Benoît Dorémus, « Si j’avais fait ce disque il y a deux ans, il n’aurait pas été le même »

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Dix ans après avoir été pris sous l’aile de Renaud, c’est aujourd’hui Francis Cabrel qui se penche sur le cas de Benoît Dorémus en lui offrant les premières partie de sa  tournée qui démarrera fin septembre 2015. Cette aubaine est également l’occasion pour Benoît de mettre un terme à 5 ans de silence discographique. Il raconte.

Photo David Desreumaux
Photo David Desreumaux

Hexagone : Tu seras en tournée avec Francis Cabrel à partir de fin septembre. Tu peux raconter comment  vous vous être rencontrés ?
Benoît Dorémus : A l’automne 2013, j’ai participé aux « Rencontres d’Astaffort », sur les conseils de mes copains chanteurs Ours et Ben Ricour, que l’expérience avait transformés l’année précédente. J’avais souvent entendu parler de ce stage au cours duquel une quinzaine d’auteurs, compositeurs et interprètes de tous horizons passent 10 jours à écrire ensemble des chansons, et les chantent devant un public le temps d’un concert unique.
Moi qui travaille surtout en solitaire, et en prenant mon temps, je ne voyais pas bien ce que pourrait m’apporter de travailler dans l’urgence et à plusieurs, mais j’étais intrigué.
Et j’ai adoré ! C’était comme une grande colo de vacances pour chanteurs, on bossait dur la journée, on rigolait dur le soir. On a formé une bande compacte et complice, une super équipe alors qu’on ne se connaissait pas pour la plupart. Ça nous a fait du bien à tous, ça a été un nouveau souffle pour beaucoup et certains continuent à travailler ensemble depuis.
Francis Cabrel, qui a lancé ce projet il y a 20 ans, suit tout cela de très près. Il y a en lui un grand désir de transmission, de soutien à la nouvelle génération, et il a réussi à rendre cela on ne peut plus concret.

Hexagone : Vous vous êtes revus depuis les Rencontres d’Astaffort. Dans quelles circonstances ?
Benoît Dorémus : Je me suis très bien entendu avec l’équipe qui organise, outre ces « Rencontres », tout un tas d’événements autour de la chanson. Ce sont des gens qui déploient une énergie dingue et sont complètement habités par leur mission : soutenir la chanson d’aujourd’hui, faire travailler les artistes, amener la chanson dans des lieux et des oreilles où elle ne va pas souvent.
J’y suis donc retourné à plusieurs reprises, d’abord pour travailler tranquillement mes propres chansons, loin de Paris. J’ai aussi donné un concert dans un hôpital psychiatrique de la région, une expérience très profonde, très belle, remuante aussi. Enfin, j’ai animé un atelier d’écriture à l’école primaire du village. Pendant 10 jours, j’ai fait écrire quelques chansons aux enfants, c’était très rigolo, et un peu crevant.
Bref, tout cela a donné l’occasion à Francis Cabrel de me voir sur scène plusieurs fois, de mieux me connaître. Suite à mon passage à l’école, je crois que sa fille, qui faisait partie  de mes « élèves » de CM1, l’a beaucoup soûlé avec mes chansons, en les lui réclamant en voiture. ça a dû jouer !
Au mois de septembre, il m’a fait savoir qu’il avait envie de me donner un coup de main, qu’à ses yeux mes chansons en valaient la peine.
J’ai ressenti une immense fierté. Ça a été pour moi une surprise totale. Je pensais qu’il avait bien aimé mon écriture, car il m’avait fait de beaux compliments, mais que ce n’était pas sa tasse de thé plus que ça, notamment parce que je ne peux m’empêcher d’orner mes textes de quelques grossièretés, assez éloignées de la langue qu’il emploie.

