Les idiots à Pause Guitare

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© Michel Gallas

Cette année, au festival Pause Guitare, te disais-je le mois dernier, j’ai décidé de te parler plus particulièrement de la chanson qui ose dire les choses, frontalement, qui évoque le monde comme il va … pas bien ; de t’évoquer la chanson qui ne se contemple pas le nombril, qui ne se morfond pas dans les amours ratés. Parce que la chanson engagée, la chanson « rentre’dedans » se fait rare, parce que l’entendre fait du bien, encore plus ces temps-ci, et parce qu’à Albi trois talents la représentaient. Alors pour chacun, je t’ai promis un compte-rendu de concert et un entretien. Après Archibald, et Maggy Bole, voici, en lointain différé, le troisième et dernier épisode : Les Idiots.

Les Idiots est un groupe relativement récent qui a sorti son premier EP en 2016 Du Gravier et des cordes. Le gravier : la voix éraillée et rocailleuse de Guillaume Boutevillain au chant et aux textes, les cordes : celles de la guitare de Mickaël Garcia aussi aux compositions, parfois à la grosse caisse et au chœur. Ce duo Albigeois, ces derniers temps, a beaucoup été programmé et à raison, dans les festivals du Grand Sud-Ouest : au Printival à Pézenas (34) en avril, à Grain de Sel à Castelsarrasin (82) en mai, ici à Albi (81) en juillet puis à Musicalarue à Luxey (40) et dans plusieurs salles dont le Bijou  à Toulouse en juin et en août à Sengouagnet (31) au Bijou de l’été. Ce groupe de scène, propose surtout des chansons réalistes et quelques titres résolument drôles. En chemise sombre et gilet, Guillaume délivre un constat noir et pas idiot, une dénonciation des travers de notre société dans des chansons plus désabusées qu’engagées, rythmées et non dénuées d’humour souvent tranchant

Le Bijou (Toulouse) Juin 2017 © Michel Gallas

Pour Pause Guitare, ces locaux de l’étape ont été mis à contribution : un concert dans une maison de quartier, deux en Maison d’arrêt et le samedi le tremplin Découvertes Chanson avec quatre autres artistes ou groupes francophones pour un set d’une petite trentaine de minutes. Là, ils ont enchaîné les morceaux alors que sur un concert entier, j’ai vu Guillaume interagir avec le public, parler plus entre les chansons, faire un duo avec son acolyte (Lemmy Gaga). Le répertoire est souvent composé de portraits et de personnages, un peu caricaturaux peut-être, souvent traités avec humour, des portraits miroirs, à peine grossissant de notre société.  Comme cet ancien militaire (Les nains de jardin ) qui piège sa maison : « la caméra dans le sapin, une grenade sous Grincheux », « Je protège mon jardin, ma petite vie, mon chien / Depuis longtemps je ne recule devant rien/ Il est pas né celui qui volera mes petits nains / ». Comme La complainte du gros dégueulasse dédiée au PDG de Total (« Je pourris la planète, me torche avec la loi / Après moi le déluge, ça ne me regarde pas »). Comme le Chien d’ivrogne, dont il décrit la vie de malheureux (« Je suis l’sac à puces du sac à vin »). Pas de nuance, mais le malheur et l’injustice font-ils dans la nuance ? Malgré cela la tendresse et l’émotion affleurent. Une autre partie du répertoire pour Les Idiots cible des titres plus délirants. Dans Fatale bronzette cela démarre comme un roman noir « Car cette princesse aux grands yeux, qui dormait sans sa blouse / Je ne l’avais pas vu en tondant la pelouse » et cela finit par un gentil conseil à sa fille : « N’oublies pas ta poupée Barbie au milieu du jardin ». Dans Piou-Piou, avec son refrain de chanson de variété de bas étage texte -chant – mélodie «Piou-Piou Piou-Piou fait le petit oiseau / Oh oh oh, Piou-Piou Piou-Piou il se taira bientôt »  évoque une fable animale qui contient une triple moralité à usage pour les humains («  Si on te mets dans la merde c’est pas pour ton bien » « Si on t’enlèves ce n’est pas pour rien » « Si tu es dans la merde, fermes ta gueule »).


Le samedi après les prestations des Découvertes Chanson, pendant la délibération du jury, nous avons échangé à la terrasse du café voisin, en attendant les résultats.

Hexagone : J’ai lu que Les idiots ce sont deux membres d’Opium Du Peuple dans un projet acoustique. Peux-tu me parler de l’Opium Du Peuple que j’avoue ne pas connaître ?
Guillaume : L’Opium Du Peuple c’est du spectacle, c’est un groupe qui fait des reprises de chansons françaises revisitées de façon metal punk rock. Cela peut aller de Brel à Bachelet en passant par Céline Dion et Claude François. Il ne faut pas que M.Pokora se croie le premier à reprendre Claude François. J’ai repris Le téléphone pleure avec Didier Wampas.

Printival Avril 2017 © David Desreumaux

Hexagone : Et comment on passe de l’Opium du Peuple au projet Les Idiots ?
Guillaume : En fait, je voulais monter un projet comme Les Idiots depuis très longtemps. Dès qu’on a lancé Opium, cela a tourné tout de suite et beaucoup, sur des festivals de musique amplifiée. Le projet a vite pris de l’ampleur et donc du temps. Du coup, cela a toujours repoussé mon projet personnel. Il y a moins de deux ans, je me suis dit que si je ne le faisais pas maintenant, je ne le ferais jamais. C’est comme une MG Cabriolet, si c’est le projet d’une vie faut le faire à un moment donné. Sinon tu le regrettes. A la base c’est un projet hyper égoïste, où je voulais prendre des musiciens avec qui je n’avais jamais joué. Et puis j’ai démarré avec Mika, qui était guitariste sur Opium, et ça a bien fonctionné.

