Mick à Avignon découverte 2 : Contrebrassens

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Contrebrassens c’est une contrebasse, les chansons de Brassens et une femme, Pauline Dupuy. Je vois plus de deux cents concerts par an, j’ai dû voir en vingt ans une trentaine de groupes ou artistes reprendre du Brassens. Et je ne connaissais pas le spectacle Contrebrassens. Une complète découverte. Une belle découverte.

© Michel Gallas

La contrebasse posée par terre. Le public s’installe. Pauline Dupuy entre en scène, pieds nus, en noir, sans micro. Elle relève la contrebasse et attaque Le parapluie, le son avec la contrebasse rappelant le bruit des grosses gouttes de pluie. Puis elle interprète L’amandier, chanson peu connue. Et de suite on sent que l’on va passer un moment original et agréable. Elle propose un éclairage féminin aux chansons du moustachu. Le choix dans le répertoire Brassens se centre sur les titres  évoquant les femmes ou/et l’amour. Une belle voix très féminine, claire et limpide ; une interprétation personnelle sensible et … fidèle ; des arrangements originaux et adaptés mettant en valeur la saveur des mélodies. Elle se permet un peu de malice et personnalité sur l’interprétation de Quatre-vingt-quinze pour cent. Elle enchaîne d’ailleurs Quatre-vingt-quinze pour cent et La complainte des filles de joie, chansons féministes s’il en est de Tonton Georges. J’aime beaucoup son interprétation et l’utilisation de son instrument. On ressent un sentiment de fraîcheur, et je pense qu’il  faut respecter beaucoup l’auteur, ses textes et les mélodies pour chanter et jouer comme cela. On se prend à fredonner le début d’une chanson ou d’un refrain puis on s’arrête pour écouter l’interprétation et les arrangements.

Un solo de contrebasse. Les textes de Brassens. Pas facile d’en faire un spectacle son et lumière inoubliable. On sent pourtant la volonté d’une mise en scène, Pauline et sa contrebasse utilisent l’espace du théâtre en se positionnant différemment pour certains morceaux comme par exemple La non demande en mariage. La parole est discrète mais malicieuse : « La prochaine chanson est une chanson de Georges Brassens. »

© Michel Gallas

Elle rend hommage au luthier qui lui a fabriqué sa contrebasse en la présentant sous toutes les coutures. Elle en utilise d’ailleurs toutes les possibilités (avec archet ou à la main, en jouant sur le classique, la facétie ou parfois le baroque). Cohérence et complémentarité entre la voix et les cordes. C’est peu de dire qu’elle fait corps avec sa contrebasse (d’une manière tout à fait différente de Imbert Imbert mais là aussi très réussie). Une belle réappropriation féminine des chansons avec une touche personnelle. On entend les textes parfois différemment, on ressent de belles émotions. Et on sort avec l’envie de redécouvrir ou de découvrir Brassens et avec le plaisir d’avoir rencontré une belle artiste. Ce concert a tout de même un gros défaut : il nous laisse sur notre faim avec 12 chansons seulement  (en comptant les deux rappels) et tout juste un peu plus de cinquante minutes !

Un public sous le charme. Le concert affichait complet. C’est le bouche à oreille qui fait Avignon pour les artistes non ou peu connus au début du festival. Et là c’est le cas : des articles élogieux, une salle remplie, un public ravi et une belle ovation enthousiaste. « Moi qui ne supporte pas Brassens chantée par d’autres, je me suis régalée »  me dira à la sortie une voisine de concert, admiratrice de Brassens et qui souvent murmurait les paroles pendant le concert.  Elle prendra, comme un certain nombre de spectateurs l’EP 5 titres, fourni à prix libre (initiative que j’aime bien).

