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Andoni Iturrioz – Le roi des ruines

D’origine basque, Andoni Iturrioz naît à Paris en 1976 et grandit entre cette ville, Barcelone et Londres. À 19 ans, il part faire le tour du monde en vagabond, d’Asie en Afrique, d’Océanie en Europe de l’Est. En 2001, après cinq années de pérégrinations, il se pose à Barcelone avec le désir de privilégier la chanson comme mode d’expression. C’est le début du trio Je Rigole. Puis viennent les premières scènes à son arrivée à Paris en 2007. En 2012, avec le disque Qui chante le matin est peut-être un oiseau, on découvre un art d’un autre genre, des chansons d’une autre dimension. Deux ans plus tard, avec L’insolitude, qui sort cette fois-ci sous son propre nom, Andoni poursuit dans une exaltation presque mystique son voyage initiatique.

Dans Le roi des ruines, nouvelle pièce à son édifice poétique et musical, l’amour du verbe submerge tout. Ni ancien ni moderne, Itturioz est d’abord un auteur, sous le masque d’un compositeur sauvage et indomptable, avec la complicité du groupe La Danse du Chien. Avec Smara, Andoni évoque la mémoire de Michel Vieuchange, jeune explorateur français des années trente mort à 26 ans, qui sera le premier Européen à visiter les ruines de la cité interdite de Smara, dans l’ouest saharien, et qui, pour ce faire, se déguise en femme berbère. Tandis que Bertrand Louis, fidèle compagnon de création, assure la direction musicale et quelques compositions, Lisa Portelli habille Dans la rocaille d’une mélodie, et le rappeur suisse Maeki Maii fait don de ses rythmiques.

Philippe Kapp


  • Andoni Iturrioz
  • Le roi des ruines
  • all styles editions – 2019
  • Chronique parue dans le numéro 13 de la revue Hexagone.

 

Rétrospective Barjac m’en chante 2019 – 3/6

BARJAC M’EN CHANTE

Lundi 29 juillet 2019

Romain Lemire ©David Desreumaux – Reproduction & utilisation interdites sans autorisation de l’auteur

Pour un moment fort, c’était un moment fort. Dans le cadre des Effeuillages poétiques, salle Trintignant et en présence de Jean-Louis Trintignant, Romain Lemire venait jouer son spectacle Gaston moins le quart que nous n’avions pas encore vu. Comment est-il possible d’avoir tant attendu avant de voir pareil bijou ? À nos yeux, ce Gaston restera le coup de cœur de l’édition 2019. Tout, il y a tout dans ce spectacle. Tout ce qui fait un grand spectacle : de l’émotion, de l’humour, de l’esprit, du sérieux, du moins sérieux, du philosophique, de l’accessoire. De la poésie. La vraie. Pas celle qui se farde de mots savants et ampoulés, pas celle préfabriquée qui ressert des images réchauffées, mais celle qui va piocher dans les détails du quotidien, qui fait son sel des existences simples, de petits plaisirs de tous les jours, car nous savons bien depuis Milan Kundera et son Insoutenable légèreté de l’être que le bonheur n’est rien d’autre que le désir de répétition. C’est cela qu’expose Romain Lemire, en fin observateur. Il fait œuvre universelle de situations de rien du tout et d’une apparente banalité (l’évocation de la grand-mère, quel moment !). Avec son air de faux naïf, ce garçon est un touche-à-tout et son spectacle séduit par son aspect hybride entre chanson, théâtre, cirque et stand up, déambulant dans un espace intemporel fait de tasses à café, de radio diffusant des informations obsolètes, de vieil électrophone ou de limonaire. Gaston parle, raconte. Il parle de la vie. De l’amour, de la mort, de l’aspect provisoire de tout cela. De métaphysique. Ce spectacle, joué dans le cadre intimiste des Effeuillages poétiques, aurait tout aussi bien pu se tenir dans la cour du château. L’intime, ça se partage. Programmateurs abonnés à cette revue, nous ne pouvons que vous inciter à accueillir ce spectacle dans vos murs. Vous ferez à n’en pas douter des spectateurs heureux.