Hexagone : J’ai vu que Sanseverino vous a coaché, quel lien avais tu avec lui ?
Guillaume : Je l’ai connu ici pendant le festival Pause Guitare en 2007. Je mixais au Clando, le lieu d’after. Il est venu après son concert. J’ai passé un morceau d’ACDC,  Il m’a regardé et m’a dit que c’était bien, un peu de musique. On s’est mis à discuter et à passer un moment ensemble. Je l’ai revu ensuite. Il a fait une chanson sur mon projet Les Oreilles Rouge, un groupe de rock pour les gamins. Souvent il débarque sur les festivals avec un T-shirt Opium du Peuple, parce qu’il est fan. Sur ma semaine de résidence pour Les Idiots, on m’a demandé qui je voulais comme coach. J’ai proposé Stephane Sanseverino, il a accepté, et on a fait une superbe résidence.

Hexagone : Peux tu me dire quelques mots sur Chien d’Ivrogne, chanté cet après -midi et sur son lien éventuel avec la chanson d’Allain Leprest?
Guillaume : Cela faisait longtemps que j’avais envie d’écrire sur un ivrogne. Et le texte est venu, en se mettant du point de vue du chien. Tout à l’heure on m’a dit «Tu ne connais pas la chanson de Leprest ? » J’ai répondu . « Non, donnes moi le titre, je vais aller l’écouter ». Et c’est le même titre ! Epatant.

Hexagone : Le répertoire est centré sur des chansons rentre dedans, plutôt tristes ou noires, mais certains titres sont résolument drôles. C’est une volonté ?
Guillaume : Avoir ces deux axes donne un équilibre à l’espace que j’ai envie de développer sur Les Idiots. Il ne faut pas que cela baigne tout le temps dans le revendicatif. L’équilibre se fait un peu malgré moi. Tu commences à réfléchir à un sujet, puis parfois tu pars sur tout à fait autre chose. Par exemple, j’écrivais la chanson Boule Athée, sur le fait que les problèmes de religion empiètent beaucoup sur la vie des personnes athées. Pendant cette phase d’écriture, Lemmy le chanteur de Motôrhead meurt. Je m’arrête en plein milieu de Boule Athée en pensant qu’une chanson sur le chanteur de Motôrhead cela pouvait être cool. Et j’ai écrit les deux, en parallèle. Je m’inspire du quotidien, triste ou pas.

Hexagone : Quel est le retour du public, notamment sur les textes revendicatifs ?
Guillaume : Très souvent positif. Par exemple, en mars dernier, sur le festival Chantons sous les Pins, après le concert, deux femmes, sont venues me voir au sujet de Peste Brune, qui évoque Marine Le Pen  avec un « Merci pour cette chanson. Il faut le dire ». Car il y a une génération de chanteurs qui « ont dit » et après, cela s’est arrêté et on est allé vers du super policé. Hé bien non, moi, je le dis.

Le Bijou (Toulouse) Juin 2017 © Michel Gallas

Hexagone : D’où te vient cette envie de textes rentre-dedans, revendicatifs ?
Guillaume : Cela m’habite depuis que je joue. Dans mes premiers groupes de punk, je braillais déjà ce type de texte. Ce n’est pas parce que je fais de la chanson que je vais arrêter. Dans ce réseau chanson, que je ne connaissais pas du tout, certains m’ont prévenu qu’’être franc du collier allait me fermer des portes. S’il faut que ce soit alambiqué et chiant pour que ça fonctionne, ce n’est pas ce que je veux faire. Je vais faire mon truc, plaire à certaines personnes et pas à d’autres. J’ai toujours eu le cul entre Brassens et Les Garçons Bouchers, je ne vais pas changer.

Hexagone : Peux-tu me dire quelques mots sur les concerts en maison d’arrêt?
Guillaume : On a joué dans celle de Montauban il y a quinze jours. C’était très intime. Et deux fois ici, hier ici à Albi. C’était plus dur. Le matin, on a chanté, dans une cour, avec des barbelés autour et en face de nous toutes les fenêtres, avec une insulte à la première note de guitare. En bas, ils étaient trente-quatre le matin, et une centaine l’après-midi. Hier mon guitariste a été très impressionné voire choqué au départ, et content à la sortie. Il est clair que ce sont des moments marquants. En fin de concert, on joue un morceau un peu plus dansant sur lequel un détenu a commencé à danser. Après le concert, beaucoup sont venus me voir pour nous remercier.

Hexagone : Dans le cadre d’un concert en maison d’arrêt modifies-tu ton set ?
Guillaume : Non, sur la liste de chansons. Mais j’ai dû rentrer très fort dedans pour « les avoir », pour recueillir leur attention au départ, je peux moins me poser entre les titres.  J’ai chanté Cayenne, et cela a bien fait réagir les détenus. « Mort aux vaches, Mort aux condés » a résonné dans toute la prison » : c’était assez terrible.


Samedi 8 juillet : Les Idiots au Tremplin Découvertes Chanson. Pause Guitare à Albi.

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