Photo David Desreumaux
Photo David Desreumaux

Hexagone : Comment et pourquoi Cabrel t’a proposé ses premières parties ? 
Benoît Dorémus : J’ai d’abord passé 4 jours à travailler avec lui dans son propre studio sur mes nouvelles chansons. C’était fantastique. Ses conseils étaient tous pertinents, tous précieux. Il m’a suggéré quelques idées pour la structure de mes chansons, me prêtait ses guitares, coachait mon jeu, levait son pouce entre les prises quand je chantais. Il était d’une gentillesse, d’une patience extrême et mes pitreries le faisaient rire, alors ça a collé entre nous comme du riz quand on oublie de mettre le beurre.
J’ai savouré du matin au soir d’être avec lui dans cet endroit qui a vu naître tant de chansons incroyables. J’ai trouvé que j’avais une chance pas possible, dans mon parcours un peu chaotique.
Quelques semaines plus tard, par un simple mail, il m’a proposé d’assurer ses premières parties pour la tournée à venir. J’en suis tombé de ma chaise. Là encore, je ne m’y attendais vraiment pas. J’ai fait une série de 5 galipettes suivie de 3 saltos avant vrillés en poussant des hurlements haut-perchés. Mon chat est parti se planquer sous le lit.

Hexagone : Tu n’as pas sorti d’album depuis 2010. Pourquoi tout ce temps ?
Benoît Dorémus : Je ne pensais pas qu’il me faudrait attendre si longtemps, et je ne pensais pas que ce serait aussi douloureux. J’ai détesté ça. J’ai cru devenir fou d’attente, d’ennui, de frustration.
Aux yeux des gens du métier du disque, d’un point de vue commercial, mes précédents albums n’ont pas été un succès. Je savais qu’il serait compliqué de les intéresser à nouveau. Je me suis retrouvé un peu esseulé.
J’ai voulu tout laisser tomber bien des fois, reprendre des études, faire autre chose, mais je n’ai jamais trouvé quoi. J’avais beau savoir que ce n’était pas plus facile pour nombre de mes copains, je ne pouvais pas m’empêcher de m’en vouloir. Je l’ai très mal vécu.
Heureusement qu’il y a la scène, les petits concerts à droite à gauche m’ont permis de faire exister mes nouvelles chansons, et de gagner ma vie. Heureusement que j’ai été soutenu et encouragé par mes amis chanteurs comme Renan Luce, Alexis HK, Oldelaf (rencontré à Astaffort), Maxime Le Forestier (qui m’a composé une musique et invité à faire ses premières parties aux Folies Bergères). Et tout un tas d’autres, Cécile Hercule, Emilie Marsh, Luciole, Eddy la Gooyatsh et puis mes amis de tous les jours… Dans notre génération un peu sacrifiée, on se serre pas mal les coudes. J’ai aussi un public très présent, très actif. Ça compte sacrément.
Ça n’avait pas de sens d’arrêter et au fond de moi il en était hors de question.
L’avantage de tout ce temps, c’est que j’ai connu plusieurs vagues d’écritures. Si j’avais fait ce disque il y a deux ans, il n’aurait pas été le même.

Photo David Desreumaux
Photo David Desreumaux

Hexagone : Ce nouvel album, il est en marche à présent. Peux-tu dire quand il sortira et ce que nous allons trouver dessus ?
Benoît Dorémus : Ce n’est pas facile d’en parler dans la mesure où je suis en train de l’enregistrer. On peut se revoir à la rentrée pour en causer ? Il devrait sortir à l’automne.

Hexagone : C’était important de faire coïncider la sortie de l’album avec le début des dates avec Cabrel ?
Benoît Dorémus : Oui bien sûr. Après 5 ans de silence discographique, me pointer devant son public avec de nouvelles chansons sans avoir d’album à proposer m’aurait paru vraiment idiot. Ça a accéléré le processus et j’ai notamment décidé de ne plus attendre le bon vouloir d’un hypothétique producteur.

