Dom Colmé, « La musique pour la musique »

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Avec Dom Colmé, c’est une histoire de rencontres. Une amie me présente un ami, qui devient un ami et me parle d’un ami… Et voilà que je me retrouve quelques mois plus tard dans un café de Metz, pour le concert anniversaire de Dom. Au-delà de son talent, que j’avais déjà pu constater entre temps en allant écouter son travail, j’ai découvert un artiste d’une énergie rayonnante et d’une générosité rare. Il y a quelques jours, autour d’un café, il m’a parlé de ses projets, de la musique, mais aussi de sa vision sur le fonctionnement actuel du milieu musical. Une discussion passionnante avec un artiste passionné qui soulève bien des points et des questions importantes. 

Dom Colmé
Photo: MH Blanchet

Hexagone: Tu as sorti un EP Le Terrain d’ébène fin 2014. Peux-tu nous parler de cette chanson, et d’où tu en es dans ton projet musical ?
Dom Colmé: Le terrain d’ébène, quelque part c’est la naissance de ma personnalité en tant que chanteur-guitariste-compositeur. Avant j’ai fait des chansons qui n’étaient pas trop mal, mais je n’arrivais pas à aller plus vite que la chanson, pour la regarder du dessus et la maîtriser. J’avais tendance à courir après. Et les gens la recevaient avant même que j’aie eu le temps de la valider vraiment. À partir de là, c’est une fenêtre qui s’est ouverte pour moi. Les nouvelles chansons pour mon prochain disque sont des chansons qui existent par le fait que j’ai ouvert cette fenêtre. La fenêtre d’accepter ce que j’aime dans mes chansons, et d’accepter d’abord de le comprendre et de le travailler avant de le donner. Quand comme moi, tu es quelqu’un qui fait beaucoup de scène, tu as beaucoup de gens qui aiment ce que tu fais à travers la rencontre qu’ils ont eue avec toi ce jour-là, souvent dans des petits lieux. Donc ce sont des rencontres hyper émotionnelles. Après, ils ont du mal à retrouver sur les disques cette émotion « face à face ». Un disque, ça ne se comporte pas comme ça. Les live, c’est un peu comme du théâtre. Ton corps, ton sourire, ton regard, tes soucis, tout ça, ça transparaît et ça aide à faire oublier aux gens que la chanson est plus ou moins bonne. En live, c’est toi qui es plus ou moins bon. Sur le CD, si c’est mal écrit, le résultat n’est pas bien.

Hexagone: Est-ce qu’une de tes chansons à une place spéciale pour toi ?
Dom: Avant les nouvelles chansons que je suis en train de faire aujourd’hui qui sont à mon avis des chansons charnières et qui vont marquer un tournant majeur dans ma perception de la musique, je pense au Terrain d’ébène. Cette chanson a été une fenêtre pour moi. J’ai mis 6 mois à faire cette chanson. Il a fallu longtemps, parce qu’il a aussi fallu que j’accepte d’être le gars qui va chanter ça. Faire une chanson, ce n’est pas seulement faire une chanson. C’est aussi accepter de la porter. Je travaille avec des co-auteurs. Sur celle-ci j’ai travaillé avec Daniel Hesse. Mon monde musical a croisé cette chanson parce qu’on m’attend toujours sur de la funk, de la soul, de la musique groovy, avec des cuivres, le sourire jusqu’aux oreilles, le soleil, etc. Toutes ces choses-là me collent à la peau, mais il ne faut pas que ça m’enferme dans la création. Dans la création, je me laisse aller à des trucs, et j’accepte ce qui arrive. Et là je suis tombé sur une émotion qui vient de quand j’étais vraiment jeune. Les premiers groupes que j’ai faits, on faisait de la musique baba cool. Neil Young, Pink Floyd, de la musique planante. La musique qui m’a vraiment fait kiffer au départ, c’était vraiment ça. C’est marrant de retrouver ça aujourd’hui. Cette chanson, c’est la fenêtre sur mes tout débuts. Et j’ai réussi à faire une chanson aboutie, de l’émotion complètement non aboutie sur laquelle j’étais quand j’avais 14ans. Revivre ses amours de jeunesse et arriver à les aboutir, il n’y a qu’en art qu’on peut faire ça. En art, tu peux avoir 14 ans plus ta maturité.