 

Sanseverino ©David Desreumaux – Reproduction & utilisation interdites sans autorisation de l’auteur

Après Alexandra Gatica et Simon Chouf sous le chapiteau, place à l’espace Jean-Ferrat en soirée. En ouverture, découverte totale pour une bonne partie du public, Juliette Kapla et Claire Bellamy. Un spectacle en grande partie fondé sur l’improvisation, qui n’aura pas convaincu. Puis vient Sanseverino, seul en scène – juste une chaise et deux guitares qu’il manipule avec une dextérité hors du commun – pour donner du François Béranger.  Pour chanter Béranger, il faut garder l’esprit anar. Et rock de Béranger. Sans doute Béranger soi-même aurait détesté des reprises  conservées dans du formol pour respecter « le maître ». Avec Sansev’, peu de risques de se croire à l’église. L’homme est bien trop insaisissable, trop peu sage, inclassable. Mais respectueux, libertaire comme il faut l’être. Les chansons de Béranger, dans sa gratte et dans sa bouche, sont autant les siennes que celles du bon vieux père François, trépassé en 2003. Rappelons au passage que la dernière apparition scénique de l’auteur de Natacha fut à La Cigale en 2002 à l’invitation de Sanseverino, qui reprenait à l’époque Le tango de l’ennui. La compatibilité entre les deux bonshommes n’était dès lors plus à prouver. A Barjac, Sansev’ a produit près d’une heure trente de protest song, d’engagement, de lutte, de tendresse sur fond de blues avec une énergie incroyable. Tout cela augmenté de fraternité, invitant Eric Frasiak – autre grand amateur de Béranger – à le rejoindre sur scène le temps de deux chansons. Tout là-haut, au royaume des anars envolés, on a bien dû se régaler. Dans la salle, c’était aussi le cas.

A suivre…

David Desreumaux


 

 

Reportage paru dans le numéro 13 de la revue Hexagone.


Photos ©David Desreumaux – Reproduction & utilisation interdites sans autorisation de l’auteur

 

 

Rétrospective Barjac m’en chante 2019 – 2/6

BARJAC M’EN CHANTE

Dimanche 28 juillet 2019

Lily Luca ©David Desreumaux – Reproduction & utilisation interdites sans autorisation de l’auteur

Cette première « vraie » journée du festival s’annonçait donc particulièrement copieuse, augmentée d’un spectacle tardif, presque de nuit. Dès 15 h 30, Claud Michaud ouvrait le bal des Effeuillages poétiques, avant que l’on retrouve plus tard une Lily Luca en grande forme sur la scène du chapiteau. Le public la suit dans ses extravagances qui viennent comme édulcorer un propos féministe fort et toujours nécessaire en 2019. Seule à la guitare nylon qu’elle maîtrise de belle façon, Lily Luca sert des chansons douces-amères comme autant de reportages contemporains plus ou moins glauques, qui font rire jaune : Open (magnifique), Futur 2000, T’es où ?, Ton foulard en coton, etc. Des chansons fortes, sensibles et intelligentes servies sur scène avec aisance, et peut-être un poil trop de rentre-dedans. Ben Herbert Larue ensuite entre en scène pour déballer sa verve et tonitruer de sa voix d’écorché, caverneuse, dont les sonorités se promènent entre un Lantoine, un Clément Bertrand et bien sûr lorgnent vers le phare Leprest. Ce dernier doit peser au chapitre des références et il y a pire influence. Sur scène, bien servi musicalement par deux compères, Ben Herbert Larue ne donne pas dans la philosophie de pacotille et s’en tient à tenir l’humain au creux de ses mains. On le suit volontiers dans ses chansons, ses slams, mais on le perd dans de trop longs verbiages à l’adresse du public. Dommage mais l’on sent, mais l’on sait son potentiel et l’on suivra le parcours de ce garçon avec grande attention.

