Guillaume Lloret raconte Agend’Arts, une salle de quartier pour les artistes lyonnais

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Il y a à Lyon deux salles de spectacles où il est possible d’écouter 2 ou 3 fois par semaine de la belle chanson française. J’ai déjà parlé ici d’A Thou Bout d’Chant qu’une nouvelle équipe est en train de prendre en main. La seconde salle est Agend’Arts, dont on va parler longuement avec Guillaume Lloret qui en est le responsable. Cet entretien est l’occasion de découvrir l’histoire de cette salle que rien ne prédestinait à devenir un rendez-vous de qualité pour les amateurs de chanson. Salle devenue le centre d’un réseau de quartier, en l’occurrence la Croix-Rousse, où la densité d’artistes est particulièrement élevée.

Guillaume Lloret
Guillaume Lloret

Hexagone : Guillaume, tu as un nom Catalan ?
Guillaume : Oui tout à fait, mais je suis né à Lyon. Je suis d’ici. Gamin j’ai vécu à Villeurbanne puis mes parents sont venus s’installer à la Croix-Rousse.

Hexagone : Qu’as tu fait avant de t’occuper d’Agend’Arts ?
Guillaume : J’ai fait de la musique comme mon père, Bernard, qui est lui aussi musicien, plutôt guitare / blues. Moi j’ai fait du piano, de la basse et de la guitare. C’est mon père qui a créé l’association Agend’Arts en 1996 avec René Lathuraz, le patron du bar Cassoulet, Whisky, Ping-Pong, un bar de la Croix-Rousse aujourd’hui fermé. J’ai commencé à m’en occuper au début des années 2000 quand le groupe avec lequel je jouais s’est arrêté. J’ai commencé à mettre mon nez dans l’association et à organiser quelques soirées. Notre local était alors à côté du bar de René Lathuraz et mon père y avait son bureau où il s’occupait de cachets et d’aministration pour des artistes. Beaucoup d’artistes passaient alors dans ce bar qui fermait à 3 heures du matin. On y organisait des expositions de peintures et il y avait un petit espace pour les artistes qui voulaient présenter un nouveau spectacle.
Quand j’ai mis mon nez là dedans, j’ai commencé à organiser des choses un peu plus régulières et à répondre aux sollicitations des artistes. Jusqu’en 2005, on a donc développé une programmation plus régulière. Mais en 2005, le bail arrivant à terme, on a dû quitter notre local. René Lathuraz qui présidait l’association nous a hébergés et on a pu continuer à organiser un événement tous les dimanches dans son bar jusqu’à l’automne 2008. A l’automne 2008, on a partagé un local avec une personne qui donnait des cours d’anglais pendant la semaine. On y débarquait le vendredi en fin d’après-midi. On l’aménageait pour le week-end et on rangeait tout le dimanche soir. On y est resté 2 ans et demi.

Suissa et Balmino - Photo Emmanuelle Chat
Suissa et Balmino – Photo Emmanuelle Chat

Hexagone : Et quand êtes-vous arrivés dans votre local actuel ?
Guillaume : On ne cherchait pas vraiment quelque chose quand notre local actuel a été mis en location. Il était occupé jusque là par la Cocotte Minute qui faisait aussi de la musique. On a donc décidé de prendre ce local en 2011 et de partager le loyer de 1000 euros avec d’autres utilisateurs. Au dessous de notre salle il y a une cave qui est sous-louée à un cours de batterie. On accueille aussi un atelier chanson animé par Hélène Piris. Le chanteur Suissa utilise aussi la cave. Jean Blanchard y a aussi un atelier de cornemuse. On vient donc de finir notre 4ème saison dans ce local.

