Pierre Lebelâge, je l’ai découvert d’abord avec son album que quelques chroniqueurs avaient signalé avec enthousiasme réjouissant. Je l’ai vu ensuite sur la scène d’A Thou Bout d’Chant à Lyon. Il est rare, surtout chez un tout jeune artiste, de trouver tout de suite une telle concordance dans la réussite de l’album et de la scène. J’avais beaucoup de questions à lui poser et, à la veille de 2 beaux rendez-vous sur les scènes parisiennes, il a accepté d’y répondre…
Hexagone : Quels ont été tes premiers pas dans la musique ?
Pierre Lebelâge : J’ai appris la guitare tout seul, vers l’age de 15 ans, en parfait autodidacte sur une vieille guitare classique qui avait appartenu à ma tante et qui trainait chez ma grand-mère. J’étais d’une telle inculture en matière de musique que je ne savais même pas qu’il fallait accorder l’instrument. Je passais mon temps à gratter et à inventer des musiques en posant les doigts sur le manche et en mémorisant les positions de doigts qui créaient des sons harmonieux. Plus tard j’ai rencontré un pote musicien qui faisait le conservatoire et qui m’a lancé le sourire en coin quand je lui ai joué mes compositions: « t’es au courant qu’une guitare ça s’accorde ? Mi la ré sol si mi (les 6 cordes à vide de la guitare) ça te dit quelque chose ? » Il m’a filé un accordeur et le song book des Beatles (je n’écoutais que ça à l’époque) sur lequel on trouvait les diagrammes des accords utilisés. J’ai alors passé des mois à réapprendre la guitare de façon un peu plus conventionnelle en travaillant le répertoire des Fab Four. Plus tard j’ai accompagné un cousin, le seul musicien de la famille, un personnage qui faisait figure d’original et dont parlaient les anciens dans les repas de famille sur un ton un peu moqueur. C’était un formidable harmoniciste qui s’accompagnait très bien à la guitare et qui faisait la manche à la terrasse des bistrots. Il jouait des standards de jazz et de Bossa Nova qu’il me faisait étudier. J’en apprenais les accords compliqués aux sonorités nouvelles que je n’avais jamais entendues dans la Pop anglaise.
Hexagone : Comment es-tu devenu chanteur ?
Pierre : Dans ma famille on ne chantait pas. On ne jouait pas de musique non plus en dehors de ce cousin éloigné avec qui j’ai pris contact et lié amitié bien plus tard quand j’ai commencé à m’intéresser à la guitare. Je dois avouer que ça n’a jamais été une véritable vocation chez moi de chanter. J’étais un garçon pudique et très réservé, avec une timidité pas piquée des coccinelles comme on dit. Enfant je n’étais pas du genre à singer le chanteur à la mode devant le miroir de la salle de bain avec la brosse à cheveux de ma mère en guise de micro imaginaire. Autant dire que je partais avec un sérieux handicap ! Lorsque je suis monté à Paris avec mes premières chansons, il y a environ quatre ans de cela, pour participer à la finale du concours « Vive la reprise » auquel ma femme m’avait inscrit, je pensais surtout proposer mes titres à des interprètes. Ce soir-là j’ai été remarqué par mon producteur Didier Pascalis qui m’a proposé de signer un contrat d’enregistrement et de produire ce qui allait devenir Babel, mon premier album. Je me rappelle de son étonnement quand je lui ai annoncé que je ne voulais pas chanter. Il m’a dit : « Tes chansons sont très personnelles. Tu as un univers atypique et décalé qui ressemble à ton personnage. On sent très bien que tu racontes ta vie dans tes chansons. En plus de cette singularité tu as une timbre de voix vraiment particulier. Pour moi c’est une évidence, c’est toi qui dois défendre tes textes. »
Hexagone : Quand et comment as-tu écrit tes premières chansons ?