 

Jehan & Lionel Suarez ©David Desreumaux – Reproduction & utilisation interdites sans autorisation de l’auteur

Première soirée dans la cour du château, Annick Cisaruk et David Venitucci envoient leur Vie en vrac. Accordéon subtil et virtuose, textes de Yanowski, Annick Cisaruk n’a plus qu’à placer sa voix dans cet écrin tout à sa dimension. L’interprétation, expressionniste, n’est pas d’avant-garde mais qu’importe, on se laisse porter et embarquer dans ces slaves aventures.

Arrivent JeHan et Lionel Suarez pour donner à entendre ce Pacifiste inconnu, le gars de Mont-Saint-Aignan : Allain Leprest. Après Venitucci, c’est un autre cador de l’accordéon qui déroule du velours pour Jehan. Tout en douceur, en délicatesse. Nous ne sommes plus ici dans l’hommage mais dans la re-création d’une œuvre encore trop méconnue. Le choix des morceaux n’est pas des plus évidents et tant mieux, on adhère sans retenue aux évocations musicales de Suarez, aux interprétations de JeHan, l’un des tout bons à chanter Leprest.

 

Anne Sylvestre ©David Desreumaux – Reproduction & utilisation interdites sans autorisation de l’auteur

Et puis, il y a eu Anne Sylvestre. Attendue, tant attendue après la crainte de l’annulation la veille pour cause d’orage ! La voici qui entre en scène, radieuse, visiblement heureuse d’être là et elle ne le cache pas. Accompagnée de sa triade – Isabelle Vuarnesson au violoncelle, Chloé Hammond aux clarinettes et Claude Collet au piano – Anne Sylvestre, alors que le clocher a déjà dû sonner les douze coups de minuit, déroule, impeccable, son récital – 60 ans de chanson ! Déjà ? Belle, elle l’est d’énergie, de vitalité, d’engagement, de féminisme. L’interprétation franche, cette artiste majuscule tient en haleine, comme dans sa main, une cour du château archi-comble et tout entière acquise à sa cause. Même les petites nouvelles, ces chansons encore fragiles, sont données avec autant d’assurance que d’émotion. Et pour parfaire ce tour de chant, Marion Cousineau vient en conclusion rejoindre Anne pour interpréter en duo Le lac Saint-Sébastien. Sublime. Cinq femmes sur scène et plusieurs centaines de personnes debout pour les acclamer.

A suivre…

David Desreumaux


 

Reportage paru dans le numéro 13 de la revue Hexagone.


