Carte(s) blanche(s) au généreux Suhubiette

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Suhubiette au BijouPour clore le programme de la saison en beauté, Le Bijou s’offre – et nous offre – une carte blanche de trois jours à Hervé Suhubiette. Quelle bonne idée ! Hervé, une des figures de la scène chanson toulousaine, en profite pour sortir de sa manche, et sans tricher, non pas une, mais TROIS cartes blanches, trois spectacles différents ! Créatif, généreux et partageur le concept de carte blanche lui va bien : c’est l’occasion idéale pour inventer des moments inédits et pour partager la scène avec des amis ! Le 24 juin, jour de fête nationale du Québec, avec la chorale Voix Express, plus de quarante choristes, il embarque pour un voyage au cœur de la chanson de là-bas : de Gilles Vigneault à Pierre Lapointe et Klô Pelgag en passant, entre autres, par Charlebois, Diane Dufresne et Beau Dommage. Je ne t’en dirai pas plus : je n’étais pas là.  Allez si je t’en dis un peu plus : c’était complet ! (et en fait maintenant tu sais pourquoi je n’étais pas là.)

Photo Michel Gallas
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Les 25 et 26 juin, la même affiche chaque soir mais avec deux spectacles différents. Un à 19h, l’autre à 21h30 et le premier gratuit. Généreux le Hervé j’te disais ! Et ce coup-ci j’ai réservé à temps. Je me suis fait avoir un jour, ça suffit ! Au programme : Il était un piano noir lecture musicale autour de Barbara. Claude Fèvre, habituelle chroniqueuse du site Nos enchanteurs, quitte son cahier de notes pour un cahier de lecture et son rôle de spectatrice avisée dans un fauteuil pour celui de l’artiste sur un tabouret haut. Elle nous lit des extraits du livre de mémoire de Barbara et Suhubiette, admirateur de l’artiste, intercale des chansons choisies. J’ai vécu, quelques années auparavant, un moment similaire lors d’un Marathon des mots à Toulouse où Jeanne Cherhal, dans le superbe cadre du cloître des Jacobins, jouait à la fois le rôle de la lectrice et celui de la pianiste chanteuse. Un beau souvenir. Mais ce soir nous vivons un moment vraiment mémorable et encore plus chargé d’émotions.

Photo Michel Gallas
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La construction de cette lecture la transforme en un vrai et beau spectacle. Une répartition fluide entre le chant et la lecture. Les chansons répondent aux textes un peu comme dans un dialogue. La voix de Barbara est présente au début et à la fin. Le texte est plus su, ingéré, et offert avec sensibilité que simplement lu : c’est le talent de la lectrice, je veux dire de l’actrice et de la femme. Suhubiette a choisi une grande part des chansons méconnues (Ma maison, Je ne sais pas dire, Là-bas, O mes théâtres), voire inconnues – en tout cas de moi – et souvent plus légères que les standards. Choix qui se révèle pertinent. Il s’approprie les chansons, comme il sait le faire, comme si c’était son répertoire. Quelques extraits plus connus (Quand tu reviendras, Göttingen, le bois de Saint-Amand) sont distillés, notamment sous forme d’un  petit panachage (medlley ça ne se dit pas sur un site de chanson francophone) ! Quand le texte est suffisamment explicite, le contrepoint est uniquement musical comme pour Nantes et Ma plus belle histoire d’amour. Choix judicieux aussi pour les textes. Les passages lus donnent à entendre les étapes représentatives. Ils  nous font voir quelques images significatives comme dans l’album photo d’une vie  : Precy sa dernière demeure, la petite enfance et les rêves de pianiste, l’enfance à Marseille, la grand-mère, la relation avec le père, l’envie de piano noir et de la chanson, Bruxelles, la mort du père, le besoin d’écrire, l’amour de la scène « qui fut ma manière privilégiée d’aller vers les autres », et le bilan de sa vie (le dernier mot prononcé du texte sera « j’étais une femme heureuse »).