Pierre : J’ai écrit ma première chanson, Le Cas Sandra, il y a environ cinq ans pour illustrer une séquence du court métrage d’une amie qui m’avait alors demandé d’en composer la musique. Comme je n’y arrivais pas, j’ai essayé de contourner le problème en racontant le film sous la forme d’une chanson. C’était la première fois que j’écrivais des paroles et cette expérience nouvelle m’a beaucoup plu. J’avais déjà mis en musique les textes d’un ami avec qui je jouais dans un groupe de reprises ainsi que des poèmes de Tristan Corbière et de Clément Marot, mais je n’avais jamais vraiment eu l’idée d’écrire des textes personnels pour les mettre en musique avant ça. Le court métrage n’a pas été primé mais quelques mois après j’ai eu la surprise d’entendre ma chanson sur les ondes de plusieurs radios associatives qui avaient isolé le titre de la bande son pour le diffuser malgré une qualité d’enregistrement des plus médiocres. J’avais enregistré ça sur mon ordi avec un micro que j’avais emprunté au club du troisième age de mon patelin ; un vieux micro plein de poussière et cabossé qui n’avait jamais servi qu’à annoncer les chiffres gagnants lors des soirées loto de mon village. C’est ce petit succès inattendu qui m’a encouragé à écrire d’autres chansons.
Hexagone : Te souviens-tu de ta première scène
Pierre : La première fois que je suis monté sur scène pour chanter mes chansons, c’était au théatre de la Rencontre de Perpignan, je ne risque pas de l’oublier. J’allais aux soirées poésie organisées par le Cercle des Authentiques Cabochards de l’If d’Elne, un groupe d’artistes plasticiens, d’écrivains et de poètes qui a publié pendant près de quinze ans une revue formidable appelée La Licorne d’Hannibal (aujourd’hui cette revue existe sous la forme d’un blog. Ils savaient que j’écrivais des chansons mais comme je n’osais pas les chanter lors de ces soirées personne ne savait vraiment à quoi elles ressemblaient. Un jour, mon ami le peintre Gilbert Desclaux m’a dit : « Avec la revue on va louer un petit théatre pour organiser une soirée chanson dans un mois. » Je lui ai répondu que c’était une très bonne idée mais quand je lui ai demandé qui allait y chanter il m’a lancé en tirant sur sa pipe : » Ben toi ! « puis après un long silence : « Comme ça au moins on pourra les entendre tes chansons ! » C’était un vrai traquenard mais c’était fait avec une telle générosité de leur part que je ne pouvais pas refuser.
Je me rappelle avoir eu la trouille de ma vie ! Je comptais les jours qui me séparaient du concert fatidique en me disant que je n’y arriverais pas. J’ai partagé la scène avec trois autres auteurs compositeurs interprètes ce soir-là. Le concert s’est bien passé et j’en garde un souvenir très ému. Quelques mois après, je partais pour la finale du concours Vive la reprise.
Hexagone : Quelles sont les rencontres marquantes que tu as faites depuis que tu es dans le métier ?
Pierre : C’est indéniablement Allain Leprest qui m’a le plus marqué. J’ai eu la chance de faire quelques unes de ses premières parties. Je n’ai que très peu échangé avec lui. Je me contentais de l’écouter et cela m’allait très bien car le bonhomme était impressionnant. Je l’ai beaucoup observé aussi sur scène. C’était fascinant à chaque fois. Allain était un magicien des mots, un très grand poète. Chaque fois que je le rencontrais je savais que j’étais en présence d’un géant ; j’avais l’impression de passer une après-midi avec Verlaine ou Baudelaire.
Hexagone : Peux-tu me raconter l’histoire de ton premier album ?