Rétrospective Barjac m’en chante 2019 – Episode 1/6

BARJAC M’EN CHANTE

25e édition : le nec plus ultra de la chanson

Voilà vingt-cinq éditions que ça dure. Durant six jours, à partir du dernier samedi du mois de juillet (cette année du 27 juillet au 1er août 2019), se tient le festival de Barjac, dans le Gard, initialement nommé En chanson dans le texte, puis Chansons de parole avant de devenir Barjac m’en chante en 2016. Il est organisé par l’association Chant Libre dont la présidence vient d’échoir à Antoine Agapitos, qui prend la suite de Jean-Michel Bovy – ce dernier étant toujours présent pour donner le coup de main nécessaire à pareille entreprise. Outre une armée d’irréductibles et valeureux bénévoles, à la tête de la direction artistique se trouve Jean-Claude Barens qui – fort de ses expériences antérieures et en cours – en quatre exercices a su donner un nouvel élan à un festival de qualité qui avait cependant un peu tendance à tourner artistiquement en vase clos. Aujourd’hui l’ouverture est de mise sans sacrifier la qualité, loin s’en faut.   Barjac m’en chante a ceci d’unique que durant six jours il fait vivre le village au rythme de la chanson, pour et par la chanson. Impossible d’y couper. Si bien que si vous êtes hostile à l’art chanté, fuyez le village gardois ! Un off s’improvise même aux terrasses des cafés, dans les rues qui – grâce à une politique remarquable de la mairie – ont gardé leur cachet d’antan. Celles-ci se retrouvent fleuries de sympathiques chanteurs à moustaches mais – grand bien nous fasse – la programmation officielle ne s’arrête pas au système pileux des artistes. Sous l’ère Barens, c’est la diversité tant artistique que générationnelle qui sévit avec bonheur. La chanson est riche de diversité et sa pluralité lui confère force et vitalité. C’est d’ailleurs en ce sens que Jean-Claude Barens entend œuvrer, mêlant formes littéraires, théâtralisées, hybrides, traditionnelles et contemporaines. Sans oublier l’esprit militant, duquel est né le festival. La proposition est étendue, si bien que les journées commencent tôt et finissent très tard. Si vous souhaitez tout voir à Barjac – déjà c’est impossible car certains rendez-vous se télescopent – vous prenez le risque de rentrer chez vous épuisé après six jours d’un marathon éprouvant mais délicieux.

 

Marathon manne

Un peu avant onze heures se tiennent les Rencontres de 11 heures moins 11 réunissant artistes de la veille et invités du monde de la chanson, de la poésie ou de la littérature. Ou encore des universitaires, comme Stéphane Hirschi cette année. Dans le même temps, en fin de matinée, vient le moment où Les mômes piaffent devant l’entrée du spectacle jeune public. Cette année se sont succédé Agnès Doherty (dimanche 28 juillet) avec un spectacle permettant aux plus jeunes d’entrer dans le monde de Boby Lapointe, le Bric à Brac Orchestra (lundi 29 juillet) et Mathieu Barbances et son Né quelque part riche d’humanité (mardi 30 juillet). A 10 h 30, en extérieur et en libre accès, Le jardin des papotages. Cette année, Elie Guillou (lundi 29 et mardi 30 juillet), en poète-écrivain voyageur, a donné à entendre de ses carnets de voyages tenus lors de ses séjours en Turquie, Irak et Syrie. Clara Sanchez, pour d’autres voyages, a déroulé ses histoires au son de son accordéon. Après une petite sieste nécessaire débutent les concerts de la journée. À 15 h 30, Les effeuillages poétiques à la salle Trintignant – petite jauge d’une centaine de places qui n’a pu hélas accueillir tous les spectateurs désireux d’assister aux spectacles présentés. Puis, à 17 h , place aux Découvertes du Pradet, lieu plus communément dénommé « le chapiteau ». Deux concerts s’y enchaînent, le premier à 17 h, le second à 18 h 30. Le temps de se restaurer quelque peu, et voici le public parti à l’assaut de l’espace Jean-Ferrat, la fameuse cour du château, là encore pour deux spectacles : à 21 h 30 et 23 h. Pensez-vous que cela soit le terme du périple quotidien ? Eh bien non ! Les plus courageux, les plus fondus, appelez-les comme vous voudrez, prennent à nouveau leurs jambes à leur cou et redescendent au chapiteau du Pradet pour assister à la scène ouverte, organisée en partenariat avec la Manufacture Chanson et animée par Laurent Malot. Vers trois ou quatre heures du mat’, des guitares parfois ululent encore à la nuit…

 

Marion Cousineau ©David Desreumaux – Reproduction & utilisation interdites sans autorisation de l’auteur

 

Petite revue des moments forts

L’ouverture, samedi 27 juillet 2019.

