Tatatssin ! Baptiste Vignol dégaine les fringues de Gérard Lambert !

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Photo Baptiste Vignol

De plus en plus, l’hommage discographique s’impose dans la chanson actuelle. Cela ne traduit en rien une crise de la création dans le milieu de la chanson qui nous intéresse à Hexagone, mais révèle sûrement une manne à peu de frais dans la chanson-tirelire qui pleure ses années de gloire, celles d’avant la fameuse « crise du disque »… Récemment, pour parler d’un chanteur qu’on aime beaucoup ici, même quand il est super énervant et des fois il l’est vraiment, récemment donc ont paru deux disques de reprises de La Bande à Renaud. On n’en a pas parlé sur Hexagone et on n’en parlera pas même si tout n’est pas à jeter dans cette entreprise de commerce. On préfère de loin s’arrêter sur un projet qui a commencé antérieurement à la bande en question. Celui d’un certain Gérard Lambert qui prévient que « Les chansons sont faites pour être sifflées sous la douche, chantées dans les rues, gueulées dans le métro, reprises sur la Toile… Vingt artistes ont enregistré dans leur home-studio, au débotté mais avec cœur, une chanson rouge bandana. Purement artistique, parfaitement gratuit, cet hommage salue Renaud, d’hier, d’aujourd’hui, de demain. Tatatssin ! » Gérard Lambert, t’y as cru toi ? Nous non plus ! En fait, l’instigateur de ce projet très beau et très réussi n’est autre que Baptiste Vignol, passionné de chanson et éminent commentateur en la matière. Il nous parle de son projet.

Photo JM Héran
Photo JM Héran

Hexagone : Tout d’abord, pourrais-tu te présenter brièvement aux lecteurs d’Hexagone en appuyant sur tes actes coupables dans le domaine de la chanson ?
Baptiste Vignol : Passionné par la chanson, j’ai grandi au milieu des 33 tours de mes parents, de Malicorne, de Brassens, des Beatles et de Guy Béart, d’Henri Tachan aussi, et de Jacques Brel; au sortir de mes études universitaires, j’ai été programmateur deux ou trois ans chez Pascal Sevran, une école de la décontraction sur les nerfs, puis j’ai écrit quelques bouquins sur la chanson. Depuis août 2007, je tiens un blog, Mais qu’est-ce qu’on nous chante?, que j’alimente de temps en temps, quand ça me chante, et sur lequel je dis tout à fait ce que je pense des disques que j’écoute puisque je les achète.

Hexagone : Tu as imaginé le projet Tatatssin. Peux-tu nous le présenter ? Qu’est-ce que Tatatssin ?
Baptiste Vignol : Tatatssin, c’était d’abord le titre d’un bouquin que j’avais écrit sur Renaud en 2005 et qu’il avait suffisamment apprécié pour préfacer un livre suivant, paru en 2007 : Cette chanson qui emmerde le Front national. Tatatssin est ensuite devenu le nom d’un site que j’ai créé en mai 2014, sur lequel je « travaillais », ou plutôt pour lequel je collectais des chansons depuis mars 2013. Le site s’est ouvert, curieusement, en même temps que sortait en librairie un bouquin sur Renaud (Renaud à la plume et au pinceau) dont je suis le modeste auteur des textes, sur de chouettes dessins de Jean-Marc Héran avec une très belle préface de David Séchan, le frère jumeau de Renaud. Un bouquin que Renaud nous a d’ailleurs fait l’honneur de « valider » en posant avec.

Hexagone : Comment t’es venue l’idée de Tatatssin ? Quand est-elle née ?
Baptiste Vignol : En croisant Renaud à Paris, en février 2013, à l’occasion de la sortie d’un bouquin qui s’intitule Le Top 100 des chansons que l’on devrait tous connaître par cœur pour lequel d’ailleurs Renaud, comme 275 autres artistes de la variété francophone (Alain Souchon, Charles Aznavour, Christophe, Véronique Sanson, Dominique A, Françoise Hardy, Guy Béart…), m’avait donné la liste de ses 10 chansons françaises préférées, celles qu’il aurait aimé écrire. J’aperçois Renaud, de loin, il était tellement dans ses pensées que je ne suis pas allé le saluer, mais ça m’a donné l’envie de consacrer à son œuvre un site sur lequel on pourrait écouter gratuitement des reprises de ses chansons. J’aime bien imaginer des sites-hommages. J’en ai faits sur Delon et sur Björn Borg.