Terrain d'ébène
Crédit: Jean François Mougenot

Hexagone: Tu travailles en binôme pour tous tes textes ?
Dom: Oui, j’ai longtemps été en binôme avec Gilles Victor, qui est un merveilleux auteur avec qui j’ai travaillé pendant une bonne dizaine d’années. On a fait pas mal de belles choses ensemble. Aujourd’hui, je m’ouvre à plusieurs auteurs différents. J’ai atteint une certaine maturité dans la création d’une chanson. Je travaille avec des fabricants de mots, d’expressions, des gens qui ont un univers. En ce moment je travaille avec une fille qui m’épate. On travaille en direct, comme en cuisine ouverte. Je viens avec 3 phrases, que j’ai repérées dans un des 11 textes qu’elle m’a envoyés. Les 3 phrases fonctionnent déjà, je les chante. J’arrive chez elle, j’ai déjà toute la sensibilité de ces 3 phrases. On construit la chanson ensemble. Elle cherche comment continuer de lui donner du sens en conservant la couleur sonore du texte. On progresse ensemble, et on finit la chanson au bout de 6 heures de travail côte à côte, moi avec la guitare qui était une machine à demander, à proposer, à reprendre, et elle pareil, avec son univers textuel. Je suis hyper content d’arriver à faire ça aujourd’hui. J’en suis là et je suis hyper ouvert à toute collaboration.

Hexagone: Quels sont tes projets pour les prochains mois ?
Dom: Cette année j’ai décidé de me tourner un petit peu vers les lieux de musique actuelle. Je n’ai jamais trop été attiré par l’institutionnalisation de la musique et des musiciens, mais quand comme moi, on a fait 15 ans de café-concert, club et guinguette, quand on a fait tout ce que j’ai fait, je pense qu’on peut se dire que changer un peu son fusil d’épaule ça ne va pas faire de mal. Je me suis mis en relation avec Le Gueulard +, qui est un lieu de la région, mais aussi avec L’autre Canal et La Souris Verte, pour essayer d’avoir un accompagnement. Là, j’ai été à La Souris Verte début avril, pour faire 4 jours de résidence avec le travail d’un nouveau set dans lequel nous avons intégré des inédits que l’on avait jamais joués. Et en plus, on avons récupéré tous les fichiers du concert du 7 avril pour proposer un live, qui sortira en support CD. J’ai aussi fait revenir des chansons qui étaient dans le premier album qu’on ne peut plus trouver aujourd’hui. Il y a des concerts et des festivals de prévus, on peut trouver toutes les dates sur mon site.

Hexagone: Dans quelle formule vas-tu jouer ?
Dom: Ça sera en solo, qui est une formule que je vais beaucoup développer. Ça va bientôt être la forme numéro un de ma prestation. Le solo a ça de bien qu’il rapproche l’artiste de sa création. Quand je suis en solo, je me retrouve avec mes chansons. Je n’ai pas mes copains, mais j’ai mes chansons. Quand tu as tes copains, tu partages avec eux autour des chansons, mais quand tu n’as personne avec qui les partager, tu fais tes chansons. Tu peux continuer de tailler et de peaufiner le diamant pour qu’il soit encore plus joli, plus limpide et plus lisible. Tu vois beaucoup plus les erreurs de tes chansons quand tu te retrouves tout seul avec ta guitare devant 500 personnes. Tu vois où les gens te quittent et où les gens accrochent. Ça te permet de savoir, à l’intérieur de la composition où tu trouves dans le rapport avec le public. 