Hexagone : Comment a évolué la programmation d’Agend’Arts ?
Guillaume : On a programmé de plus en plus de chansons, d’abord pour ne pas gêner le voisinage. J’aimais bien organiser des concerts de jazz mais ça ne réunissait pas assez de monde car il y a des lieux vraiment pour ça. On fait un peu de musiques du monde de temps en temps. Et puis on s’est orienté surtout vers le texte puisqu’il y a aussi du théâtre et des lectures. Le purement instrumental est donc l’exception. Il faut qu’il y ait de l’écriture, que ce soit en chanson ou au théâtre. Les soirées de reprises sont très rares sauf quand il s’agit de spectacles comme la soirée Renaud de Frédéric Bobin et François Gaillard. La chanson s’est donc beaucoup développée.

Hexagone : Ça s’est passé comment cette priorité à la chanson ?
Guillaume : Au début on a été sollicités par des artistes comme Hervé Lapalud qui est un des premiers à être venu chanter à Agend’arts. Un soir il avait invité François Gaillard. François faisait parti du groupe « Copains comme chansons » avec Evelyne Gallet, Frédérique Bobin et Matthieu Côte. Tous ces jeunes avaient dans les 25 ans à l’époque. De fil en aiguille, toute cette génération est venue à Agend’arts.

Denis Rivet, Fred Bobin et Mickaël Cointepas- Photo Emmanuelle Chat
Denis Rivet, Fred Bobin et Mickaël Cointepas- Photo Emmanuelle Chat

Hexagone : Au départ, la chanson n’a donc pas été un choix délibéré  ?
Guillaume : Au début d’Agend’arts la chanson ne m’intéressait pas plus que ça. J’étais dans le jazz et je ne connaissais donc rien à la chanson. La vocation de la salle a été d’abord de dépanner les gens qui avaient besoin d’un local pour présenter un spectacle. Dans la salle il y avait alors plutôt une vingtaine de spectateurs alors qu’aujourd’hui il y en a une quarantaine. Mais ça a provoqué des rencontres, notamment avec le monde de la chanson. Les artistes sont venus d’eux-même car je n’avais pas le temps moi-même d’aller voir des spectacles ailleurs. Quand je les ai rencontrés c’est qu’ils avaient été invités à Agend’Arts par un autre artiste. C’est une sorte de cooptation qui a fonctionné. On a jamais prévu de première partie et, quand il y en a eu, c’est qu’un artiste en invitait un autre à venir avec lui, ce qu’on n’a jamais refusé.

Hexagone : Agend’Arts est aussi au cœur de la Croix-Rousse.
Guillaume : Nous sommes dans un quartier un peu particulier. Dans un rayon de 300 mètres à vol d’oiseau on a comme voisins Balmino, Jeanne Garaud, Suissa, Evelyne Gallet, André Bonhomme, Hélène Grange, Lily Lucas, Hélène Piris et Claudine Lebègue. François Gaillard et Frédéric Bobin ne sont pas loin du tout eux aussi.
On a toujours été nous-mêmes dans le quartier. On est très lié à la Croix-Rousse. Les bénévoles viennent aussi du quartier. On croise les artistes facilement et la programmation peut se faire au coin de la rue. Au total, les trois quarts de la programmation sont issus du quartier. Tous ces artistes sont très proches de l’association. Ils ont des projets en commun. On a un peu moins de contacts avec la génération plus ancienne comme Remo Gary ou Michèle Bernard qui n’est pas encore venue chanter ici. Elle passe souvent ici écouter ce qui se passe et on espère monter un projet avec elle bientôt. Cet espace convient donc bien aux artistes croix-roussiens. Ils ne vont pas y faire fortune puisqu’on partage les recettes en deux, mais ils n’ont pas de déplacement à payer.