Hexagone : Tu as fait le choix du crowdfunding pour le sortir. Peux-tu expliquer ce choix ?
Benoît Dorémus : J’ai longtemps été sceptique vis à vis de ce système de financement. Je connais des artistes qui se sont retrouvés un peu coincés, même après la réussite d’une collecte, et pour qui les choses restent compliquées. Enregistrer un disque n’est pas tout, encore faut-il le promouvoir, le distribuer, le proposer aux radios, à la critique… c’est un métier, ce n’est pas qu’une question d’argent.
Mais j’ai enfin compris que je pouvais continuer à attendre longtemps comme ça, et que « financement participatif » signifiait seulement pré-acheter l’album. Cette pensée a fait sauter mes derniers doutes et j’ai décidé de franchir le pas.

Hexagone : Tu as atteint le premier objectif des 10 000 € en 1 jour. Quelle réaction ça t’inspire ? Tu avais conscience de cette attente et de l’engouement de ton public ?

Benoît Dorémus : Je ne m’y attendais absolument pas. A la seconde où j’ai mis en ligne ma collecte, j’avais les mains moites de trouille, j’ai cru que je faisais une grosse connerie. Je m’apprêtais à mettre 200 euros moi-même avec un faux pseudo pour faire croire que ça avançait, pour amorcer. Mais ça n’a pas été utile.
Le bouche à oreille s’est fait très rapidement, ça a été une journée incroyable. J’ai compris que mon public était tout simplement heureux et fier de m’aider à écrire cette nouvelle page, et que comme moi, il en avait marre d’attendre.

Photo David Desreumaux
Photo David Desreumaux

Hexagone : Si une major revenait te faire les yeux doux aujourd’hui, alors que tu sais dorénavant que tu peux compter sur « ta base », quelle réponse ferais-tu ?
Benoît Dorémus : Sortir un disque sans structure, sans professionnels reste quelque chose de périlleux, faut pas rêver. Si vraiment ils ne servaient plus à rien, les labels n’existeraient plus.
Je souhaite que mes chansons soient le plus diffusées possible. Qu’on leur donne une chance d’exister.
C’est toujours une petite douleur quand des gens m’écrivent « où puis-je trouver tes albums ? ». Mais je suis remonté contre les majors, qui depuis longtemps ne consacrent plus de temps ni de moyens à développer des carrières. Il faudrait vraiment qu’on me propose quelque chose de respectueux pour mon travail pour que je leur témoigne de l’intérêt.

Hexagone : Le disque se vend mal aujourd’hui pourtant il demeure essentiel à l’existence de l’artiste. Quel regard portes-tu sur ce phénomène ?
Benoît Dorémus : Un regard navré. Je suis comme tout le monde ou presque : je n’achète des CD que très rarement. Y a même plus de trou dans mon ordi pour les mettre dedans.
Je n’ai pas trouvé mon bonheur dans le streaming. Où sont les livrets, les photos, les paroles des chansons, les crédits des albums ? ça me manque. Je me fous un peu des clips et du tout-à-l’image, ça ne me suffit pas. Le CD ne me satisfait plus, le numérique pas encore.
Le virage Internet a été totalement foiré, cela a saccagé la création. Quant au grand public, il ne s’en rend que peu compte, il s’en cogne et je le comprends.
Je suis aussi chagriné que la chanson à texte ait aussi peu de place dans le paysage musical. J’adore ce que font les américains, pas de problème ! Mais ça ne suffit pas. Une chanson, un texte, des mots de notre langue, ça peut vous accompagner toute une vie. Ce n’est pas qu’un divertissement. On a tous des chansons qui nous ont remué, qui nous ont révélé quelque chose à nous-mêmes. Des chansons dont on a l’impression qu’elles ont été écrites pour nous seuls.
Mais peut-être que la chanson ne s’est pas assez renouvelée, pas assez modernisée, adaptée.

Hexagone : Avec cette nouvelle tournée qui va amener un nouveau public à te découvrir quelles sont tes attentes pour la suite de ton parcours professionnel ? Vas-tu enchainer une tournée en solo ou en formation sur 2016 ?
Benoît Dorémus : Oui, bien sûr ! Il est encore un peu tôt pour en parler, mais j’ai bien l’intention d’arpenter les routes en formation en 2016 pour défendre mon album. J’espère que tout va se mettre en place petit à petit.

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