Hexagone : Les artistes présents sur le projet sont peu médiatisés. Était-ce une volonté ?
Baptiste Vignol : Absolument. Mais surtout, j’avais envie de ne solliciter que des artistes auxquels on n’aurait pas pensé immédiatement pour chanter du Renaud. Des artistes « pointus », très « pop » parfois, comme Damien, Séverin, Louis-Ronan Choisy, Bertrand Betsch, Bertrand Soulier, La Grande Sophie (qui elle est très connue, bien sûr, mais je ne voyais pas mieux qu’elle pour chanter It is not because you are), Circé Deslandes, Bertrand Louis, etc… Je ne voulais pas solliciter les artistes qui s’inscrivent dans une lignée rénaldienne, comme Dorémus ou Alexis HK dont j’apprécie par ailleurs beaucoup le travail. Je souhaitais que ce soit un peu étonnant, inattendu. J’ai donc contacté 25 artistes, et 20 ont accepté. Le concept a dû les séduire, le fait que ce soit parfaitement désintéressé, 100% gratuit, et que les chansons doivent être enregistrées dans leur home studio, aussi simplement que possible. Pas de frime, quoi!

Hexagone : Beaucoup d’artistes jeunes et émergents qu’on apprécie beaucoup à Hexagone. Au milieu d’eux François Morel (qu’on aime beaucoup aussi), plus confirmé. Peux-tu dire quelques mots sur les raisons de sa participation ?
Baptiste Vignol : Mistral Gagnant est un tel classique qu’aucun chanteur, je pense, ne peut la reprendre sans souffrir de la comparaison avec la version de Renaud. Il ne faut pas trop toucher aux standards, c’est très casse-gueule. Sauf quand Patrick Bruel reprend Ne me quitte pas par exemple… Tatatssin… Et puis Mistral Gagnant, c’est une chanson de mec ! C’eut été une erreur grossière de la proposer à une femme… Un jour, j’ai pensé à François Morel. Je me suis dit que le comédien, ce comédien, dont on sait qu’il aime la chanson, saurait, lui, s’approprier ces mots. Je lui ai proposé, par l’intermédiaire d’Antoine Sahler, son pianiste et compositeur, et moins d’une semaine après, j’avais la chanson ! Il se trouvait que Mistral Gagnant est une de ses chansons préférées! Ce que j’ignorais.

Hexagone : Quel cahier des charges exact as-tu donné aux artistes ?
Baptiste Vignol : Aucun. Je leur proposais un ou deux titres que je les voyais bien reprendre ; certains, très peu au final, m’en ont proposé d’autres, et ça s’est fait comme ça, à la cool. Tout s’étant organisé, bien entendu, avant qu’on apprenne qu’une compilation (La Bande à Renaud) allait sortir en juin 2014 ! Ça m’a valu de chouettes surprises. Je pense à la version du Sirop de la rue par Gérald Genty, carrément barrée. Ou à celle, plus classiques, mais très émouvantes de Trivial poursuite par Rit ou de P’tit déj blues par Ludéal. L’intérêt de ces reprises se niche dans leur originalité. Pas de copié-collé sur Tatatssin.

Hexagone : Qui as-tu contacté en premier ?
Baptiste Vignol : Je crois que c’était Pierre Schott, dont j’adore tous les disques. Un très grand, bizarrement méconnu. Il m’a semblé évident que Tant qu’il y aura des ombres collait à son univers. J’ai été très ému quand il me l’a envoyée. Peter Kröner aussi, dont j’aime encore les vieux disques sortis au début des années 90. On ne l’entendait plus depuis 1998, alors je lui ai écrit. Je ne me souviens plus quel titre je lui avais proposé, mais il a souhaité faire En cloque. Sa reprise est d’enfer. Écorchée, mal peignée.

12Hexagone : As-tu eu des refus d’artistes ? Si oui, comment ont-ils motivé ce refus ?
Baptiste Vignol : Quatre ou cinq, oui. Parce qu’ils ne se sentaient pas suffisamment proches de l’univers de Renaud, ce qui n’est pas critiquable, ou parce que leur label n’a pas souhaité les voir s’inscrire à ce projet ! Ce qui est grotesque. Mais il faut bien que les «D.A.» justifient leurs salaires…

Hexagone : Comment s’est opéré le choix des chansons ?
Baptiste Vignol : En gros, j’ai choisi mes chansons préférées. Je ne me suis pas foulé. Et je ne voulais pas taper dans les gros tubes radiophoniques, Dans mon hlm, Morgane de toi, Dès que le vent soufflera, Manhattan-Kaboul, etc.

Hexagone : Pour les artistes participant à Tatatssin, que représente Renaud ?
Baptiste Vignol : Un auteur-compositeur-interprète très talentueux, j’imagine. Un homme intègre aussi, avec ses contradictions. Une figure majeure de la Chanson française sans doute.

