On a vu des soldats, des domiciles, des adresses et tout un tas de bazar « inconnus » mais de demoiselle point. Jusqu’ici. Mais voilà, depuis quelques années maintenant, La Demoiselle Inconnue, comme elle s’appelle, a pour mission d’accroître les rangs de son anonymat et il s’y emploie remarquablement. Depuis le début du mois de mars et jusqu’à la fin avril, elle chevauche le Zèbre de Belleville tous les lundis, en co-plateau avec Estelle Meyer. Cette Estelle Meyer dont nous reparlerons par ailleurs, ultérieurement, tant sa prestation vaut le détour également. Le 30 mars dernier, donc, on s’est jetés sur le Zèbre, on a pris notre brin de rayure. T’en souvient-il tout le bien qu’on avait pensé de La Demoiselle Inconnue, en novembre dernier, lors de son passage à la Menuiserie ? Je ne vais pas ici radoter mais j’ai quand même bien envie de finir de te convaincre que cette demoiselle, c’est du haut vol.
A présent dans le giron d’Astérios, tourneur de renom, son carnet de bal se remplit allègrement et l’on voit sur scène une artiste qui commence à domestiquer l’espace, à se sentir face au public un peu comme à la maison. Mais attention, je ne te dis pas que La Demoiselle Inconnue est tellement à l’aise qu’elle fait un numéro de cirque. Non non, pas du tout. C’est dans la maîtrise de la tension qu’elle a progressé depuis l’automne dernier. La comparaison est d’autant plus aisée que le set, lundi soir, était très voisin de celui de la Menuiserie, après avoir connu pas mal de versions durant l’hiver comme l’expliquait la demoiselle à l’issue du concert. Pas mal d’essais, de variations pour trouver le bon équilibre entre chansons enlevées, poésie déclamée et chansons du dedans du bide.
Tension je disais. Une tension qui est l’arête dorsale du spectacle. Une tension tenue roide comme justice par une interprétation faite de subtilités presque imperceptibles à un oeil et une oreille inattentifs. Une diction entre le chant et l’aveu parlé, la déclaration en demi-teinte, toujours en dire moins pour en faire entendre plus. La Demoiselle Inconnue, c’est l’art de la litote en chanson. Le Va je ne te hais point pour guitalélé. Ajoute à cela un fort bel éclairage qui n’aurait pas déplu à Rembrandt, un clair-obscur qui ne veut pas montrer trop, comme pour convoquer nos regards les plus insistants sur la chanteuse, un clair-obscur qui ne laisse apparaître que le dicible des mots, la crête.
Et pourtant, ces mots, ils disent. Et pas qu’un peu. Ils parlent d’amour avec tellement de pudeur qu’on a baissé l’abat-jour sur les déclarations plus ou moins avouables. Ma retenue, adultère non consommé que l’on verrait bien figurer dans un palmarès des chansons les mieux écrites depuis pas mal de temps. C’est sur la pointe des pieds que La Demoiselle Inconnue interroge les arcanes du cœur et des sentiments amoureux. Le sujet semble sensible, on se met face au miroir après quelques hésitations. Alors on dit – parce que ça va mieux en le disant paraît il – on brusque le naturel qui voudrait conserver un voile sur les tourments, les inhibitions.
Qu’y a-t-il derrière cette reprise de Baby one more time de Britney Spears ? Sérieux, lecteur hexagonal qui lis ces colonnes régulièrement, t’as vraiment cru que c’était juste une reprise pour déconner ? Moi, j’y crois pas une seconde. Ok, il y a la mise en scène, la poupée Barbie comme médiator et tout ça. Ok. Mais c’est une chanson d’amour. Explicit Lyrics même. C’est une chanson en anglais, un peu pour planquer les sentiments, comme au refrain de Ma retenue, quand la pudeur, la retenue justement, la peur des sentiments sont à leur comble, on se livre mais en espérant ne pas être entendu, tellement on est un peu honteux de faire ces aveux. La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette, pour une histoire de « retenue », a fini ses jours dans un couvent… Que le bon dieu me tripote et épargne cela à La Demoiselle Inconnue !
J’ai beaucoup dit sur l’interprétation et le psychologique des chansons de cette parfaite Inconnue. Je ne voudrais pas terminer sans rappeler que tous ces précédents ne sont envisageables que parce qu’il y a en cette artiste une qualité d’écriture, une poésie populaire profonde qui va puiser dans les recoins les plus intimes de la personne comme pour s’auto-psychanalyer, se libèrer du poids et de l’épaisseur du monde. La Demoiselle Inconnue fait oeuvre au profit des déshérités, des amputés artistiques que nous sommes. S’il te plaît baby, one more time !
[…] pense que je t’en causerai bientôt de cette demoiselle. Tu peux aussi lire le reportage sur son concert au Zèbre de Belleville au printemps dernier. Le 30 septembre Les Fils de ta mère chantent Brassens, Brel, et Ferré, […]
[…] à Hexagone on l’aime bien et on t’a chroniqué plusieurs fois des émotions liées à ses concerts Parisiens ou Toulousains. Elle venait chanter trois jours, au Bijou, à Toulouse (du 9 au 11 septembre). […]