A la table d’à côté, Xavier Lacouture blague avec 2 dames, venues un peu par hasard, et moi pas rasé je m’amuse de la situation. Un autre, bien portant et bonhomme, déambule avec un pansement sur le nez et une chemisette blanche mais élégante. Flo Zink est au zinc et les zygomatiques roulent bon train ce vendredi soir au Limonaire. T’es dans l’ambiance ?
Ce 17 octobre, Élie Guillou joue Rue Oberkampf cité Bergère. Et la salle est pleine. Protéiforme le Guillou. Alors que sort ces jours-ci son nouvel album, Chanteur public, recélant deux pleines poignées de pépites, il jouait, ce 17 octobre, son spectacle intitulé Rue Oberkampf.
Rue Oberkampf n’est pas un tour de chant mais un formidable tour d’adresse sous la forme d’un conte. Un conte (anti-conte?) résolument moderne dans lequel quelques centaines d’artistes se reconnaîtront. Un conte qui raconte l’envie légitime pour un chanteur : celle de faire une grande salle. En l’occurrence le Bataclan, sis au bas de la rue Oberkampf. Un conte qui raconte le parcours du combattant pour y parvenir, un parcours pavé d’embûches et de miroirs aux alouettes. Entre bars pas sympas, boucherie chevaline et conseillère Pôle emploi plus vraie que nature… Conte de faits, d’effets, défait plus que féerique.
Élie y joue son propre rôle, un chanteur débutant, racontant sur un arrière plan philosophique que tout artiste avance sur le fil d’un funambule et qu’il lui échoit de pencher en faveur de la création artistique ou de la réussite commerciale dût-elle l’obliger à renier jusqu’à son patronyme. C’est ce qu’Élie appelle « la forte nécessité poétique dans la poche gauche et la forte vanité autocentrée dans la poche droite. » Et cette poche gauche va comme une peau de chagrin au fur et à mesure du conte, lorsque que Élie Guillou devenu Frisouille, sur les conseils économico-artistiques d’un producteur véreux, n’est plus qu’un produit qui ne décide rien de sa carrière. Des fringues à la coupe de cheveux en passant par la réécriture des chansons en version FM.
Frisouille devient star éphémère (FM ère ?) sur un malentendu, porté par un tube consternant intitulé Bateau phallique, enchaînant les victoires de tremplins pipés avant d’échouer à la porte du Bataclan. Mais cela n’est pas l’essentiel.
L’essentiel, c’est le cheminement que décrit Élie. Et la manière dont il le fait. Déjà, sur le plan du jeu, c’est parfait et pourtant Élie confiait à la fin du spectacle qu’il n’a « pas de formation théâtrale. » Tant mieux peut être car le naturel parfois vaut tous les cours Florent. Les gestes sont nets, précis. Les attitudes également. Élie joue juste. Ensuite, sur le fond, là aussi on touche à la presque perfection. La grande force de ce conte, de ce spectacle qu’Élie a écrit en 5 jours et joué à Avignon l’été dernier, la grande force repose sur le fait qu’Élie ne se pose à aucun moment en donneur de leçons. Comme il l’explique lui même « c’est davantage un documentaire, un reportage. » Aucune aigreur donc mais un regard lucide, éclairé sur un milieu – le sien – qui est capable de produire le meilleur comme le pire.
L’important – et c’est ce que fait Élie par le biais de Rue Oberkampf – est de savoir ce que l’on souhaite précisément et honnêtement en tant qu’artiste. Il ne juge pas. Il expose en ayant toujours un œil sur « le Johnny originel » qui est en chaque artiste. Le « Johnny originel, » en quelque sorte, c’est le Graal. Le vers quoi chaque artiste rêve de tendre. La réussite, le haut de l’affiche, une forte vanité autocentrée… Dans Othello, Shakespeare venait nous montrer que l’on avait tous un petit Iago en nous. Une sorte de mal inhérent à la condition humaine. Et il ne tient qu’à nous de s’en accommoder ou de s’en défaire. L’Histoire du « Johnny originel » dont parle Élie, c’est un peu le Iago du chanteur. Il lui appartient de faire avec ou pas.
Rue Oberkampf est une introspection écrite dans un lieu retiré à une période où Élie avait peu de dates. Il se met à nu mais met à nu également tout une profession en semblant lui tendre une main. Artistes humains qui après moi vivrez, tendez-vous la main.
Faut-il vraiment faire un choix entre la poche gauche et la poche droite ? N’est-ce pas l’équilibre qui permet au funambule d’avancer ? Il est ici bien palpable que nécessité poétique et vanité autocentrée vont de pair, que l’une appelle l’autre. Ce n’est qu’une question de dosage finalement. Élie le sait et le reconnaît très clairement : « Il faut les deux pour faire ce métier, il se trouve que j’ai les deux, alors je m’accroche. » Lui, qui moque son blaze dans le spectacle, mais ne le salit pas, sait et a compris que son salut passe par une construction personnelle, dans un esprit de partage mais sans vouloir brusquer les choses au risque de faire les mauvais choix. Il dresse un constat simple, humble, n’accablant pas ceux qui choisissent une autre route que la sienne. Il ponctue, clairvoyant, « aujourd’hui le temps n’a plus d’importance, je suis mon propre berger. »
Élie sait aussi qu’un artiste, même si les conditions économiques sont redoutables, n’a pas que les Zéniths et le Bataclan pour s’accomplir, surtout pas, mais que les ruelles adjascentes à la rue d’Oberkampf peuvent le mener vers d’autres possibles, plus durablement et plus en accord avec sa poche gauche : la place de la République, le canal Saint-Martin, le rue de la Grange aux Belles, la place du Colonel Fabien, la rue des Pyrénées, les Buttes Chaumonts tout comme les Lavomatic, les stations-services, les maisons de retraite, les Limonaire, etc.
Élie Guillou jouera Rue Oberkampf le 19 novembre prochain, au Centre de la Chanson. A ne rater sous aucun prétexte ! Spectacle majeur qui devrait faire date.
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