Pour cette vingt-cinquième édition, Chant Libre et Jean-Claude Barens ont souhaité frapper un grand coup. Dès les discours d’inauguration, tant Jean-Claude Barens que le maire Edouard Chaulet ont prononcé une déclaration d’amour à l’endroit de la chanson. On n’a pas tous les jours 25 ans après tout, et reconnaissons sans flagornerie que cet exercice a été une réussite du point de vue du spectateur. Tout avait pourtant plutôt mal commencé. La faute à l’orage qui a contraint l’organisation d’annuler la soirée d’ouverture dans la cour du château. Résultat des courses : Marion Cousineau a joué vers 22 h  sous le chapiteau et le spectacle d’Anne Sylvestre a été remis au lendemain soir dans la cour du château, après les deux artistes programmés ce dimanche.

A suivre…

David Desreumaux


   

 

Reportage paru dans le numéro 13 de la revue Hexagone.


Marion Rouxin – Vive allure

Marion Rouxin, figure de la scène musicale rennaise, nous revient avec un quatrième album intitulé L’autre. Sa plume sensible, soulignée par des arrangements élégants, interroge l’altérité sous toutes ses facettes. Avec ce nouvel opus, Marion, la quarantaine bien dans ses baskets, gagne en confiance et en sérénité. Rencontre avec une femme patiente, tenace, énergique et amoureuse sous le regard bienveillant de son alter ego et compagnon de longue date, Édouard Leys.  

 

Du théâtre à la chanson

Marion Rouxin est née au Mans en 1977 et développe très tôt une inclination pour les arts qui la pousse à s’initier, dès le lycée, au théâtre, à la danse (classique, jazz, contemporaine), au piano et au chant. Elle suit une formation théâtrale depuis le bac jusqu’au conservatoire de Rennes, qui lui confère une diction parfaite et un goût pour l’interprétation. En 1999, la rencontre avec la pianiste et clarinettiste Virginie Rouxel l’incite à prendre le crayon. Pour Marion, c’est le déclic : « Prendre la parole et m’exprimer avec mes propres mots a été salvateur. J’ai compris que c’est là que je voulais être. » Ensemble, elles créent le groupe Paul et Robin, où Marion est à la fois auteure, compositrice et interprète. Après le départ de Virginie, elle est accompagnée par Étienne Mézière (violoniste, arrangeur, percussionniste et compositeur) et Jean Olier (pianiste, guitariste, compositeur et chanteur). Le groupe donne une centaine de concerts et enregistre trois albums de chansons réalistes en acoustique. Mais après sept ans de collaboration artistique, Marion a envie de faire évoluer son univers musical vers des sons plus modernes. Elle rencontre alors Édouard Leys (pianiste, compositeur, arrangeur), Éric Doria (guitare, basse) et Stéphane Stanger (batterie). C’est la naissance d’un nouveau projet plus personnel, qu’elle signe de son nom. Rapidement, ils conçoivent les quatorze titres de Je t’écris qui paraît en 2007 en autoproduction : « C’est un album de transition qui tâtonne, qui cherche. Pour moi les morceaux commencent vraiment à être intéressants à partir de Légère : nous avions trouvé notre son, notre énergie, qui a abouti à Land art. »

 

Marion Rouxin ©David Desreumaux – Reproduction & utilisation interdites sans autorisation de l’auteur