Hexagone: Tu as deux albums en préparation, un live et un studio. Quand prévois-tu leurs sorties ?
Dom: Un live 7 titres devrait sortir pour la rentrée en septembre. L’album lui, plutôt pour le printemps 2017. Le live, ce n’est pas un objet de promotion, c’est plus un cadeau que j’ai envie de faire à la sortie des concerts et sur ma boutique, pour les gens qui m’apprécient et me suivent. J’ai envie de leur apporter quelque chose à mettre dans leur « machine à plaisir ». Je vais certainement mettre un ou deux inédits sur le live pour faire le lien, sans tout dévoiler. 

Dom Colmé
Photo: MH Blanchet

Hexagone: En plus d’être chanteur, guitariste et compositeur, tu es totalement indépendant pour la gestion et le développement de ton projet. Comment gères-tu tout ça ?
Dom: C’est une merveilleuse vie que celle de chanteur-guitariste-compositeur. C’est une vie qui ne cesse de se régénérer. Un peu comme dans les jeux vidéo, on te redonne de la vie. Des fois tu es à zéro, ça commence à clignoter, et puis tu trouves un petit coffre-fort. Et le coffre-fort, ça peut être aussi tout simplement un petit coffre-fort que tu avais à l’intérieur de toi-même que tu as réussi à ouvrir. Ce regard qu’on a sur soi-même et qui permet de faire des choses. Moi, je suis complètement indépendant. Je suis manager, je suis tourneur, je suis booker, je suis auteur, je suis compositeur, je suis interprète. Ce n’est pas un choix, c’est par défaut, comme pour beaucoup. À l’instar des petits artisans, je ne peux pas embaucher. Se rapprocher de tourneurs ou bookeurs professionnels, je le fais de temps en temps, mais c’est un peu le chat qui se mord la queue. Quand on se retrouve devant une boîte de booking qui pourrait éventuellement vous booker, il faut avoir un projet éditorial, donc, un label et une petite représentation médiatique. Donc il faut avoir une, deux, trois chansons, un projet disque, un projet disque signé dans un label, avec une communication sur cet album, sur cette chanson. Et tout ça, ça coûte beaucoup d’argent. C’est toute la souffrance des artistes indépendants qui, ou baissent les bras, restent dans leur chambre à attendre que le téléphone sonne, et il ne sonnera pas ,ou prennent en main leur vie, et en prenant leur vie en main, ils gèrent tout. On me dit que je suis un des seuls qui tourne encore avec des musiciens. On me demande comment je fais parce que tout le monde sait qu’il n’y a plus de sous pour faire ça, et je le sais aussi bien que tout le monde. Si je me séparais de mes trois musiciens et que j’utilisais ce supplément de finances pour engager quelqu’un, il s’occuperait uniquement de me booker, de me manager, de faire en sorte que mes affaires marchent, que mon travail évolue et que je puisse jouer le nombre de fois qu’il faut pour avoir mon statut d’intermittent, et aussi dans des lieux qui me font évoluer. Il faudrait que je fasse un duo avec quelqu’un qui ne fait que ça. Moi le musicien, et lui le manager. Quid du développement artistique… C’est quand même un peu dommage quand il faut virer tous ses musiciens pour se payer un manager. C’est pour ça que j’ai toujours fait le manager tout seul.

Hexagone: C’est un handicap artistique finalement ?
Dom: 
J’espère que ça va s’arrêter un jour, parce que je perds mon temps de création. Si j’avais le temps, je serai à 11-12 morceaux par an, et là je suis à 3-4 morceaux par an. Ce n’est pas pour rien. C’est uniquement parce que je fais quatre mois et demi de booking derrière mon ordi tous les ans pour survivre. C’est pour ça aussi qu’on entend parler de moi et que je suis toujours en vie professionnellement parlant. Vu mon niveau de travail aujourd’hui, je pourrais presque avoir envie d’engager un chanteur pour me remplacer (rires !!). Il y a les réseaux sociaux aussi. Il faudrait quelqu’un pour s’en occuper parce que c’est chronophage. Ça prend un temps de malade.J’essaie d’avoir la bienveillance, la politesse et le rapport humain le plus sincère et le plus précis avec chacun de ceux qui me contactent. Quand on m’écrit, je réponds. Toute personne sur les réseaux sociaux est une vraie personne, qu’on doit respecter en tant que telle.