André Bonhomme - Photo Emmanuelle Chat
André Bonhomme – Photo Emmanuelle Chat

Hexagone : Comment est organisé Agend’Arts ?
Guillaume : Jusqu’à l’année dernière on ne fonctionnait qu’avec des bénévoles et il nous restait des dettes à rembourser (15 000 euros de frais d’agence et de travaux d’installation). Je ne suis salarié que depuis cette année. Grâce aux aides à l’emploi on est trois à travailler ici à 2/3 de temps. Il y a une personne pour l’administratif, Fanny Montet et une autre pour la communication, Priscilla Horviller.
Le soutien de la ville est encore dérisoire (entre 5 et 6 0000 euros depuis 2014) et on espère rentrer l’année prochaine dans le dispositif « Scène Découvertes », si ce dispositif est reconduit. On pourrait dans ce cas améliorer le local et payer les frais de déplacement des artistes, ce qu’on ne peut pas faire aujourd’hui sauf exception…. par exemple pour Nicolas Jules il y a 2 ans avec qui on a fait 3 soirées. Les rares fois où ça se produit, c’est quand on est sûr qu’il y aura du monde. Ca a été aussi le cas avec Gabriel Yacoub qui a beaucoup de copains à Lyon datant des années « trad, » comme Jean Blanchard qu’on connaît bien ici. Pour moi ce milieu « trad », ce sont aussi des souvenirs d’enfance et je voyais Jean Blanchard, La Bamboche ou Evelyne Girardon à table avec mes parents. Ce sont comme des oncles et des tantes pour moi. Et on continue donc à faire du « trad » ici de temps en temps. En revanche Delphine Coutant qui venait de Nantes, on n’a pas pu lui payer son voyage….. heureusement qu’elle est aussi « paludière.»

Nico accompagné par Greg Gensse - Photo Emmanuelle Chat
Nico accompagné par Greg Gensse – Photo Emmanuelle Chat

Hexagone : Comment s’annonce la saison prochaine ?
Guillaume : La programmation est bouclée jusqu’au printemps. Pour la plupart, ce sont des gens que je connais ou qui arrivent à Agend’arts par cooptation . Sinon c’est très difficile de trouver une place dans la programmation. On a vraiment beaucoup d’artistes dans le public et je ne peux pas les programmer tous. Je pars du principe que je ne retiens personne que je n’ai pas rencontré physiquement. La chanson représente les 2/3 de la programmation. En septembre, on va fêter avec Evelyne Gallet les 10 ans de son premier album et pendant 2 soirées elle va reprendre les chansons de cet album de 2005. On va enchaîner avec 2 soirées pour fêter les 75 ans de Patrick Font qui sera entouré de jeunes chanteurs comme Evelyne Gallet et Nicolas Bacchus qui chanteront ses chansons. Il y aura mi-octobre une lecture musicale, « Les quatre sans cou » un hommage à Desnos des Têtes Raides : Christian Olivier dira les textes et deux musiciens l’accompagneront dont Serge Begout qui habite à la Croix-Rousse. Chez les Têtes Raides, à l’origine, ils étaient plusieurs à vivre à la Croix-Rousse. Serge est le dernier à habiter dans le quartier et c’est lui qui m’a proposé ce spectacle.

Hexagone : Comment se présente le budget d’Agend’Arts ?
Guillaume : Les dépenses totales s’élèvent à peu près à 80 000 euros. En recettes on a 6 000 euros de subventions, entre 25 et 30 000 pour les emplois aidés. Les recettes se situent entre 40 et 50 000 euros qui intègrent les locations du local pour d’autres activités. Les entrées et le bar doivent avoisiner les 40 000 euros pour 190 spectacles dans l’année avec une trentaine de personnes pour chaque soirée chanson en moyenne. Avec ça on équilibre exactement notre budget. Mais on ne peut pas prendre de risques. Pour prendre des risques il nous faudrait des aides. Et ceux qui ont des aides ne prennent pas forcément des risques. Beaucoup de petits lieux aimeraient avoir 30 personnes par soirée comme nous. Sur ces 30 personnes on a un bon tiers ou la moitié de voisins, c’est à dire un public de proximité. On est donc vraiment très lié à notre quartier autant par notre public que par les artistes.

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