Photo Michel Gallas
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Et on entend aussi la belle écriture de Barbara simple, directe, précise où chaque mot est à sa place. La dernière chanson (et quelle chanson !) L’enfant laboureur sera suivie de la voix de Barbara issue d’interviews. Un beau moment je disais en introduction : le plaisir du texte et des chansons, la grande qualité du duo qui les met en valeur. On quitte la salle avec l’envie de (re)lire le livre des mémoires de Barbara et de (re)écouter ses chansons. On souhaite à ce spectacle de vivre en dehors de cette carte blanche, qu’il prenne son envol et remplisse d’autres spectateurs d’émotion, de respect et de plaisir comme ce soir là. On souhaite aussi à Claude Fèvre de continuer de nous offrir ses lectures musicales (celle du Printemps des poètes avec Frédéric Bobin et Vivarés a aussi marqué les spectateurs qui m’en ont parlé).

Photo Michel Gallas
Photo Michel Gallas

Et puis le spectacle de 21h30. Qui dit carte blanche, dit souvent invités ; dès l’entrée en scène, Hervé nous présente les siens et chante avec Lucas Lemauff (lui on ne te le présente plus sur Hexagone), Marie Sigal (chanteuse toulousaine), Claire Suhubiette (chef de chœur d’Archipels), et Marin (chanteur toulousain qui met souvent en musique et en scène des textes de poètes ou auteurs) accompagné par Frédéric Cavallin à la batterie et aux percussions. Sa carte blanche est construite en trois parties. D’abord des reprises de chansons qu’il apprécie, ensuite des reprises de titres … d’Hervé Suhubiette et enfin des « recréations » du répertoire de Nougaro. Programme copieux au menu savoureux élaboré avec amour, inventivité et sens du partage et qui dévoilera de très  beaux moments de scène et d’émotion. Pour la partie reprises, je garderai longtemps en mémoire cette pépite d’André Minvielle De dame et d’homme en duo ce soir là avec Lemauff au clavier. Et aussi La rue Watt superbe chanson d’ambiance inconnue – par moi en tout cas – de Boris Vian. Remarquée aussi « Une vieille chanson de Gainsbourg chantée uniquement par Gréco » Il était une oie avec son refrain « la boutique était fermée semaine, dimanche et jours fériés » faite en duo avec Marin. Pour les reprises de ses propres chansons il a choisi des arrangements ou une formation différente comme par exemple Le charme où ses invités assurent les chœurs et … assurent vocalement. Dans son répertoire on reconnait cette préférence pour les portraits ciselés, les petites histoires conçues comme on écrit des nouvelles, parfois surprenantes, toujours humaines. Par exemple, l’histoire de Simone, L’orgiaque foraine qui, sur le tard, expose son œuvre d’objets curieux et enfantins «après toutes ces années de patience, ça y est je l’ai eu mon enfance ». Bien sûr la très touchante Le piano de grand-mère, où il décrit l’histoire du piano de sa famille, sur lequel il jouait à six ans, et qui finira éventré au milieu de gravats. Cette chanson est jouée à quatre mains avec sa cousine Claire (« demain on la jouera à 6 mains » et ce sera avec son frère Joel.). Et aussi ce soir L’oiseau la promenade curieuse d’un fils et de sa mère : « culotte courte et chemisette, socquettes blanches dans les baskets, au bras de sa mère grabataire un jeune puceau sexagénaire.»

Photo Michel Gallas
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La partie Nougaresque démarre par Rimes et au cœur de celle-ci, tout d’un coup, retentit tout autour de la salle des voix, une vingtaine de chanteurs étant répartis sur le fond de la salle et sur les côtés. Bel effet de surprise. Petit choc lié à la beauté vocale du choeur Archipels dirigé par l’énergique Claire Suhubiette. Et c’est parti pour une petite heure de grand plaisir. Avec, entre autres, des chansons qu’Hervé Suhubiette avait enregistrées dans son album Recréations Nougaro avec le groupe de jazz libre Pulcinella : La trapéziste, L’école de danse. Ces morceaux sont repris ici avec le choeur Archipels. Cela me permet de t’évoquer deux caractéristiques évidentes de Suhubiette. D’abord son amour de la chanson, sa curiosité et son envie de partage. Il déniche une chanson peu connue et superbe qu’il apprécie et s’approprie ; puis il la partage avec son public et souvent avec d’autres chanteurs et musiciens.