« J’ai été bercée par Barbara, Brassens, Nougaro… Cette grande famille a été importante dans ma construction et dans mon lien au texte. » Marion avoue cependant ne pas avoir d’influence musicale à proprement parler : « La musique des autres ne constitue pas ma source d’inspiration. L’écriture arrive en fonction de ce qui m’entoure, de ce que je vis, de ce qui va me plaire, me heurter, me révolter et me toucher. Je n’ai pas de volonté de me renouveler. Ça ne s’impose pas à mon esprit en ces termes. Mes albums évoluent en même temps que moi. » Ainsi, « Je t’écris était assez mélancolique et triste. Avec Légère, j’étais dans une volonté d’action vers quelque chose de plus rebondissant et avec Land art, c’est l’apaisement et l’exploration du lien avec la nature qui domine. L’album est né suite à de grandes balades immersives et contemplatives. » Quant à L’autre, la Rennaise confie qu’il a été plus difficile à concevoir parce que confrontée à « l’effet page blanche ». « C’était difficile car je souhaitais m’exprimer sur des questions politiques, notamment sur la question de l’émigration qui me rend dingue. Mais je ne voulais pas tomber dans la chanson engagée, frontale, qui pour moi a un côté donneur de leçon, une parole culpabilisante. Je n’avais pas envie d’être dans cet endroit-là. Je voulais rester dans une parole poétique. Ouvrir des fenêtres, raconter des histoires qui vont toucher en mettant de l’amour dans ces revendications-là. Dans De l’autre bout du monde, parler de la migration par la voix de quelqu’un qui a émigré et qui parle à son amour resté au pays en lui disant “je t’attends” me paraissait plus fort que de dire : “Laissons rentrer les gens.” » Land art annonçait déjà cette thématique, mais dans ce dernier album Marion explique être à l’endroit où elle voulait être avec cette prise de parole politique. Le disque est également chargé d’une revendication féministe parce qu’à quarante ans elle assume sa féminité et se sent plus proche des femmes que par le passé. Enfin, il y est également question de l’amour et de l’enfant, « cet autre toi qui t’élève et constitue une source d’inspiration forte et inépuisable ».

 

La recherche musicale

Pour ce pas discographique, Marion avait des envies de renouveau, de se mettre en danger, d’aller ailleurs. Elle abandonne alors la formation de groupe et opte pour le duo. L’idée est de gagner en légèreté, en intimité, en faisant une vraie place à la voix d’Édouard, notamment dans Météo marine. Afin de s’éloigner du traditionnel piano-voix, ils multiplient les sonorités en s’accompagnant de nombreux claviers (orgues, synthé basse…), de percussions rythmiques et surtout d’un vocodeur. Celui-ci donne une tonalité électronique à l’album qui accentue le contraste avec les précédents. « Il y a la voix organique qui impulse le son (avec des respirations, des petits bruits de bouche) et l’aspect synthétique qui crée à la fois une distance et une complémentarité. » Autres nouveautés, la réalisation et la production ont été confiées à Mael Loeiz Danion, un jeune Rennais venu du reggae qui donne sa couleur à l’album, et à Yoann Buffeteau qui signe le très réussi graphisme du disque. « Nous avions envie de surprises et nous en avons eu de belles. Je suis fière de cet album par les thématiques et la façon dont j’ai réussi à les aborder, autant sur le fond que dans la forme. »

 

Marion Rouxin ©David Desreumaux – Reproduction & utilisation interdites sans autorisation de l’auteur

Les petites bulles

En tant qu’intermittente du spectacle, Marion multiplie les expériences en parallèle à sa carrière de chanteuse. « Ça ouvre de petites bulles qui permettent de nourrir mes différents projets. » Elle est ainsi l’auteur d’un spectacle jeunesse gourmand intitulé Sur la nappe, en duo avec le guitariste Éric Doria, et fait également partie d’un trio vocal clownesque, Les Titanic Sisters, conçu pour le théâtre de rue. Le théâtre est d’ailleurs toujours présent en filigrane dans la démarche artistique de Marion, qui porte une grande attention à l’interprétation de ses albums. Elle suit des temps de résidence longs, allant de deux semaines à un mois, pour concevoir la création scénique. Ces temps constituent, pour elle, autant d’occasions d’échanges et de rencontres avec un public varié. Ce sont des « espaces qui nourrissent » et lui permettent d’avoir les premiers retours sur le travail en cours. Elle confie même qu’un des titres de l’album est issu de deux phrases d’un texte – « Je t’écris de là-bas, de l’autre bout du monde » – qu’elle avait produit lors d’un atelier d’écriture. Perfectionniste, elle n’hésite pas à faire appel à des regards extérieurs – comme celui d’Amélie-les-crayons – pour mettre en scène ses spectacles (Légères, Land art et L’autre). « Je ne suis pas une chanteuse qui improvise. Les créations lumières tout comme les enchaînements sont écrits et construits. D’ailleurs, dès la conception d’un album, je pense déjà à la manière dont il va être interprété. Je dis souvent que je pourrais me passer de l’album mais pas de la scène. Mes chansons existent pour être transmises, pour le spectacle vivant. » Qu’on se le tienne pour dit : c’est en scène que Marion Rouxin donne sa pleine mesure.

