Que de la pluie fera plus de bruit que le grand Vacarme paru en 2010 ! On le souhaite. Son audace emprunte aux très grands. Galure a fait ce disque sans souci des regards alentours et livre un condensé d’Ovni travaillé jusque dans ses plus imperceptibles recoins. Manu Galure est un musicien, mais c’est avant tout un artiste accompli, un touche à tout, à tous les étages. Et pas des bas étages. Possiblement têtu, entêté même, mais talentueux en diable, du genre que tu croises pas tous les quatre matins.
Le Toulousain met généralement la main à la patte de tous les arts qui constituent ses projets. La musique et les textes, c’est entendu, mais il en va de même pour le graphisme, les clips vidéos qu’il fait lui-même. Là, s’il a confié la besogne graphique à Mathias Chomel, supposons que c’est pour concentrer sa verve créatrice sur des arrangements et autres trouvailles sonores qui nous promènent et nous renversent de sentiments confus en émotions d’adolescents. Que de la pluie, si t’y vois goutte, moi je te dis que c’est les grands « oh ! » C’est du Galure, c’est grand, c’est beau, c’est étrange, simple et compliqué comme l’est un être humain quand il est conformément fabriqué.
On avait été conquis – et j’euphémise à l’envi – par l’EP paru au printemps dernier, et on attendait l’album complet avec une impatience de pucelle et légèrement teintée d’excitation. Avouons-le…
Et bim ! Vendredi 17 octobre, le facteur est passé. Manu Galure, Que de la pluie. C’est dans la boîte. On vit une période économique compliquée cher lecteur, tu le sais. Aujourd’hui, les contraintes obligent, petit à petit, à faire de l’EP le nouveau format discographique standard. Alors, lorsqu’un vrai album « complet », plein à craquer de chansons débarque, avec un beau livret, de belles photos, on est un peu comme un gosse devant un nouveau jouet.
Tiens, de gosse et de jouets d’ailleurs, il en est question à qui mieux-mieux sur ce nouveau Galure. Dans les textes bien sûr, l’album s’ouvrant sur la fort belle Maman. Hommage peut-être, mais hommage-vache-fantaisiste qui met en prise directe avec la faconde et la poétique de Manu Galure. On serait d’ailleurs tenté de se demander si c’est « Hommage ou Dessert » tant ce premier titre donne le ton et l’esprit de cet album dans sa globalité. Mélodie inquiétante sur tendres sarcasmes. Manu Galure a le stylo qui grince des dents et produit des manières de contes cruels desquels il ne s’épargne pas : « Et quand je suis pas sage maman / Fait bouillir de l’eau / Et trempe mes pieds dedans » avant de conclure face à ses propres souffrances et incompréhensions, « Et quand je pleure une rivière / On me laisse tout seul / Et quand je pleure toute la mer / On me laisse tout seul / Tout seul avec mon grand frère. »
Enfance toujours. Dans la réécriture de comptine à présent. Sur scène, Manu interprète souvent Le bon Roi Dagobert. Sur Que de la pluie, il s’offre, non pas une revisite des Trois Petits Cochons, mais plutôt une suite délirante dans une version « salamis et fritons » qui termine en « pâté et jambon halal » au 26ème des p’tits cochons… Pour sûr, ça rénove le genre et devrait bien déniaiser quelques bambins. Et quelques autres consentants.
Durant les quelques années qui séparent Vacarme et Que de la pluie, Manu a travaillé, notamment à la qualité de ses textes. Il a su obtenir l’attention et la relecture de ceux-ci par Eric Lareine, Jeanne Garraud et Sarclo. Pas de moindres auteurs… Le propos de Galure sort dans une langue parfois recalibrée, mais sans concession ni compromission, comme on le constate sur Je vais me refaire : « Je vais me refaire / Je vais me reconstruire avec des matériaux plus légers / Du Scotch et du gravier » pour constater finalement que « La vie c’est du bricolage / Pour des gens maladroits » qui sonne fort comme un refrain du grand helvète cité plus avant.
Étrange et inquiétant ce disque, je le disais plus haut, étrange et inquiétante comme l’est également cette pochette présentant un Manu mi-rasé pluvieux, mi-chevelure opulente. Mais d’une beauté convulsive pour le dire comme Breton car il y a bien quelques écailles surréalistes qui émaillent ce bel objet. Dans le graphisme de Mathias Chomel, on en trouve une représentation d’évidence. Intérieur du livret : Manu assis sur un rocher très haut perché (Ressemblant à un Arthur Rimbaud allant sur les sentiers fouler l’herbe menue), canne à pêche en bois au bout de laquelle flotte un oiseau qui fait penser à un tableau de Georges Braque. Et Galure de déclarer que « Sur l’hameçon de ma canne à pêche / J’accroche doucement de tout petits oiseaux / Pour attraper des oiseaux plus gros / Pour attraper des autruches et des avions. » Belle figuration ici de l’art total de Manu Galure. La poésie ne se borne pas au texte, elle est partout. Elle le déborde ce texte, elle le contourne, elle l’ingère et le recrache pour le mieux faire entendre par les mots et la force de ses images, appuyées par des sonorités musicales qui procèdent à l’enchantement.
On a dit – et tant dit – jadis et naguère que Galure serait un descendant d’Higelin et on ne reniera pas ces propos aujourd’hui. Il suffit d’entendre le titre éponyme (tout comme la superbe Les Épouvantails) pour finir de s’en convaincre tant tout sonne comme le grand Jacques. Mais la plus belle révérence sur cet album, c’est la reprise – doit-on seulement appeler ça ainsi ? – de Boum de Charles Trénet ! Galure, Higelin, Trénet. Le point commun ? La folie ! La géniale folie ! Les fous chantants ! Dans une version moderne – voire moderniste et avant-gardiste – Manu fait exploser ce Boum tout en y conviant le Trénet disparu. Tambours, synthé, scratch… La totale quoi. C’est étonnant, tout comme ce disque est un florilège d’étonnements.
Des textes boursouflés déjà évoqués aux musiques tantôt enlevées voire effrénées comme sur Dragster, Manu Galure, dans ce troisième album personnel, ne fait rien d’autre que de la chanson. C’est bon de le rappeler. Il chante, de façon assez commune finalement, l’amour, la tendresse, ses peurs et ses craintes, il porte parfois des petits coups de griffes à la société qu’il observe et lâche parfois sa mélanco comme sur la renversante Ramène-moi à la maison. Comme un chanteur normal. Mais il n’est pas normal.
Réalisé par Camille Ballon (Java, R.Wan, Renaud Papillon Paravel, etc.), produit par Bacchanales Productions de l’impeccable Nicolas Bacchus, Que de la Pluie vient percuter de plein fouet un marché discographique qui hésite entre la mort et l’agonie. A l’heure d’une réalité économique des plus raides et des plus dramatiques, ce disque arrive avec une audace, une outrecuidance que l’on souhaite voir faire florès ! Peu de disques ces temps-ci affichent autant de prises de risques, peu d’artistes poussent leurs désirs et ambitions artistiques au plus profond comme ici, et les aboutissent. C’est réjouissant, c’est enthousiasmant de constater que quelques maisons laissent aux artistes la possibilité de faire un boulot de cette tenue compte-tenu des difficultés évoquées plus haut.
Manu Galure – Que de la pluie
Bacchanales Productions – L’Autre Distribution
Sortie nationale le 10 novembre 2014
Déjà disponible sur Bacchanales Productions
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