Hexagone: Le milieu a changé ?
Dom: 
Je viens de l’alternatif, je chante depuis longtemps.Quand j’ai commencé, c’était à la Mano Negra. On y va, on chante, on rigole, on est 9, on est payé 1000 francs, mais c’est cool, avec un peu de chance on s’achètera des Marlboro. La vie, c’était ça. Qu’est ce qu’on a pu rigoler ! Je ne suis pas dans le « c’était mieux avant », ce n’est pas l’idée, mais c’était vraiment différent et c’est sûr que c’était beaucoup plus charnel et vivant. Vivant dans le sens du ruisseau qui trouve toujours un chemin quand il est bloqué pour passer. Cet esprit de la vie trouve toujours un petit chemin pour continuer à s’exprimer. Aujourd’hui, il y a des moments où tu te demandes si ce n’est pas bouché au niveau du chemin. On est sur des canaux qui sont tellement resserrés, des autoroutes de communication qui sont devenues en fait des gros câbles avec des milliers de fils. C’est compliqué quand tu es le petit fil, qui est à l’intérieur du fil, qui est lui-même à l’intérieur du câble, qui est dans la gaine… D’ailleurs, je suis peut-être le seul, mais je plains les jeunes qui font de la musique aujourd’hui. Je plains ceux qui font de la musique comme je l’ai fait, c’est-à-dire qui partent avec une guitare pour faire rougir les filles et s’éclater, danser, s’amuser. Je tourne minimum 50 dates par an et des jeunes, il n’y en a plus beaucoup sur la route. Il y a pas mal de jeunes qui font de la musique, mais pas sur la route, il n’y en a pas beaucoup parce qu’ils peuvent tout faire avec leur iPhone. Et comme ils peuvent tout faire avec leur iPhone, ils restent dans leur chambre. Peut-être que le niveau de création est important mais que dire de l’expérience,le voyage,la vie quoi ?… L’esprit du marin qui prend le bateau et qui s’en va, qui ramène des épices de l’autre bout du monde. Aujourd’hui tu passes de ta chambre à sortir ton album et à te prendre pour une star sur ta photo hyper réussie avant même d’avoir poussé les portes d’un lieu où on joue en vrai..

Dom Colmé
Photo: MH Blanchet

Hexagone: Comment vois-tu l’évolution de la musique?
Dom: L’évolution de la musique, c’est un peu comme l’évolution des grands commerces. On a tendance à remplacer des caissières par des machines, les gens qui déchargent les camions par des machines, et tout est comme ça. Les musiciens d’aujourd’hui, je n’arrive plus à localiser ce qu’ils transportent comme message. Aujourd’hui tout est devenu produit de consommation. C’est grave à dire, mais c’est vrai. Alors on peut consommer un artiste, on peut consommer un artiste en live, on peut consommer sur Deezer, etc… Ca aussi c’est quand même un monde. Si j’ai 10 000 écoutes de ma chanson sur You Tube, je vais toucher 5,68€. Je fais une chanson, je passe 6 mois à bosser pour la faire, je détruis ma vie pour la faire, après je reconstitue ma vie grâce à elle, mais ce n’est pas innocent. Dans la vie de tous les jours, c’est quand même parfois très déstabilisant. Au final, après tout ce travail, environ 3 ans de travail pour avoir 12 chansons, si tu fais 1 000 000 de vues, on va te filer 568€… Alors tu fais 10 000 vues et c’est déjà pas mal, c’est que tu vis, que tu as une existence, que tu es apprécié par des gens et que c’est réel.

