Du beau, du bon, du Bobin !

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© David Desreumaux

Du beau, du bon, du Bobin !

Photo David Desreumaux
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Chez les Bobin, il y a deux gars. Et si l’on va dresser ici le portrait de Frédéric, l’homme de scène, garde à l’esprit, Lecteur, que Philippe est toujours là, à côté, en éclaireur dans l’ombre de son frère. Parce que c’est une histoire pas banale que celle-ci. L’histoire de deux frangins, comme deux inséparables, qui ont grandi au Creusot sur les ruines à venir de l’industrie métallurgique et des trente glorieuses. « Le Creusot, c’est une ville dont on part » avoue Frédéric Bobin pour expliquer la tragique destinée de sa ville à laquelle il est attaché, malgré tout, et à laquelle il fera une déclaration amoureuse sur La vieille ouvrière.

Six ans séparent Philippe, l’aîné, de Frédéric. Frédéric déboule en 1978. Je te laisse faire le calcul pour Philippe. Dans la famille, maman a lâché l’affaire niveau professionnel et s’occupe à plein temps de ses deux rejetons. Papa ne fait pas du chocolat mais – comme la môme de Ferrat – travaille à l’usine. Il finira sa carrière dans le service de « l’assurance de la qualité, » comme le souligne Frédéric, mais si l’on n’est pas dans du Zola t’auras quand même capté que chez les Bobin on ne sort pas au casino tous les soirs.

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A la maison, « les parents ne sont pas musiciens mais mélomanes » explique le benjamin de la famille. L’intégrale de Brassens tourne en boucle et Fred passe ses mercredis après-midi à se goinfrer de Jojo, paroles en mains pour toutes sucreries. Un peu plus tard, toujours par l’entremise paternelle, c’est Ferré, Brel, Barbara, Béart, Moustaki et Trénet qui viennent enrichir le vocabulaire chansonnier de Fredéric. Il y a pire école et quand d’aucuns prendraient la culture parentale en grippe, Philippe et Frédéric, non seulement s’en accommodent, mais apprécient et sont piqués à jamais par ce virus.

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Très vite, la complicité des deux frères débouche sur une première expérience artistique. Toute proportion gardée. Frédéric a tout juste 10 ans et avec Philippe ils inventent un jeu. Ils s’amusent à faire les chanteurs. Sans instruments ni rien du tout, ils font « des albums sur des bouts de cartons, avec des pochettes, des ordres de chansons et s’enregistrent sur un petit lecteur à cassettes Grundig » raconte-t-il. C’est lorsque Philippe acquiert un synthé Bontempi et que Frédéric s’en accapare que la fraternelle collaboration débute réellement. Dès cet instant, les rôles se définissent par eux-mêmes. L’auteur c’est Philippe. Le musicien, c’est Frédéric.

A l’âge de 14 ans, Frédéric prend ses premiers cours de musique. Solfège et guitare classique. Les premières expériences micro-scéniques se font à domicile, dans leur chambre, avec seules deux amies pour tout public. Puis, de vraies premières scènes – Frédéric a alors 20 ans – où c’est Philippe qui chante. Mais ce lead ne lui correspond pas, pas plus que le fait de monter sur scène et Frédéric se retrouve seul à porter cette oeuvre collective. On pourrait penser que cela l’effondre mais pas du tout. La complicité est bien trop forte entre les deux frangins pour que l’aventure cesse même si l’un des deux n’est pas sous les projecteurs. C’est plutôt l’inverse qui se produit. C’est le vrai commencement. « A partir de ce moment-là, je sais que je vais pouvoir colporter nos chansons parce que j’en ai très envie et parce que – au-delà du trac minimum syndical – je prends un plaisir immense à être sur scène » précise Frédéric.

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Outre le plaisir intense des planches, c’est dans le travail de création que le Frédéric Bobin devenu artiste trouve le plus de plaisir. Parce que ce travail est partagé avec son frère, dans cette osmose nécessaire et indispensable. Bien souvent sous l’impulsion de Philippe, prof de Lettres à Nevers, les textes arrivent en premier. Philippe est un auteur insatiable qui fournit une quantité de textes à rendre envieux un wagon de chanteurs. « Philippe, c’est comme une source qui me fournit des mots depuis des années et des années » raconte Fred. Dans le nombre, Fred fait son marché. Tente de retenir ceux qui ont une cohérence entre eux. Applique une sorte de ligne éditoriale. Choisit ceux qu’il se sent capable de porter. Parce que c’est ça aussi être interprète, c’est endosser une chanson, se glisser dans les habits d’un autre sans s’y sentir à l’étroit. Alors il trie, demande quelques retouches à Philippe, fait gicler des couplets, tronçonne, meule, polit jusqu’à la soie. « J’ai coutume de dire que c’est moi qui mets le point final aux textes de Philippe » conclut Fred.

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C’est atteindre l’épure l’objectif de Frédéric Bobin. Du premier album, Les salades, paru en 2002, en passant par Les choses de l’esprit en 2004, Singapour en 2008 jusqu’au Premier homme en 2012, Frédéric Bobin n’a cessé d’avancer vers plus de simplicité pour davantage de corps dans ses chansons. En amoureux des mots, lui aussi diplômé de Lettres Modernes comme son frère. Et on ressent bien cette recherche, cette avancée au fil des albums. Que ce soit dans l’écriture mais également dans les lignes mélodiques.