© Michel Gallas

Avec l’envie d’en savoir plus sur elle, je propose à l’artiste un échange et nous nous retrouvons le lendemain autour d’un Pac à l’eau (la boisson désaltérante du festival) et d’une bière (tiens qui l’a prise ?). Je voulais connaître le cheminement, savoir comment on arrive à la contrebasse sur du Brassens puis à Avignon. Elle dit avoir fait un peu de violon et elle me confie « un jour j’ai une contrebasse dans les mains je fais un mi grave qui a vibré dans tout mon corps. Whaouh ! » Donc elle démarre la contrebasse à 18 ans, d’Aurillac vient à Saint Etienne pour ses études de musique puis fait partie d’un collectif de musique contemporaine. Pendant une résidence trois amis musiciens, fans de Brassens, vont créer un déclic. « Après des journées de travail acharné sur des morceaux super sérieux, super compliqués, on jouait du Brassens toute la soirée. Je connaissais un peu mais sans plus. Là j’ai vraiment entendu les textes, la poésie. Je me suis dit : c’est génial ! »  Et c’était parti : « J’ai commencé à chercher comment le jouer à la contrebasse, j’ai essayé deux trois chansons. Plus je les chantais plus j’aimais ça et spontanément des arrangements sont venus, c’était mon premier projet personnel. J’avais travaillé le chant pendant des années, toute seule dans mon coin, en cachette. Lors d’une fête avec des amis, sous un arbre dans un jardin, j’ai chanté 4 ou 5 titres. J’ai eu des retours très encourageants. C’était la première fois où je chantais devant des gens, pour des gens. » Elle a voulu creuser cette image d’un Brassens misogyne, souvent mise en avant. « Plus j’ai chanté ses textes plus je me suis senti proche du personnage, de cette poésie et de la tendresse qu’il a pour les femmes. Cela m’a touchée, nourrie.» Le projet Contrebrassens se prépare et s’élabore de 2008 à 2011, le temps de maîtriser l’aspect très technique, le temps aussi de trouver l’équipe qui l’accompagne désormais (une agent artistique, une chargée de production et un chargé de relations presse). Elle confirme : « J’ai voulu prendre le temps de construire, que ce projet soit solide ». Et depuis elle chante et promène son Contrebrassens.

© Michel Gallas

On échange bien sûr sur Avignon, et sur son ressenti à trois jours de la fin du festival. Elle propose son bilan :  » Je suis super contente de cette expérience. Avec tout l’enthousiasme que j’ai avec mon équipe,  je prends tout ce qu’il y a à prendre. J’ai l’impression d’être venue au festival au bon moment dans le développement de mon projet. Ici, je voulais me faire connaître un peu plus au national, toucher un peu de presse, avoir un retour sur mon travail et  accéder peut être à des salles plus importantes. J’ai eu de très beaux articles, des pros qui sont venus, un public présent et content. Je sens que c’est une étape de passée.» Ce spectacle est un succès public et critique.  Il est clair que Brassens (et Brassens au féminin) peut attirer le festivalier mais c’est le bouche à oreille qui fait le succès ensuite. Pourquoi le choix uniquement des chansons sur les femmes et l’amour ? Elle me répond « Les femmes c’était vraiment le point de départ, l’idée de remettre en cause l’image de Brassens misogyne. Je me rends compte maintenant qu’on entend dans la bouche d’une femme autre chose des mêmes mots.  Les autres chansons, d’amour principalement, sont plus des coups de cœur musicaux. Certaines se sont imposées à moi au niveau de l’arrangement. Comme pas exemple Le vent qui n’est ni sur les femmes ni sir l’’amour. Dans Don Juan c’est l’idée de : et si c’était moi cette femme moche, cette femme dont personne ne veut. Pour le reste du répertoire ce n’est pas un rejet. J’en ai essayé beaucoup. Mais le choix a été souvent instinctif par rapport à la musique, aux mélodies, au fait de m’y sentir bien. « 

© Michel Gallas

Je lui demande quelle évolution a connu ce spectacle depuis son début. Elle me dit que sa voix, sa posture sur scène et son interprétation se sont affinées, précisées. « Car je me suis libérée de la technique, cela a été très long. J’ai envie de faire quelque chose de simple et sincère, d’assez épuré. J’ai vraiment envie que l’on entende Brassens, ses textes. A Avignon, je suis très contente d’avoir un public jeune, et que les chansons de Brassens continuent à vivre ».  Je l’interroge sur le fait d’enchaîner une vingtaine de concerts. Elle me répond, enjouée : « C’est génial d’être sur scène pendant trois semaines, de jouer tous les jours. Un vrai plaisir. Et cela permet d’expérimenter, d’explorer la  finesse de l’interaction avec le public. Plein de données sont les mêmes (lieu, acoustique, …) alors les variables, moi et le public. on les appréhende beaucoup mieux. Un jour si je ne me sens pas bien et que je suis un peu refermée je ne peux pas lutter, je ne peux pas dire je vais être en forme et être ouverte, non cela ne marche pas. Et c’est là où c’est intéressant : qu’est-ce que je fais, comment je vais arriver à faire quand même un beau concert avec cet état là ? »

A ma remarque sur son concert court elle me réplique : « C’est voulu pour Avignon. J’avais envie d’un concert resserré, avec une unité. Et aussi parce qu’il démarre à 22h30, les gens ont peut être déjà vu 3 ou 4 spectacles, après une journée chaude. J’aime bien me dire que les gens finissent leur journée avec moi, restent sur leur faim et m’emportent un peu avec eux ».  

