrait que l’on travaille plusieurs jours sous forme de résidence. Et pour l’instant, comme on n’est pas tous au même endroit cela ne s’est pas encore fait.

Hexagone : Je trouve le spectacle original, voire unique. Votre intention c’est de provoquer, faire rire, émouvoir, faire réfléchir ?
Renata : Tout ça ! Les textes choisis nous faisaient beaucoup rire. Et ils sont très politiques. Et bien sûr nous avons envie de toucher, émouvoir.
Pablo : On sent des réactions très différentes. On a eu des rires très explicites, enthousiastes, des gens qui se marrent comme à un spectacle comique. Et aussi des rires très très jaunes au point que tu ne sais pas si les gens rient ou pleurent ou sont énervés. Ces deux réactions me semblent correspondre à ce que l’on propose : avec ce spectacle, tu peux te marrer, tu peux vraiment être sincèrement dérangé, ou tu peux juste réfléchir.

Photo Michel Gallas
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 Hexagone : Parlons un peu du spectacle. Et d’abord dites m’en un peu plus sur le choix des textes, des chansons ?
Renata : A la base, les textes d’origine ne sont pas écrits, ce sont des chroniques dites par Ascanio à la télévision, face caméra, d’une traite, sans prompteur en semi impro. Ascanio est issu de cette tradition d’oralité, de conte. Un peu à la Dario Fo pour le théâtre engagé. Pour qu’un texte puisse se raconter sans le connaître par cœur donc avec une marge d’impro il faut une structure claire. Ses textes sont très structurés, utilisant souvent la répétition.
Pablo : On a choisi les textes les plus métaphoriques. Les textes du spectacle sont assez homogènes dans leur forme par rapport au panel plus large qu’il a proposé à la télévision. Parmi les textes de cette forme allégorique, on a choisi ceux qu’on aimait le plus et puis ceux qu’on pouvait traduire et adapter.
Renata : Pour les textes, souvent je proposais et Pablo me disait « non, c’est intraduisible » comme par exemple Le discours du citoyen que fait Lucas. Alors je disais « NOOONN on va trouver, on va trouver ! » Et puis on a travaillé la traduction et l’adaptation et … on a trouvé.
Pablo : Les chansons de lutte choisies sont celles qui nous ont marqués, Renata et moi, les deux italiens, celles qui ont marqué notre enfance ou notre histoire personnelle.

Hexagone : Deux fois, en dehors des chansons, on entend de la musique sur les textes. Pourquoi ce choix ? 
Lucas : En fait c’est un choix de mise en scène. On voulait pouvoir maîtriser le spectacle du début jusqu’à la fin sans être tributaire des applaudissements. Si jamais on se dit que les spectateurs vont applaudir et qu’ils ne le font pas, alors on est dans l’embarras. S’il y a des applaudissements tant mieux sinon il faut qu’on avance. On envisage le spectacle comme cela, avec le rythme qui est le sien. Et pour avancer, on ponctue par la musique. C’est utilisé pour deux textes qui se suivent (cela se produit deux fois dans le spectacle). La musique permet la transition puis on la garde pour accompagner.
Pablo : Et c’est une question de rythme aussi. Olivier, notre metteur en scène, nous fait beaucoup travailler le rythme. Dans le texte La merde, l’idée de la progression, de la montée de l’enthousiasme est renforcée par l’accompagnement musical.

Photo Michel Gallas
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Hexagone : Vous partez de textes italiens et oraux. Quelle place vous donnez à l’adaptation  ?
Renata : Au départ, ce sont des monologues. Déjà une adaptation existe pour les transformer en dialogue, en trilogue.
Lucas : La question de l’adaptation est un vrai débat entre nous et on se la pose souvent. Dans Le discours je parle du Pacte de responsabilité. On a mis cette citation à un moment donné où cela faisait complètement écho à l’actualité et correspondait totalement au propos. Et cela fait réagir le public. Aujourd’hui le pacte de responsabilité est un peu loin et peut être on va devoir chercher une autre référence aussi parlante.
Renata : Je pense qu’on peut adapter au contexte français, au contexte politique mais avec un écart, un recul. Là maintenant faire une référence directe aux attentats, c’est non !
Pablo : Par exemple le texte dit « des fusils pour nous et des fusils pour les plus volontaristes d’entre eux qui accepteront de se battre avec nous contre tous ces terroristes. » Et hier pour la première fois je l’ai entendu d’une autre manière. Sans changer le texte, il prend une dimension autre. 

Hexagone : Pouvez vous préciser quelques choix de mise en scène?
Pablo : Dans ce spectacle on n’a pas fabriqué les personnages, on travaille l’intention et le rythme. 
Renata : Vu la nature et la force des textes on n’a pas besoin de travailler les personnages. On n’a pas besoin d’une identification, d’une reconstruction. Notre rôle c’est de transmettre le texte.
Lucas : Oui, d’où aussi la sobriété de la scénographie et de notre habillement. C’est aussi la force de ce que nous a proposé Olivier. On n’a pas travaillé les caricatures, ces personnages qui sont caricaturaux et extrêmes. On a essayé de trouver quelque chose qui nous ressemblait un peu, une simplicité dans la prise de parole. Et cela donne, je crois, une grande force, une vérité.

