Du 12 au 18 août dernier se déroulait la 13ème édition du Festival DécOUVRIR de Concèze, en Corrèze. Tu ne l’ignores pas Hexagonaute, toi qui lis ces pages avec délectation comme un premier communiant fait son beurre de Missel, tu ne l’ignores pas dis-je puisque tu as pu suivre nos pérégrinations. Aujourd’hui, le festoche a plié boutique et tire des plans sur la comète pour 2016. Nous, à tête reposée et jacqueline digérée (la jacqueline est un petit apéro local à base de framboise pas dégueu mais il faut faire gaffe aux excès quand même), on peut revenir sur les moments qui ont marqué plus spécifiquement nos hexagonales portugaises.
Avant de parler chanson et artistes, il est bon de rappeler la qualité de l’organisation, le dévouement, le sens de l’accueil et de l’hospitalité qui règnent dans cette bourgade. Sous l’impulsion de Matthias Vincenot, inventeur et chef d’orchestre du festival, c’est 10% de la population qui jouent le jeu du bénévolat pour que cet évènement local soit encore plus réussi chaque année. Tous sont investis et aux petits soins pour tout le monde. Thomas More avec son utopie n’aurait sans doute pas rêvé mieux.
Les artistes donc. D’abord, il y a des artistes qui viennent guitare au dos et qui s’accompagnent tout seuls comme des grands. Ce n’est pas la majorité et tu te doutes bien que ça tournerait vite à la monotonie un festival de 7 soirs en guitare-voix. Donc, pour accompagner les artistes qui viennent seuls (pour raisons budgétaires ou pas), Concèze a inventé l’Ensemble DécOuvrir. Comme le nom l’indique, c’est un ensemble musical, dirigé avec maestria par Etienne Champollion (En photo de une). Tous les jours debout à l’aube, couché pas de bonne heure, le gaillard tripote des instruments de musique entre 15 à 20 heures par jour durant le festival. C’est lui le métronome en gros. Ce type est étonnant et Matthias Vincenot ne manque jamais de rappeler que « sans Etienne, le festival ne pourrait pas exister. » C’est aussi simple que ça… L’Ensemble composé d’Etienne aux pianos et accordéon rassemble également tout ce qu’il faut en bois et cordes classieuses pour que ça pète quelque chose de sympa : violons, contrebasse, violoncelle, clarinette, etc. Une petite dizaine de musiciens pour habiller les répertoires aussi variés et décalés que sont ceux de Clarika et Bernard Menez par exemple. L’Ensemble, c’est aussi un support de luxe pour les poètes et comédiens qui viennent dire leurs textes, ou les poèmes des autres. T’as compris Hexagonaute, t’es pas plus bête qu’un autre, l’Ensemble DécOuvrir est non seulement essentiel à la pérennité du festival mais il en donne le sel, sa saveur singulière.
Des poètes, des comédiens, des chanteurs. Des jeunes en devenir, des confirmés, des vieilles gloires qui pour certaines surfent sur un tube ou deux qui leur a donné du lustre à tout jamais. C’est cela le pari réussi de DéCouvrir. Son Mistral Gagnant. Festival gratuit, il accueille pour l’essentiel un public local qui n’a cure des têtes d’affiche que s’arrachent à prix d’or les festivals en mal d’imagination de programmation. Ici, à Concèze, on a un budget modeste alors on réfléchit. On privilégie le facteur humain, le relationnel franc et sincère qui permet d’aboutir à une programmation de qualité, articulée avec discernement. Certes, comme on dit souvent à l’emporte-pièce, il en faut pour tous les goûts pour remplir la salle tous les soirs. Du coup, il y en a pour tous les goûts. C’est éclectique. Tu ne peux pas tout apprécier et tout aimer ou alors c’est que t’as pas de sens critique. Mais en vrai, c’est pas grave et c’est plutôt bien même. C’est le principe. Mélanger les genres, les générations. Ce qui se crée dans et autour du festival est tout aussi important et intéressant que ce qui se passe sur la scène. Chanteurs, poètes, public se rencontrent autour du verre de l’amitié et les différences si criantes il y a encore 30 minutes s’estompent et s’oublient. C’est de la magie tu crois ?
