Après une absence prolongée de trois mois à la salle des Trois Baudets, j’y ai fait mon retour le mardi 1er Décembre. Je suis entrée dans cette salle pour laquelle j’ai tant d’affection sans avoir l’impression de l’avoir quittée. J’y étais encore hier avec le boss, pour découvrir le spectacle du mois de juillet. Les sièges rouges m’ont accueillie comme ils le font chaque fois : confortablement, et comme chaque fois, j’y ai découvert de bons artistes : Gisèle Pape et Ludéal. Aux Trois Baudets, les déceptions n’existent pas.
Vingt heures, les lumières se tamisent sur la silhouette de Gisèle Pape. L’ambiance y est intime, plus encore qu’à l’accoutumée. Un court silence s’impose avant que les cordes de la guitare s’éveillent, tranquillement sans précipitation. Instrumental et poésie se mêlent pour nous emmener dans un univers lyrique aux couleurs bleutées. La sirène, titre qui ouvre ce set, se fait la métaphore de sa propre voix. Ce ne sont pas les marins qu’elle fait succomber mais la salle entière.
Elle nous interprète une chanson du Moyen-âge, Lysandre, qui a auparavant été reprise par Hugues Aufray. Si cela peut prêter à sourire lorsqu’elle l’annonce, quand on l’entend on n’y voit plus que la beauté, la délicatesse et le beau langage. L’attachement qu’elle a à ce morceau est perceptible, c’est avec le sourire aux lèvres qu’elle le chante. Son titre Moissonner dégage lui aussi ce charme ancien.
Gisèle n’est pas comme les autres chanteuses. Elle s’inspire de la nature, première musique au monde. Elle expérimente, mélange des sons environnants, à sa voix, à son synthé et à sa guitare. Le titre Encore laisse entendre le souffle du vent, le sifflement d’oiseaux mais aussi les bruits de la ville. Au milieu, son chant devient précieux, elle vient « ouvrir l’âme de nos oublis » et nous ramène à l’essentiel. Sa musique est profondément intime, mais également rassurante. Comme la berceuse qu’une mère chante à son enfant, Gisèle nous apporte le réconfort et amène l’espoir.
Son amour du cinéma ressort, lorsqu’elle inclut un passage du film Reinette et Mirabelle, d’Eric Rohmer. Les mots superposés à sa musique sont saisissants, parce qu’ils parlent à notre propre condition humain : L’heure bleue. « Les oiseaux de jour sont pas encore réveillés et les oiseaux de nuit sont déjà couchés. Et là, là c’est le silence… […] c’est le seul moment où on a l’impression que la nature s’arrête de respirer. Ah ça, ça, ça fait peur ». Grâce aux mélanges des arts, Gisèle Pape est parvenue à en ressortir une note émotionnelle forte : entre sublimation et exactitude. Nous buvons sa musique, car elle est méticuleuse et sincère.
Lors des dernières secondes, elle abandonne tous ses instruments pour terminer a capella. Sa voix pure et épurée, n’a besoin de rien d’autre. C’est certainement le moment où l’artiste parvient le mieux à nous communiquer le frisson et à nous estomaquer. Une magnifique façon de quitter les planches, en laissant le spectateur sur ce souvenir. Éblouissante !
Changement d’ambiance avec Ludéal. J’avais mis de côté, crayon et carnet, pas certaine de chroniquer le reste de la soirée, mais les premières notes ont suffi à me convaincre de les reprendre. Comme Gisèle Pape, Ludéal est seul sur scène avec sa guitare électro-acoustique noire et quelques pédales.
Le jardinier japonais extrait de son précédent album, Paon d’or, a des sonorités colorées. Une belle façon d’écrire, poétique : « j’aurais dû chouchouter tes végétaux, arroser les fleurs / Même si on pouvait inonder les pots avec nos pleurs/ J’aurais dû débroussailler et tailler la roseraie / Empêcher les épines de mordre dans ta peau porcelaine. » Ses vers métaphoriques nous font sourire et les notes majeures nous donnent envie de danser. Difficile de ne pas se laisser embarquer. Mon coup de cœur va à Aussi torride qui sera sur son prochain album,Pluton, annoncé pour février. Bien que ce morceau m’était inconnu, j’avais déjà l’impression de le connaître. Aucun doute qu’il tournera en boucle dans ma Playlist.
Ludéal est également taquin et c’est la pauvre Emilie qui en fait les frais. Emilie devait jouer de la batterie, mais sa machine ne fonctionnait plus. Elle aurait bien aimé jouer sur une vraie batterie plutôt qu’une électronique, mais Ludéal se plaint qu’on ne l’aurait plus entendu. Alors pour qu’elle se présente tout de même au public, il lui demande « Emilie, tu veux bien venir allumer la bougie ? » Elle refuse d’un « non » franc et sans détour, mais c’est le chanteur qui aura le dernier mot, prétextant ne pas avoir de feu. Un petit intermède amusant qui se fait la belle représentation de l’amour vache. Nous aussi on regrette un peu l’instrument d’Emilie, car effectivement, il s’y serait très bien prêté avec des titres aussi rythmés que Chevaux sauvages où il est question de sang chaud et de liberté.
Ludéal chante également des textes aux mélodies moins joyeuses mais toujours dans un climat d’originalité et d’étrangeté comme sur La fin du pétrole ou Crapaud magnifique : « Tu sais le prince du coït à fait son temps. » Ses titres plus lents et mélancoliques en milieu de set méritent quand à eux une oreille attentive pour en apprécier les vers. La transition se fait un peu brutalement après le troisième titre, et c’est peut-être la seule chose qu’on peut lui reprocher.
L’influence de Bashung est indiscutable, mais il y apporte énormément de sensualité et de vitalité. Il a de bonnes mélodies, de bons rythmes, un brin rétro, superposés à une voix grave et chaleureuse. Voila ce qui fait tout son charme. Qu’importe qu’il soit en « costume de none » car sa musique, elle, me plaît.
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