Des premiers albums un peu jazzy, le vrai tournant arrive avec Singapour. Frédéric se trouve vraiment à ce moment, parvient à être lui. Pour la première fois, il se fait confiance notamment musicalement. Les textes sont plus dépouillés, oublient le calembour et le jeu de mots pour céder la place à un propos plus tendu, étiré. Avec le sens entre les lignes. Bobin vient à chanter la conscience de classe et les inégalités sociales comme dans une résurgence de sa culture populaire. Le single Singapour bien sûr, pièce maîtresse de l’album et qui cause d’entreprises délocalisées. Mais également Ce siècle avait deux ans, autre chanson emblématique de l’oeuvre qui parle de « choses intimes mais au milieu de la grande histoire » comme se plaît à le préciser Frédéric. Partir de l’un pour aller vers l’universel, vers le collectif, c’est ça Bobin. Par le biais de portraits au cordeau comme Joe de Georgie qui permettent « de parler de soi sans dire « je ». »

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« Je viens du croisement de 2 traditions. D’un côté la chanson française traditionnelle héritée de mes parents, puis de l’autre côté le rock auquel mon cousin m’a initié. Ces deux pans de la musique m’ont bouleversé au point d’y puiser toujours mon inspiration » avance Frédéric Bobin pour présenter son univers musical. Lorsqu’il compose, Bobin donne la priorité au phrasé. On l’a dit, c’est un lettré. En musique aussi. Il a la lettre musicale. Il s’en dégage une impression d’élégance, de légèreté, de souffle. La chanson respire, le texte vient se poser sur des lignes mélodiques façonnées sur mesures. Le silence, c’est la respiration de la chanson. Le silence abrite le sens. Bobin est d’une génération qui a beaucoup écouté Renaud. Qui a beaucoup écouté Dylan. Il en a retenu le style du folk singer et ses thèmes de prédilection, mais il l’a redessiné à son image. Musicalement, Frédéric Bobin a créé son style. Assis sur un folk-blues-rock des meilleures influences, il égrène des riffs délicats mais puissants. Il y a vraiment un style et un son Bobin qui jaillissent de cette Gretsch qui sonne du feu de dieu !

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Après Singapour, vécu par l’intéressé comme un album porte-bonheur qui lui ouvre des belles portes, parait en 2012 Le premier homme. « La chanson c’est un shoot d’émotion, je n’imagine pas ça autrement » explique Frédéric Bobin et il faut bien reconnaître que cet album en est criblé de shots. Très belle réussite que ce disque qui creuse le sillon entamé vers l’épure, pose son regard sur les laissés-pour-compte ou autres loosers magnifiques comme avec Tatiana sur le périph.

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Actuellement en cours d’écriture, le prochain album de Frédéric Bobin ne devrait cependant sortir qu’en 2016. En effet, structure indépendante oblige, Fred ne peut pas s’offrir le luxe de s’arrêter de tourner pendant 6 mois pour finaliser un disque. Son quotidien, comme celui de beaucoup d’artistes de sa catégorie, c’est de continuer à tourner, de faire des dates. Souvent le week-end. Puis, les autres jours sont consacrés au travail des nouveaux morceaux. A la recherche d’autres dates aussi. En artisan-artiste réaliste. Dans le respect de son éducation populaire où le travail et sa rétribution signifient quelque chose.

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Frédéric Bobin habite Lyon. La célèbre cité romaine, Lugdunum, où il côtoie ses pairs, une scène de haut vol, habituée d’A Thou Bout d’Chant ou de la Salle des Rancy et qui compte quelques pointures qu’on aimerait bien voir entrer dans nos colonnes : Buridane, Reno Bistan, Evelyne Gallet, Rémo Gary, Stéphane Balmino, David Suissa, Jeanne Garraud. Pour ne citer qu’eux. Il arrive à Frédéric de collaborer sur des projets d’artistes amis. D’amis artistes. Un réseau. François Gaillard, Noah Lagoutte, Flo Zink, Rémo Gary encore. C’est pour lui une manière de vacance salutaire pour sa propre oeuvre. Une mise en sommeil pour un temps. Laisser reposer le projet pour se mettre au service des autres. Et Fred de se justifier : « J’ai besoin de sortir de mon univers, ça me nourrit. Et ça fait du bien à l’ego de ne pas être au centre, d’être simplement musicien, au service de quelqu’un. Ça développe une écoute, ça décentre. J’ai l’impression que lorsque je reviens à mon projet par la suite, je sais davantage ce que je veux, je vais à l’essentiel. »

Fred Bobin, pour conclure parce qu’il faut bien conclure, c’est cette élégance, cette classe, cette gentillesse inouïe qui le pousse spontanément vers son prochain. En lui offrant une écoute et une attention sans pareilles. Un garçon qui chante d’une voix aussi douce que le sont ses intentions. Dans la nuance, dans la légèreté. Un gars qui a grandi dans une ville où la vie n’est pas simple, où il a appris que ce que l’on possède un jour peut disparaître le lendemain. Un homme qui vit dans cette humilité, les pieds sur terre. Avec et par l’autre. Une simplicité rare et majestueuse.

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