Tomislav, nouvel EP. Qu’est-ce qu’il a au fond ?

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Tomislav-890Tomislav vient de sortir un nouvel EP, intitulé tout en simplicité Tomislav. Six nouveaux titres qui viennent en fidèles héritiers de l’album précédent, Avant le départ, paru en 2012.

Fidèles héritiers mais pas de consanguinité dans le travail de Tomislav. La voie est la même – jamais racines ne s’arrachent – mais sur ce savoureux exercice (trop court, forcément trop court) le gars de Montreuil ne nous parle pas que des autres. Ce garçon qui vient du rock et des écorchures du blues et qui s’est construit musicalement à l’appui des griots d’outre-atlantique qui n’avaient de cesse de chanter et de raconter les déracinés et les exilés, ce garçon donc, ce Tomislav ne renie rien du tout mais il introduit ici une part de biographie personnelle dans des chansons à dimension universelle. C’est un joli tour de force.

D’autant plus joli que ce tour de force est réalisé à quatre mains, avec le complice Benjamin Bouffay qui s’est collé à 3 trois des six textes de l’EP. Et de façon presque inattendue, les bribes biographiques, lâchées avec parcimonie, se trouvent aussi bien dans les textes écrits par Tomislav (Intro, Au fond et Samedi soir) que dans ceux écrits par Ben Bouffay (Montréal, NYC Solitaire et Jeanne). Ce dernier se glisse dans la peau du chanteur avec une aisance remarquable et écrit en son nom pour un résultat assez bluffant. Sur NYC Solitaire par exemple où le personnage principal quittant sa mère et sa ville de Montreuil n’est ni plus ni moins que Tomislav Himself. Lui le Montreuillois, admirateur immodéré de cette musique américaine, de ces grands espaces. Sur ce morceau où Bouffay peint un Tomislav au regard de gamin qui découvre la grosse pomme, c’est toute l’Histoire rêvée de Tomislav qui trouve son aboutissement, lui le gosse qui jadis passait des heures et des heures à écouter et singer Springsteen. « J’étais comme un gamin au milieu de Time Square / comme un môme de 17 printemps devant sa toute première… J’me raconte des histoires d’Amérique / Dans les rues, les ruelles / Dans les briques de la 13ème Avenue / Dans le ciel, dans les yeux des New-Yorkaises. »

Springsteen disais-je. Bien sûr. Evidemment. Samedi soir est très springsteenienne dans sa construction et dans ce qu’elle raconte. Portraits et univers laborieux,  pour un « Qui sait c’que nous réserve samedi soir / Une nuit à courir après nos rêves » qui résonne un peu comme le Dancing in the dark de Springsteen revisité par Tomislav dont on ne soulignera jamais suffisamment la proximité vocale avec le boss dans ce timbre écorché. Du rêve américain, le parallèle à un rêve français est vite fait. On trime autant là-bas qu’ici et on cherche à oublier des quotidiens blafards en boite de nuit le week-end, on cherche à séduire les filles parce que depuis la nuit des temps on veut séduire les filles.

Les filles, toujours les filles, motif très présent chez Springsteen comme chez Tomislav. Biographie, j’annonçais tout à l’heure. Certes, mais avançons-nous un peu plus avant pour lorgner du côté du terrain de la psychanalyse. Avec une chanson comme Au fond notamment. Sur ce tube en puissance, c’est un Tomislav tout en questionnement que l’on découvre, l’artiste laisse place à l’homme qui se met à nu autour d’une interrogation sur ses propres valeurs et désirs. Mise à plat sur un divan : « Je vis avec une femme à qui j’ai tout promis / Mais plein d’autres crois-moi me font toujours envie / Comment j’me débrouille avec ça ? / La petite voix qui hurle sans fin dans ma tête / Me rappelle toutes mes luttes et surtout mes défaites / Mes renoncements, ma peur du choix » constate-t-il avant de s’interroger au refrain : « Qu’est-ce que j’ai au fond ? / Qu’est-ce que je traine ? / De bon de moins bon ? / Héros flamboyant à la petite semaine / Au fond, Qu’est-ce que je traine ? / Du courage, du bidon ? / Les ailes d’un géant dans un grain de pollen ? »  Tomislav interrogeant là ses pulsions, pulsions de vie, pulsions de mort pour le dire à la Freud, montre certes que l’on peut faire entrer avec brio la psychanalyse en chanson mais surtout que pour faire une chanson qui reste (agréablement) en tête, il n’est pas indispensable d’y coller de niaises paroles.

Ce mini-album comprend 6 titres dont certains travaillés et enregistrés avec JB Pétri à la basse et contrebasse. A l’arrivée, un bon équilibre textuel et musical. Plutôt rock sur Au fond et Samedi soir, entre-deux sur NYC Solitaire et plus ballade avec IntroJeanne et Montréal en duo avec Garance. Une Garance que l’on retrouve aux choeurs sur 2 autres morceaux (NYC Solitaire et Jeanne) et qui apporte à la fois féminité, douceur et presque une fragilité en opposition à un Tomislav affirmé qui déploie une détermination et une énergie tirées de sa voix grave et rockailleuse qui fonctionne à merveille et apporte une profondeur aux textes. Face à une forme de fragilité voulue dans la voie de Garance, Tomislav réplique et donne l’équilibre par une force réconfortante. A y regarder de près, on peut prétendre que c’est l’album d’un grand timide qui se questionne, qui met quelque peu sa pudeur dans le tiroir et qui se lâche et se laisse déborder par ses sentiments parce que la musique prend le dessus. La musique, plus forte que tout le reste et qui sert à exprimer le difficile à dire, qui permet d’affronter l’intime et libère les questionnements voire les petites névroses.

Tomislav est un rare chanteur hexagonal dans ce registre à parvenir à mêler les univers, à les fondre, à utiliser ses fragments originels pour coudre une oeuvre personnelle qui n’est pas du Canada Dry. A partir d’une culture folk et blues américaine, héritée des plus grands, Tomislav fait siennes les thématiques des chroniqueurs du pays de l’Oncle Sam. A cela, il conserve les racines musicales sur lesquelles il accroche des textes qui avec leur air de ne pas y toucher non seulement racontent finement des situations et peignent efficacement des portraits mais aussi – et ce n’est pas moindre détail – s’adaptent à ce rythme et cette musicalité anglo-saxonne qui réclament une métrique et un placement précis. Tomislav réussit là où beaucoup n’osent pas aller et où les autres se cassent les dents. Respect.


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