Hexagone: j’imagine que c’est frustrant pour l’artiste ?
Dom: 
Je suis pas mal déçu par tout ça, et aussi du comportement de la plupart des gens. En même temps, tout ça, on l’a mérité. Nous autres, artistes,depuis des dizaines d’années, on s’est gavé, on s’est fait des salaires de nababs voire de princes saoudiens et ne parlons pas des maisons de disques de tous ces grands artistes qui ont baigné les années 80-90. Les grands et les moins grands d’ailleurs. Résultat des courses, ça n’a pas plu au peuple. Il n’a pas apprécié ce comportement-là. J’ai vu  l’électro et la techno, à la fin des années 80 et début 90 arriver comme une sanction au comportement ultra-capitaliste des artistes et de leur maison de disques La sanction, ça a été que ce mouvement a imposé qu’il ne devait plus y avoir personne à regarder .La star devenait tout a chacun,le danseur au milieu de la piste.. Ras le bol d’adorer un mec qui prend ton pognon, qui te met par terre, et qui se fait des marges de nabab sur ton dos. J’étais déjà là, et j’en avais marre de ça. Je pense que le mouvement techno c’est ça, c’est le mouvement où la star, c’est le public. Là-dessus ils ont eu raison, c’est un vrai coup de poing. Ce n’est pas le même que celui des punks, c’est une autre forme, c’est un coup de pied dans la fourmilière. Les punks, quand ils sont arrivés fin 75, c’était anti-hiérarchie, anti grandes stars. 10 ans après, c’étaient des méga stars avec des méga gros salaires qui se sont comportées exactement comme les autres. Plein pot dans l’industrie musicale, pas de redistribution, comportement médiéval. De toute manière, le métier de la musique n’est pas démocratique, c’est totalement médiéval. Il y a ceux qui sont en place depuis toujours, et qui ne laissent rentrer dans la place que leurs frères, sœurs, cousins, belle-sœur, etc. Et ne parlons pas de tous ces télé-crochets où on fait chanter des jeunes depuis 10 ans. On fait chanter des jeunes qui chantent bien à la télé, mais qu’est ce qu’ils chantent ? C’est ça la question. Ils chantent des chansons du répertoire du catalogue des chansons qui sont signées par des artistes et des éditeurs depuis 30-40 ans. Du coup, c’est encore une fois les mêmes à qui retournent tout ce qui est généré comme droits. Maintenant il y a le monde du numérique, du téléchargement, et du coup tout s’écroule. Les gens n’ont plus de respect pour tous ces artistes qui se sont fait de trop grosses marges en vendant leurs albums 30€ a des gens qui n’avaient pas assez de sous pour finir le mois et qui les adoraient. Aujourd’hui les mêmes vendent leurs albums 9,99€. On voudrait bien savoir comment ça se fait que les prix ont baissé de 2/3.

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Photo: Jean François Mougenot

Hexagone: Pour toi, quelle est la place de la musique dans la société d’aujourd’hui ?
Dom: La place de la musique aujourd’hui, c’est justement celle qu’elle a aujourd’hui entre toi et moi. C’est celle de l’extrême proximité. Pour moi c’est ça. Ça fait plus d’une dizaine d’années que j’estime que je suis comme les AMAP pour les fruits et légumes, comme les épiceries participatives, toutes ces belles choses qu’on voit en ce moment naître, où les gens se donnent la main, se serrent les coudes, se débrouillent entre eux et finalement mangent mieux, consomment mieux, se rencontrent et vivent mieux. Moi, je m’inscris tout à fait là-dedans. Pour moi, la musique aujourd’hui, c’est toi, c’est moi. Je suis chanteur, toi tu veux que je chante, alors je chante pour toi, et tes amis. Je n’aurais pas moins de respect pour une personne qui m’invitera à chanter dans son appartement que pour Cali qui va me faire jouer devant 2000 personnes. Pour moi il n’y a plus de différence. Pour moi tout le monde doit être respecté les yeux dans les yeux. Je pense que c’est aussi pour ça que je survis. Les gens peuvent se reconnaître en moi comme quelqu’un qui ne veut pas voir tout disparaître.

