Les chansons bien fichues qui se tiennent à l’écart des modes et du snobisme sont celles qui restent et s’inscrivent dans nos mémoires. Souvenons-nous de Charles Trenet qui visait juste et prévenait que « longtemps, longtemps, longtemps après que les poètes ont disparu, leurs chansons courent encore dans les rues ». On le savait mais Natasha Bezriche vient nous le rappeler avec ce disque, en dix-sept titres plus ou moins connus, tirés de son spectacle Rouge Ferré créé en 2014.
On pourrait parfois craindre l’overdose, tant l’œuvre des grands disparus « sur-suscite » l’intérêt (« Les morts sont tous de braves types », chantait Brassens), mais bizarrement celle de Léo Ferré n’est pas la plus honorée. Pourtant, force est de constater que lorsque l’interprétation est (h)au(t) niveau, le plaisir d’écouter les airs du Vieux Lion reste intact.
Natasha Bezriche, de sa voix assurée aux modulations sensibles, donne vie à l’œuvre, poignante, et l’on pourrait presque laver Ferré de ses titres les plus discutables, comme cette provocante Petite dont Natasha dédramatise le final en enchaînant sans coupure avec Marizibill, au rythme très enlevé.
Au-delà des qualités d’interprète de Natasha, augmentées d’une dimension de comédienne, la force de Rouge Ferré repose sur le travail accompli par Sébastien Jaudon au piano, virtuose et léger. Coupable des arrangements et de la direction musicale, il apporte à l’ensemble un beau dynamisme, un contraste entre morceaux rythmés (La Marseillaise, La maffia, Les bonnes manières) ou plus mélancoliques (Richard, Plus jamais).
David Desreumaux
Natasha Bezriche
Rouge Ferré
Mistiroux Productions – 2018
Chronique parue dans le numéro 12 de la revue Hexagone.