Dora Balagny


    Portrait paru dans le numéro 12 de la revue Hexagone.

 

 


Clio – Déjà Venise

En 2016, Clio faisait ses premiers pas discographiques sur la pointe des pieds, avec un album homonyme aux couleurs acoustiques appuyées qui lui seyaient plutôt bien. La voici de retour avec un second opus, Déjà Venise, dans une veine cédant davantage à l’air du temps, plus électro pop. Passée la surprise de cet instrumentarium fait de claviers et de boîtes à rythmes, accepté le renoncement à la chaleur des instruments en bois, on se fait à cet environnement qui finalement colle bien à la trentenaire et à ses sujets d’élection.

Les morceaux recèlent toujours des mélodies redoutables d’efficacité, mais Clio brille surtout par sa plume, par son sens accru de l’observation et sa capacité à dire beaucoup et fort bien en peu de mots. Au centre de cet album, les relations sentimentales – plus exactement les relations de couple – et ce qu’elles engendrent comme questionnements et remises en question : T’as vu interroge le doute, Déjà Venise évoque le déni de l’usure de la relation, Amoureuse relate le besoin « d’encre pour ses cartouches » en rapport avec la thématique de l’ennui, thématique qui atteint son paroxysme avec Sur les horodateurs. Car Clio c’est aussi une façon de dire, presque anodine, mais les mots tombent tel un couperet : « Je passe nos balades à regarder l’heure sur les horodateurs. » Cruelle, croyez-vous ? En chanson assurément. Mais dans son histoire d’amour, Clio serait Romy Schneider… (Romy S.)

David Desreumaux


  • Clio
  • Déjà Venise
  • un plan simple – 2019
  • Chronique parue dans le numéro 13 de la revue Hexagone.

Bastoon & Babouschka – La vie rêvée de Josiane

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Babouschka c’est Isabelle Sempéré : aux textes, à la voix modulable et à l’énergie. Bastoon c’est Sébastien Garniaux : à la guitare, au banjo, à la grosse caisse, aux chœurs et au cœur aussi puisque dans le titre Je t’aime elle lui écrit : « Tu sentiras ma fierté d’être tienne / Dans la sueur de nos mains jointes sur une scène ».

Dans ce troisième album des Rennais Bastoon & Babouschka, duo sur la scène et dans la vie, les chansons vont du drôle à l’émouvant, du général à l’intime sans oublier l’engagement. Comme dans la vie, celle de Josiane en l’occurrence. Du drôle avec la description de la soirée de Josiane aux 40 ans de sa copine, du drôle piquant quand elle se rêve en CRS. De l’émouvant avec un message à une mère partie (Marguerite). De l’intime avec Mon ange et Je t’aime. De l’engagement avec Je suis un . Et Oups, un titre insolite : 2’12, de la senza et un soupçon de guitare électrique pour neufs mots seulement (« Je suis désolée / Je suis désolée bébé /… / J’ai voté pour un banquier ». En moins d’une minute, Hamburger, sous l’apparence d’une forme légère, apparaît comme une critique de la société de consommation et le constat de notre déshumanisation.

Citons encore Ma petite boîte à musique, au contenu représentatif de cet album très agréable, riche et éclectique qui navigue entre acoustique et électrique, en embarquant de multiples couleurs musicales. Pour certains titres, le duo est enrichi musicalement par trois musiciens.

Michel Gallas


  • Bastoon & Babouschka
  • La vie rêvée de Josiane
  • Compagnie fil en bulle – 2019