Hexagone: Le musicien, l’artiste serait-il le dindon de la farce ?

Dom: Non. Certes le pont-levis est baissé, et le château médiéval ne sera pas attaqué mais je conseille à tous les gens qui débutent et qui veulent faire de ce métier leur vie comme moi : en 1, un petit break, en 2, une petite sono, en 3, travailler un répertoire puis aller écumer tous les cafés de France et de Navarre. Et quand vous aurez fait ça, vous reviendrez avec une patine comme les beaux vieux cuirs, et là, il sera bien temps de vous présenter aux instances. Qui d’ailleurs généralement vous jetteront parce que vous avez déjà été trop utilisé. Je ne vois pas le mal partout, mais il y a quand même énormément d’ironie et de cynisme.. En plus, on donne à des gens qui ne connaissent presque rien de la musique des responsabilités de directeur artistique tout frais sorti des écoles de commerces . Pour eux, la musique elle commence avec les Cure (rires!!).C’a fait quand même un peu court si je peux me permettre. Au niveau de l’histoire de l’art, ça ne commence pas là… Quid du gospel, du jazz,du blues des musiques métisses et folkloriques… D’ailleurs pour moi, le niveau global de la musique qu’on nous sert, pas celle qui existe, celle qu’on nous sert, baisse. Avant on nous servait des trucs qui tuaient, avec des belles mélodies et des belles chansons. Au moins, on avait les Pink Floyd, on avait des œuvres majeures. Moi je cherche celles d’aujourd’hui. Je voudrais bien savoir celles qui vont rester dans 25, 30 ou 35 ans.

Hexagone: Qu’est ce qui te donne envie de continuer la musique malgré tout ça?
Dom: Ce qui est beau dans un métier, c’est la profondeur d’où il vient : quoi, comment, l’histoire de l’art. Moi ce qui m’intéresse, c’est l’art pour l’art, la qualité pour la qualité, la musique pour la musique. Je suis un musicien en devenir qui veut évoluer et évoluer. Ray Charles disait « Après tout ce temps-là, quand je pense tout ce qu’il me reste à faire… » Il avait 70 ans. Et, il était bien loin devant moi. Tu vois ce qu’il me reste à faire pour aller jusqu’à lui. Un musicien pour moi a un rôle social. Il ne suffit pas d’être le musicien du roi. Tous les musiciens ont un rôle social. Il y en a qui s’emparent de ce rôle et qui considèrent que c’est le but et le moyen. J’en fais partie. Mon but, c’est ce que je fais depuis 15 ans. Mon but est dans mon action. Pour moi, aller jouer demain dans un club à 600 bornes pour des nèfles avec 4 jolies filles, 3 garçons, un monsieur en mauvaise forme, et un patron de bar de mauvaise humeur, pour moi c’est le but ultime. Parce qu’il n’y a pas d’autres choses. Le monde se sépare en deux catégories, ceux qui le font et ceux qui ne le font pas. Si je vais chanter devant 30 personnes, et que je leur apporte le bien-être ne serait-ce que pendant 25 min, que je leur fais oublier les souffrances de leur vie pendant 15 minutes, que je les aide à traverser la rivière avec ma petite barque,alors je deviens un« passeur d’émotions » C’est ça mon rôle.