Photo Michel Gallas
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Hexagone : Un texte présente au début une femme dans un bus et à chaque fois un homme lui touche les fesses. Pablo, pourquoi c’est toi qui joues le rôle de la femme ?
Pablo : Ascanio Célestini est un homme et c’est lui qui disait ce texte. Si on avait choisi Renata, on aurait volontairement dénaturé le propos initial. Et vu la teneur du texte cela me paraît évident que c’est plus fort joué par un homme.
Hexagone : Vous chantez tous les trois. Renata et Pablo, ce n’est pas votre métier mais vous êtes très à l’aise. Quel est votre rapport à la chanson ? Et puis j’en profite pour caser ma question rituelle : quels sont vos goûts en chanson française? 
Renata : Je chantais dans le chœur à l’Opéra. Puis j’ai eu un groupe au lycée. J’adore Anne Sylvestre. Il faut continuer à chanter ses magnifiques chansons.
Pablo : J’ai fait un concert Pablo chante Brassens. J’ai été élevé à Brassens et à Renaud. Cette culture m’a été inculqué par mon père italien. Sinon ma culture c’est Noir Désir, Têtes Raides, les Ogres de Barback, La Tordue.

Hexagone : Et maintenant, vous êtes au Grand Rond pour dix jours consécutifs. Mardi après-midi avant de démarrer comment vous l’envisagiez ?
Renata : On se disait « Trop bien on va avoir le temps d’affiner.»  On peut toujours essayer de réajuster, de se questionner sur les détails. Et c’est intéressant de continuer de travailler, de se dire que c’est jamais fini.
Lucas : Et puis, on a chaque jour, avec Olivier le debrief sur notre travail de la veille. On se disait aussi « on aura des moments faciles et des moments difficiles ». Et hier soir par exemple cela a été un moment difficile pour nous. Très peu de rires, et en tout cas des rires très contenus, moins de réactions que d’habitude. Alors que la veille le public avait beaucoup ri. Donc, on sait que l’on peut avoir les deux situations, ces deux manières de fonctionner, n’importe quel soir. Cela nous rend aussi plus fort et c’est un très bon moyen de tenir la barre quoiqu’il arrive.
Pablo : Le fait d’être dix jours dans un lieu comme le théâtre du Grand Rond donne une légitimité à ce spectacle. Sur les deux premiers soirs deux programmateurs sont venus et on sait que d’autres viendront. C’est enthousiasmant de se projeter sur des suites, de savoir que le spectacle va exister dans la durée.  

Hexagone : On a parlé du spectacle avant le Grand Rond puis de ces dix jours. Comment voyez vous 2016 pour ce cabaret ?
cabaret 7Renata : Une semaine de tournée en Bretagne fin avril dans des petits lieux, cinq soirées d’affilée.
Pablo : Avec aussi la volonté d’un démarrage sur Paris. Là aussi sur des petits lieux, avec la possibilité de faire venir des programmateurs. Cet été, nous avons décidé d’y consacrer du temps ensemble, soit pour travailler, soit sous forme de tournée.
Lucas : Nous irons certainement à Aurillac, au festival de théâtre de rue.

J’ai senti, au cours de cet entretien à travers leur manière de répondre ensemble, de se compléter, la notion de « troupe » impression encore accentuée par leur metteur en scène qui est venu nous rejoindre à la fin de l’interview et qui est présent à chacune des dix séances.

Ce cabaret est vraiment un spectacle extraordinaire à la sauce relevée, piquante, qui reste en bouche et procure du plaisir. Un spectacle qui continue à avoir du succès avec plus de 9o spectateurs par séance lors de la première semaine. Et si vraiment, après mon précédent article et cette interview il te fallait encore un argument, je t’informe qu’il se mijote qu’un plat de pâtes (all’arrabbiata bien sûr) sera servi un des soirs de cette seconde semaine. Et toi Hexagonaute, tu sais que tu auras régulièrement des nouvelles des prochaines aventures des « arrabbati » et de leur cabaret satirique.


Cabaret All’arrabbiata du 5 au 16 janvier au théâtre du Grand Rond à Toulouse (31). Interview réalisée le 7 janvier après avoir vu la représentation du 6.

Comédiens chanteurs : Renata Antonante, Pablo Seban et Lucas Lemauff. Mise en scène Olivier Marchepoil

Avis aux Hexagonautes bretons, le Cabaret All’arrabbiata vient chez vous  du 24 au 29 Avril (lieux sur le site)

5 Commentaires

  1. […] All’arrabbiata, cabaret satirique fortement apprécié à Hexagone, a quitté les salles de spectacle pour le plein air. Après une représentation pour Nuit debout jouée Place de la république à Paris et une autre Place du Capitole à Toulouse, le trio est à Aurillac et joue les quatre jours à 14h10. Il ne manquerait plus qu’ils passent à la Blackroom à Clichy le mois prochain ! Un autre groupe toulousain Zoé sur le pavé, sera présent dans les rue d’Aurillac mercredi et jeudi. […]

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