Bon, dans tout ça, on a aimé quoi alors que tu te demandes et que tu t’agaces. Ok ok, je vais te le dire. Je ne te fais pas de classement, tu te souviens peut-être que je déteste ça de mettre des notes, ça me rappelle mes traumatismes scolaires. Mais il y a eu des découvertes pour ma part, des confirmations aussi. Au rayon des découvertes sur scène, j’ai pris deux baffes XXL. La première, au second soir, à Tulle, avec Inès Désorages. Jeune, discrète, elle maîtrise sa guitare à peu près aussi bien qu’elle est habile avec un crayon et les mots. Ses textes sont ceux d’une auteure qui aurait déjà repassé plus de cent fois l’ouvrage sur le métier. C’est carré, malin, bien fait et sait causer de situations douloureuses avec tact et inventivité.
Second uppercut dans ma face, c’est Eric Guilleton. Comme Inès, je ne le connaissais que sur Internet. Tu vois le niveau de la fréquentation, c’est pas génial. J’attendais donc son concert impatiemment. J’aurais pu être déçu, tu sais ce que c’est de trop attendre une chose, on finit par la fantasmer et à l’arrivée t’es déçu. Là, en quelques notes et quelques mots le garçon m’a embarqué dans son univers. Un voyage en Guilletonie. Sublime, habité, présent et évanescent à la fois. Le jeu de guitare est pur, racé sur une Favino qui sonne d’enfer. La voix est limpide et traîne des accents qui rendent hommage au Nougaro de la ville rose. On y entend parfois comme un écho de Jehan également. L’écriture à présent mazette. Mais quelle écriture ! Ca joue sur les sons façon orfèvre comme le père Claude que j’évoque juste au-dessus. Celui-là, le Guilleton, tu vas le retrouver pas tard dans tes colonnes préférées, crois-moi !
Alors, après, il y avait quoi de bien ? Ah oui, dans les comédiens, j’ai beaucoup aimé Antoine Coesens. Le bonhomme déjà. On co-gîtait et j’ai eu le temps de découvrir une merveille d’être humain. Mais l’artiste également. Ses talents d’interprète notamment. Le soir de la première à Pompadour, pour le lancement du festival, il a chanté Je suis comédien de Debronckart et Ma France de Ferrat. Cette dernière est devenue l’hymne du festival à tous les afters. Cet Antoine, j’aimerais bien le voir chanter un peu plus souvent et je me dis qu’il y a peut-être un truc à imaginer dans La Blackroom. Pour finir sur les poètes et comédiens, de belles trouvailles d’écriture, de l’humour et de l’engagement dans les poèmes de Matthias Vincenot, puis une force, un trouble et un remède dans la poésie intestine d’Hervé Annoni. Un grand moment également le 15 août avec le spectacle de François Rollin qui venait dire des poèmes de Victor Hugo. Une écriture exigeante et remarquable mise en valeur par un interprète au service du texte. Après Hugo, Professeur Rollin a marqué les esprits.
Ensuite, sans surprise, Clarika et Emilie Marsh qui passaient le même soir et dont je t’ai déjà causé ont assuré grave aussi. Plaisir également avec Jules Nectar, Clémence Chevreau (du groupe Mèche) et avec Tomislav et Garance. Mention spéciale à Tomislav sur ce set joué entièrement à l’électrique, très dynamique, péchu et avec une version tout en retenue de Au fond. Très chouette moment. Beau voyage également avec Baptiste W Hamon et Alma Forrer dans une veine country folk que je chéris tout particulièrement.
Au rang des surprises puisqu’il en faut toujours une ou deux, je citerais Christian Fougeron, ex du célèbre groupe Raft qui chantait Yaka dansé dans les années 80. Otage de mes idées pré-conçues, je m’attendais à passer 45 minutes d’ennui et il n’en a rien été. Fougeron sort un set à la guitare acoustique, plutôt dépouillé et l’on perçoit un garçon qui écrit des chansons tout à fait dignes d’intérêt qui ne laissent pas l’engagement dans le placard. Seconde surprise et pas des moindres avec François Corbier. Je pensais entendre des chansons un peu bê-bêtes, tout droit sorties d’une émission de télé. Oh quelle belle surprise de découvrir ce grand gamin plein d’esprit et d’humour ! Chansons courtes, chansons longues, le fil conducteur est le goût du mot, de sa mise en bouche. Chez Corbier, rien ne doit s’entendre au premier degré, il n’y a pas d’actes gratuits. Durant ce concert, me sont revenues en mémoires les vieilles et bonnes chansons de Patrick Font. Ca remonte à très loin cette histoire mais il y a un cousinage musical et libertaire me semble-t-il. C’est un compliment, Hexagonaute, sois-en sûr. Voilà, Concèze c’est fini pour cette année. Matthias, si tu cherches un gars qui fait des photos pour la session 2016, je me mets sur les rangs.