Hexagone : Selon toi, qu’est-ce qui fait que Renaud fasse aujourd’hui l’unanimité alors que ce n’était pas franchement le cas il y a 20 ans ?
Baptiste Vignol : L’œuvre n’a pas pris une ride, sa poésie frappe juste, l’humour de Renaud est toujours aussi mordant et ses mélodies sont bien plus solides et inspirées qu’on ne l’imaginait quand ses albums paraissaient.

Hexagone : Le projet est-il terminé ou va-t-il se poursuivre ? D’autres enregistrements à venir ?
Baptiste Vignol : Oui, c’est quasiment terminé ! J’attends encore trois reprises. J’en ai ajouté quelques-unes récemment. Déserteur, Morts les enfants, Marche à l’ombre et La Chanson du loubard. Pour savoir qui les chante, il faut aller traîner sur Tatatssin.

Hexagone : Les noms des artistes ne sont révélés qu’en fin de clip. Pourquoi ?
Baptiste Vignol : Parce que je trouve ça élégant, intrigant, humble et amusant… Essayer de deviner qui chante, découvrir la version, les oreilles toutes propres, sans aucun a priori.

Hexagone : Sur la chaine Youtube de Tatatssin, on découvre les chansons numérotées de 1 à 20, puis des bonus de 1 à 9. Pourquoi cette différenciation ?
Baptiste Vignol : Il y a d’abord eu 15 chansons, le site a été pensé en fonction, avec les portraits des chanteurs le visage camouflé par un bandana, comme en portaient les cowboys dans les tempêtes de sable, et puis je voulais mettre des bonus comme il y en a sur les disques. D’où la case «Chansons mal cachées» ! Un truc à la Renaud, quoi. Un clin d’œil.

01Hexagone : Sur le site Tatatssin, tu présentes le projet comme « purement artistique, parfaitement gratuit« , mais toi, n’as-tu pas été confronté à la notion des droits et d’autorisation ?
Baptiste Vignol : J’y suis allé en me disant «On verra bien !» J’ai toujours été étonné par le fait d’avoir à demander l’autorisation de faire un hommage… Et puis la démarche ressemble bien à Renaud, d’ailleurs, impertinente sur les bords. Au début de sa carrière, il faisait une reprise assez rageuse des Ricains de Sardou avant laquelle il disait «Si ça ne lui plait pas, qu’il vienne me le dire !» Au final, David, son frère jumeau, qui est aussi éditeur, vient de dire que Tatatssin est, je cite, «une belle initiative qui échappe aux requins du business… » Merci monsieur.

Hexagone : Attends-tu quelque chose de particulier d’un tel projet ?
Baptiste Vignol : Ben non. Pas de gloriole. Ça n’est pas mon genre. Je me suis planqué derrière un pseudonyme à sa création, Gérard Lambert, attendant que les choses viennent naturellement… Et je réponds aux questions quand on m’en pose, comme je le fais là, avec toi.

Hexagone : Quel regard portes-tu sur les reprises « officielles » de La Bande à Renaud 1 et 2 ?
Baptiste Vignol : Une oreille très distraite. Je n’arrive à me détacher du disque de Christine & The Queens que j’écoute en boucle depuis des mois.

Hexagone : As-tu informé Renaud de ton intention de monter ce projet ?
Baptiste Vignol : Là encore, j’ai laissé faire. Le vent aura-t-il porté ces reprises jusqu’à ses oreilles ? J’ai la faiblesse de l’imaginer. Peut-être en a-t-il apprécié quelques-unes…

09Hexagone : Quel regard portes-tu en 2014 sur la chanson francophone avec d’un côté des « vedettes » pas toujours passionnantes et de l’autre une large scène sous médiatisée qui recèlent pas mal de pépites ?
Baptiste Vignol : En ce moment, pour parler de la relève, si l’on excepte quelques jeunes aventurières comme Christine & The Queens ou Robi, ou comme Damien, dont j’attends impatiemment le troisième disque, tout se passe au Québec. L’avenir de la chanson francophone se niche là-bas. Peter Peter, Les Sœurs Boulay, Vallières, Jimmy Hunt, Louis-Jean Cormier…

Hexagone : La chanson de proximité est-elle une espèce en voie d’extinction, relayée au sous-sol de la culture ou crois-tu à une résurgence possible ?
Baptiste Vignol : Lorsque les plus gros vendeurs de la grosse variété française en 2014 restent les mêmes que ceux qui défilaient chez Guy Lux ou Jean-Pierre Foucault il y a trente ou quarante ans (Hallyday & co), c’est mal barré. Peut-on se réjouir qu’en 2014, les deux émissions de télévision supposées porter la chanson soient présentées par ces jeunes gens curieux que sont Michel Drucker et Dave ?

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