Erwan Pinard, la bonne cote du Rhône

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Photo David Desreumaux
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Photo David Desreumaux

Quand les frimas de l’hiver te gratouillent la couenne et que ça pique tes doigts bleus comme un caillou, quand tu rêves d’une flambée à en perdre sa réalité, quand les rues ne sont plus que corridors et courants d’air et que la Seine assassine ses berges de sa dague brumeuse, le doute n’est plus permis : c’est l’hiver. C’est l’hiver ici comme ailleurs et ça caille à pas sortir un bonhomme de neige. N’étant ni bonhomme ni de neige j’osai le pied dehors. Avec Pinard comme antigel. Erwan Pinard, j’entends, écoute.

Je plante le décor. Ça se joue à La Scène du Canal – Espace Jemmapes. Soirée Microclimat. Te marre pas, c’est son vrai nom ! Microclimat est un dispositif, mis en place par Eclats Spectacle et La Scène du Canal, destiné à soutenir et accompagner les artistes de chanson francophone en début de carrière. Tu peux retrouver cette initiative un lundi par mois dans la salle du quai de Jemmapes. Ce lundi 15 février, deux garçons de la région lyonnaise se prêtaient à l’exercice. Yann-Gaël Poncet et Erwan Pinard. Une salle très clairsemée, limite chauve. On voit ici la difficulté à amener un public vers la découverte, on constate plus fortement encore à quel point il est difficile de faire chanter dans la capitale des artistes non « référencés » à Paris. C’est dommage que des talents comme ceux présentés ce soir ne soient pas plus et mieux vus.

Photo David Desreumaux
Photo David Desreumaux

Dommage car le spectacle était de qualité. Deux sets très différents, deux artistes très singuliers. Yann-Gaël Poncet, en vedette américaine, a chanté quelques chansons-témoignage d’une oeuvre aussi particulière qu’intéressante. Musicien fort doué, il s’accompagne tantôt de son violon, tantôt de sa guitare et est soutenu aux claviers et autres bruits et bruissements par un acolyte dont le nom m’échappe. Désolé. Poncet développe un univers où l’imaginaire et le voyage tiennent une place de choix, univers porté par une virtuosité musicale indéniable où l’on perçoit la formation classique et jazz de l’artiste.

Pinard à présent. C’est pas de la piquette. Je me déplaçais pour lui. Yves l’avait interviewé récemment, Fredéric Bobin m’en disait le plus grand bien depuis un moment, j’avais reçu et écouté son nouvel album, Obsolescence programmée, qui sortira le 19 février. J’avais apprécié. J’avais très envie et hâte de découvrir le gaillard sur les planches. Pour moi, le Pinard était obligatoire. Et je ne m’en suis pas privé.

C’est essentiellement cet album beau joli nouveau que Pinard a fait couler. Pinard est un personnage étonnant. Atypique dans le milieu de la chanson. Le genre de personnages qui ne sont pas légion, qui visitent la chanson avec une caisse à outils assez différente de celle des confrères. Grand et massif, la barbe hirsute, Erwan Pinard impressionne à ses entrées sur scène. Oui, j’emploie le pluriel à dessein car, singeant avoir raté son entrée, il la rejoue plusieurs fois. On est dans le bain. Ce ne sera pas un set de chansons comme un autre.

Photo David Desreumaux
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Quelques baratins, quelques semblants d’énervements puis d’introspections. Tout ça en guise d’introductions à des chansons souvent biaisées, faussement mal biaisées, dans lesquelles Pinard charrie la mélasse crotteuse de la vie pour en faire jaillir les sentiments. La réalité semble grimée, couverte d’un voile tantôt baroque, parfois farouche et volontairement absurde. Le mot est habillé même quand il sort cru et pas aussi malveillant qu’il ne le laisse paraître : « T’en fais pas / Je reviendrai encore / prendre de tes nouvelles / afin de m’assurer que tu ne vas pas bien / Je t’écrirai encore / Des « Je t’aime » en vers et en vain. / Mais comment écrit-on « Je t’aime » déjà ? / Comme ça se prononce / P-e-t-i-t-e plus loin c-o deux n -e / J’élabore / Mais d’abord je fume / Et ça n’arrangera rien / Et ça n’arrangera rien / Alors c’est décidé : j’arrête de fumer » sur J’élabore où la rupture amoureuse fait passer les mots par dessus bord, déborde la pensée. Ne t’y trompe pas Hexagonaute, on n’est pas ici dans du règlement de compte. Ou alors avec soi-même.

C’est ça Erwan Pinard. Un sentimental qui brouille les pistes, décale la réalité, met son quotidien de prof-chanteur en scène, pour ne pas se laisser perdre dans une société labyrinthe. De l’humour, de l’humour. Il n’en manque pas le garçon et en use à l’envi pour présenter Centre-ville, par exemple, un tube à Lyon, dit-il, qui parle de poteaux repeints. Il fait chanter le public sur le Les queues de poisson, autre naufrage d’un éternel looser en amour, d’un punk sentimental. « Je t’aime à l’ancienne et j’ai tout mon temps / Et sous tes persiennes j’attends comme un gland / Ton apparition, j’attends comme un con / Que tu daignes enfin corriger ce refrain / Les queues de poissons tombent à l’eau de boudin. »

Photo David Desreumaux
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Du texte, de la dégaine, du jeu de scène, je t’ai vendu tout ça déjà. Je ne ferais pas mon boulot correctement si j’omettais de te parler des talents de guitariste de Pinard. La formule est minimale, parfois minimaliste lorsqu’il n’égrène que quelques notes pour dire ses textes plus que pour les chanter. Et parfois, ça groove sérieux et dynamique quand il pousse la rythmique sur sa petite Martin 000X1 AE, et que d’un battement de pied amplifié il fait les percus en tambourinant à même le sol. C’est simple et néanmoins très efficace. A l’image du bonhomme.


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