Photo Michel Gallas
Photo Michel Gallas

Ensuite l’autre caractéristique c’est l’envie et la capacité à concocter des arrangements nouveaux, et ce soir là des arrangements polyphoniques. Par exemple Le coq et la pendule, une des mes préférées, est formidablement mise en valeur avec Archipels. Mais nous n’étions pas encore à la fin des réjouissances et deux morceaux de choix arrivaient. Avec d’une part l’interprétation magistrale de L’aspirateur – même si je suis un inconditionnel de Nougaro je ne connaissais pas ce morceau – fantaisie jubilatoire que Suhubiette dit « vouloir chanter depuis quinze ans ». Et d’autre part Toulouse, offert comme si c’était une nouvelle chanson, là aussi dans des arrangements polyphoniques superbes.  Une soirée « joyeux bazar » dit il. Hervé Suhubiette, en solo, en duo, à quatre et avec les choristes. Beaucoup de talent sur scène. Une belle soirée, riche et d’une forte intensité, un vrai régal pour un spectateur. Plus de deux heures de concerts. Généreux j’te redis. Mais pas que : on sent le goût du « travail », et  une forte énergie renouvelable et renouvelée.  Il a donné, lors de ces cartes blanches un nouveau bel exemple de son sens du partage et son envie (besoin ?) de créer, inventer, proposer de nouveaux arrangements et de nouvelles directions musicales. 

Photo Michel Gallas
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Cet artiste, toujours en projets, toujours à l’affût de nouvelles aventures, n’a pas été généreux que sur ces 3 jours cette année avec les toulousains. On l’a vu aussi au mois de mars à l’Espace Croix Baragnon et Chez ta mère. Et là aussi pour deux autres spectacles encore différents. D’abord à l’Espace Croix Baragnon, en quintet, lui au piano souvent, avec deux violoncellistes, un saxophoniste et Cavallin batteur percussionniste. Avec la participation au choeur et au chant de Lucas Lemauff sur 3 chansons ; Lucas à qui il a offert, ce jour là, une première partie pour ce qui reste à ce jour sa seule prestation en solo sur scène. Cette belle équipe de musiciens a coloré les chansons de teintes musique de chambre, jazz, musiques du monde, du plus classique au plus dissonant. Quinze jours plus tard, autre spectacle inédit, Les chansons des autres, conçu uniquement pour deux soirées “Chez ta mère”. En piano solo, il nous parle de son amour des chansons et des artistes. Il nous invite à partager des chansons qui l’ont marqué, des auteurs et musiciens qu’il affectionne. Et bien sûr il fait participer trois artistes chaque soir.

Photo : Michel Gallas
Photo : Michel Gallas

Hervé Suhubiette on l’aime bien à Hexagone tu peux lire le reportage sur son dernier concert parisien à l’automne dernier ou écouter et voir une de ses chansons Le charme, captée à Toulouse l’an passé. Curieux et amoureux de la chanson, il fait partie des artistes que l’on voit souvent aux concerts des autres. Début juin par exemple il était au Bijou (déjà !) pour le concert de Presque Nous et, à la sortie, il est venu féliciter Thibaut Defever pour son dernier album. L’autre soir, pour revenir au Bijou, il a terminé son concert, comme souvent, par La dernière. Dans ce titre, il nous confirme sa vision de la chanson  «Toutes ces chansons dis à quoi ça sert ? Est ce que cela peut balayer la poussière Bousculer les idées reçues Faire valser les ornières Est ce que c’est dérisoire est que c’est indécent est  que c’est salutaire ?  Et si chanter une chanson c’est juste poser une pierre et bien ce ne sera pas ma dernière ». Hervé, Il n’est pas question que ce soit la dernière ! On attend d’autres chansons, d’autres aventures, d’autres émotions, d’autres partages. En bref : d’autres soirées comme celle-ci !


25 juin 2015 Le Bijou  (Toulouse) – Il était un piano noir lecture musicale Claude Fèvre – Hervé Suhubiette

Carte blanche à Hervé Suhubiette avec Claire Suhubiette, Marie Sigal, Lucas Lemauff, Marin, Frédéric Cavallin et les choristes d’Archipels . 

Rappel : clic sur la photo et hop elle s’agrandit ! 

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