Pierre : Après Vive la reprise, j’ai enregistré mes quatre premières chansons en guitare voix chez mon producteur Didier Pascalis. Par la suite il m’a présenté Thierry Garcia qui avait aimé les maquettes et qui avait envie de faire les arrangements. On a longtemps discuté des sons et des disques que j’aimais (ceux de Thomas Fersen et de Mathieu Boogaerts). Jusque là on avait surtout mis l’accent sur mes textes. Thierry est le premier à avoir souligné le coté mélodique, presque pop, de mes chansons et à écrire les arrangements dans ce sens-là. J’ai pris mon temps pour écrire toutes les chansons de l’album, patiemment. Lorsque je revenais à Paris pour faire des premières parties, j’en profitais pour enregistrer une ou deux nouvelles chansons toujours en guitare voix et Thierry les habillait au fur et à mesure. Il m’envoyait ses propositions et je validais ce qui me plaisait. Comme c’était un premier disque l’équipe souhaitait ouvrir le plus possible musicalement. De très bons musiciens ont participé à l’enregistrement, des gens comme Tony Ballester et Didier Guazzo pour ne citer qu’eux et qui ont joué sur tant de disques que j’écoutais plus jeune. Sans oublier Thierry Garcia, dont la réputation n’est plus à faire, aux guitares.
Hexagone : Es-tu satisfait de la façon dont il a été reçu ?
Pierre : Le disque a tardé à sortir car les premiers retours étaient mitigés. J’avais attiré l’attention des gens du métier comme Claude Lemesle et Maxime Le Forestier qui me reconnaissaient un vrai talent d’auteur mais les médias ne nous suivaient pas. Les radios qui avaient reçu une version 5 titres de l’album ne croyaient pas au projet. Lorsqu’elles répondaient c’était pour dire que les chansons étaient atypiques et l’univers trop décalé, pas dans l’air du temps et souvent que c’était trop littéraire pour passer sur leurs ondes. On est resté comme ça pendant un an à attendre qu’il se passe quelque chose. Une grosse période de doute pour moi. Mon producteur me disait : « Tout va bien Pierrot ! On change rien. Continue à écrire. Y a juste à attendre qu’ils s’habituent à ton style ! » Lorsque Philippe Meyer a passé « Quelle mouche a piqué mémé » dans son émission sur France Inter, ça a changé un peu la donne. L’après-midi on recevait pas mal de messages d’auditeurs qui demandaient où on pouvait se procurer le disque. On a alors décidé de le sortir en se passant du soutien médiatique qui nous faisait défaut. C’est pour ça qu’il n’y a pas eu de véritable sortie d’album à ce moment-là. Le distributeur en a placé chez les disquaires et le bouche à oreille à commencé à se faire. Quand les disquaires l’ont rappelé pour recommander des exemplaires on a compris qu’on commençait à toucher un autre public que celui qui m’avait entendu sur scène. Deux mois après, on a eu la belle surprise d’entrer dans le classement des radios Quota, un ensemble de 17 radios locales et associatives qui, depuis vingt ans, ne diffuse que de la chanson francophone et où des artistes autoproduits côtoient des artistes plus renommés. Ils nous ont écrit pour nous dire qu’ils souhaitaient programmer cinq titres de l’album sur leurs ondes. Les programmateurs adoraient le disque. Je suis entré directement à la cinquième place du classement. Deux mois après j’étais l’artiste le plus diffusé des radios Quota ; j’ai occupé la première place pendant huit mois consécutifs. C’était une vrai récompense pour nous, pour toute l’équipe de TACET (ma maison de disque) qui croyait au projet depuis le début.
Hexagone : Peux-tu nous parler de tes 2 concerts parisiens de février ?
Pierre : Le 15 février j’aurai le plaisir de chanter à la Cigale en première partie de Mec !, le spectacle de Philippe Torreton dans lequel il dit les textes d’Allain Leprest.
Le 19 février je jouerai l’intégralité de mon album aux Trois Baudets, dans une toute nouvelle formule (avec Johanne Mathaly au violoncelle et Eliott Weingand à la guitare électrique). J’adore cette salle. Les fauteuils y sont rouges et confortables et on a prévu quelques surprises. Bref ce sera comme chez Drucker mais en mieux !
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Bel entretien, bien conforme à l’authenticité du talent de Pierre Lebelâge!
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Christiane Delacourte
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