Dom Colmé
Photo: MH Blanchet

Hexagone: C’est le conseil que tu donnerais à la jeune génération ?
Dom: 
Si j’ai un conseil à donner aux jeunes artistes, c’est surtout qu’ils ne se laissent pas enfermer .Fuir les belles paroles de la « nomenclature » qui de toute manière ne lâchera pas le moindre centime ni la moindre miette à leur égard. Qu’ils prennent leur guitare et qu’ils aillent jouer partout, en France, en Europe, dans le monde. Si tu veux faire de la musique, sois un grand voyageur. Je ne sais pas si tu réussiras dans la musique, mais tu réussiras ta vie. Et il faut écrire des chansons, écrire des chansons et écrire des chansons. Même quand plus rien ne va, il faut retourner sur la planche et écrire des chansons. Parce que c’est ça qui, demain, te donnera la possibilité de survivre.Tu es le jardinier . À un moment donné tu dois protéger tes graines pour pouvoir espérer une récolte l’année d’après. Le travail à protéger ses graines est aussi important que celui d’arroser ses plants. Il faut anticiper, c’est important. On est toujours en décalé. Quand les gens découvrent mes chansons, moi je n’en peux plus. Je suis passé par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Je les ai aimées, adorées, haïes, plus supportées, jetées, réintégrées… Je pense que c’est pareil dans tous les milieux artistiques. Ce qui me donne envie de continuer la musique, c’est les gens. J’ai joué il y a deux semaines dans un tout petit village, dans un tout petit café hyper sympa.Il y avait 45 personnes. Je pense que c’est un des meilleurs concerts de ma vie, alors que j’étais là sur du carrelage avec derrière moi des pubs pour des apéritifs. J’ai emmené les gens du début à la fin, ils n’ont jamais décroché, ils étaient dans l’émotion complète. À la fin, on s’est tous serrés fort, comme si on était un petit village qui résistait. Ils ont commencé par se serrer fort entre eux, puis ils m’ont serré fort. C’est ça qui était beau. Je suis rentré à la maison, et j’ai eu un message « Je viens te voir à ton prochain concert, on va te suivre partout. On écoute ton disque Le Terrain d’ébène en boucle et cette chanson est devenue la chanson de notre couple. On te remercie pour tout ça. ». Qu’est ce que tu veux demander de mieux à la vie ? C’est des choses qui ne s’achètent pas. C’est ça la vraie richesse.

Hexagone: Qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?
Dom: Rien de plus que ce qui se passe aujourd’hui. Des belles rencontres, chanter, être apprécié, être demandé, continuer à chanter, être dans des rapports humains honnêtes et droits, de trouver ma place encore plus. On peut me souhaiter bon vent ! Comme un voilier qu’on a déjà mis à flot.

Hexagone: Peux-tu citer 1 ou 2 artistes que tu apprécies et que tu conseilles d’aller découvrir ?
Dom: Tout le monde connaît Jean-Roch Waro ! Mais au cas où il y en aurait encore qui ne le connaîtrait pas, pour moi c’est vraiment un artiste extrêmement brillant et au-delà de ça quelqu’un que j’aime beaucoup. C’est un très bel artiste et une très belle personne. J’aime aussi beaucoup Hoboken Division. C’est un groupe de Nancy, ils sont deux, une chanteuse Marie Rieffly et un guitariste Mathieu Cazanave, et ils font du blues. Mais ils ont apporté au blues quelque chose. Ils amènent un côté rude, avec des grosses machines par moments, avec une chanteuse qui a une voix merveilleuse et cristalline. Ils sont d’un très bon goût, et pour moi, ils apportent quelque chose au blues. 

Hexagone: Tu veux ajouter quelque chose ?
Dom: Du 5 au 7 mai, je serai à Vernet-les-Bains pour le Festival Pascale Fayet qui est organisé par Cali et son équipe, en hommage à une amie partie trop vite. C’est un bel événement auquel je suis très heureux de participer. Je présenterai mon travail le premier jour, gratuitement au milieu du village, puis je ferai la 1ère partie de Tcheky Karyo le samedi dans la grande salle du Casino.


Retrouvez toutes les dates de concerts de Dom sur www.dom-colme.com


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