J’ai écouté, après le concert, l’EP 5 titres (dont quatre chantés en concert) sorti l’année dernière. On ressent que ce n’est pas la copie du spectacle (d’autres instruments comme le trombone et la trompette, une voix posée différemment). Elle confirme mon impression « c’est très différent, c’est volontaire. Je ne voulais pas faire  un live. Je voulais une voix un peu plus douce, un peu plus posée. J’avais envie d’un objet artistique à part entière. »

© Michel Gallas

Elle me parle de la tournée effectuée en Allemagne et Pologne avec l’anglais Mickael Wookey, qui a réalisé son EP. Un co-plateau avec les deux concerts enchaînés. « J’y tiens énormément. Mike fait de la pop folk anglaise, son public est plutôt jeune et ne serait jamais venu m’écouter. Sauf que sur place ils apprécient Contrebrassens. Mon public plutôt âgé et chanson française n’ira jamais écouter de la pop anglaise et pourtant cela leur a plu. Et moi je suis contente de les surprendre et de leur montrer qu’ils peuvent aimer autre chose. » « Cela me permet aussi de ne pas être seule en tournée, ce qui est un peu triste. Je suis contrebassiste à la base, c’est pour accompagner des gens, pour partager. »

Comme je suis intrigué par le fait qu’elle vit à Berlin, elle me raconte : « je suis partie avec mon copain, j’avais envie de prendre l’air, d’élargir mes horizons. La ville me plait avec la nature et la capitale. Son point fort : l’ouverture. Parce que quand on arrive dans une grande capitale, avec des gens qui viennent du monde entier, qui ont un savoir faire incroyable, qui repartent de zéro et sont prêts à tout : soit tu rêves vraiment loin, soit tu fais rien. Et donc tu avances. Cela m’a permis d’être ambitieuse comme je n’aurai jamais osé l’être en restant à St Etienne. C’est positif, ça m’inspire d’être loin, cela me fait prendre du recul. Je me sens plus libre. Et retrouver ensuite un public qui connait Brassens, qui comprend vraiment ce que je dis devient un plaisir supplémentaire. »

Pour finir je pose une question sur ses goûts en chanson française : elle me cite Lavilliers, M, Catherine Ringer et Juliette, les classiques Brel et Piaf qu’elle écoute moins maintenant. Elle me dit en souriant : « Quand j’étais gamine j’ai eu une période complètement fan de Polnareff, qui m’a marquée pour sa voix et sa musique. » Elle écoute aussi de la pop folk indé, est fan de musique électro, de DJ live : des goûts éclectiques.

© Michel Gallas

Pauline Dupuy a les yeux qui pétillent quand elle évoque ce qu’elle aime. A la fois passionnée et réfléchie, spontanée et mature, on sent une artiste déterminée. Son projet a passé des étapes, elle a envie d’en franchir d’autres. Dans un futur proche (2016), se pointe un nouvel enregistrement (elle souhaite un album complet et pas un EP) là aussi avec des idées précises d’arrangements différents. Et il est aussi question d’une tournée à l’étranger, elle me cite Israël, l’Inde, l’Amérique latine et je sens son envie de voyager. Elle veut aussi continuer à expérimenter sur scène. D’abord et si possible dans un réseau de salles plus importantes. Elle me dit : « Avec mon éclairagiste je sais que ce spectacle fonctionne, la lumière habille beaucoup, constitue un décor, une bulle, une robe. » Ensuite, et  peut être à terme, elle imagine étoffer ses prestations sur scène en jouant avec d’autres (tout en conservant le solo).

En résumé : un tour du monde avec Brassens et un bel album en 2016, l’envie de tourner plus en salle en France, à terme de nouvelles expériences sur scène, et peut être un nouvel Avignon dans un ou deux ans. Hexagonaute, avec de tels projets, tu te doutes bien que je vais continuer à te parler de Contrebrassens et de Pauline Dupuy. Parisien et alentourien ne la rate pas en Novembre au Forum Léo Ferré.


Contrebrassens le 23 juillet au Théâtre CarnotFestival Off d’Avignon

Le jeudi 19 Novembre au Forum Léo Ferré à Ivry (94) avec Mickael Wookey en invité

Rappel : un clic sur le nom de l’artiste et tu arrives sur son site, un clic sur une photo et hop elle s’agrandit.

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