L’étrange folk rampante d’Hectory

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Photo © Marie Gonzales

Sur la porte de sa loge aux Trois Baudets, le papier indiquant son nom est tombé. Grégory Desgranges – alias Hectory – le ramasse en se marrant : « c’est pas à Peter Harper que ça arriverait ça, tiens… » Le ton, ironique mais dénué de toute amertume, est donné. Il a beau n’avoir signé qu’un seul album – La gloire des faisants sorti en 2015 – le bordelais n’est pas vraiment un perdreau de l’année… Il y a vingt de cela, Greg fondait le groupe Arcahuetas. Désormais en solo, guitare slide entre les mains, il n’a pas pour autant perdu son appétence pour le son d’outre-atlantique, bluesy and western. Et ses textes sont à son image, empreints d’une énergie âpre et d’une retenue toute littéraire.

Photo © Marie Gonzales
Photo © Marie Gonzales

De ton ancien groupe Arcahuetas, j’ai lu qu’il ressemblait davantage au « 16 Horsepower au fin fond de l’Arkansas qu’à un groupe de rockab’ bordelais à la terrasse d’un café. » * Et il était précisé « que l’on ne s’y méprenne pas : ils marient la langue de Pierre Desproges (humour noir) et Boris Vian (satire sociale) comme personne ».

Je ne me souviens pas vraiment de cet article, mais pour ce qui est de la langue, j’aimais effectivement jouer avec les mots. Et cette écriture ludique correspondait bien avec ce que nous faisions avec Arcahuetas…

Tu peux nous expliquer ton concept de « folk rampante » ?

Ça intrigue, n’est-ce pas… Il m’arrive « d’envoyer » musicalement parlant, de façon peut-être outrancière. Je demeure malgré tout à la limite de la retenue. Tendu, sans pour autant exploser… D’où le côté rampant, sinueux… Une sensation qu’on retrouve à travers les « ombres qui louvoient le long des plinthes » de Capharnaüm ou dans Vermine.

Vermine, une chanson qui ne figure pas dans La gloire des faisants

Vermine n’est pas encore enregistrée ; elle sera dans le prochain EP. Avec Arcahuetas, j’avais également écrit une chanson qui évoquait les cafards. Je dois faire une fixation sur ce qui rampe !

Il y a dans ton son des filiations assumées – John Lee Hooker, Johnny Cash, Tom Waits – et en termes de cousinage, on songe aux canadiens de Timber timbre ou aux normands de la Maison Tellier…

Timber Timbre, oui. La maison Tellier, ils sont eux aussi très influencés par la musique américaine. On m’a aussi cité Thiéfaine, que je respecte beaucoup mais que j’ai peu écouté. Mais ça me plait bien qu’on m’attribue de tels cousinages, comme tu dis…

Chienne de garde, si elle était chantée une gamme en dessous pourrait presque ressembler à du Nick Cave…

Ah là, par contre, idole absolue et depuis très longtemps ! Découvert à 15, 16 ans. J’étais fan de Noir Désir et ils reprenaient un morceau de Nick Cave. J’ai commencé à écouter et je ne me suis pas arrêté depuis !

T’es sur un media qui milite franco pour la chanson, tu vas être obligé de nous balancer tes influences françaises !

Des influences évidentes, Bashung, Arno, Dominique A. Et Noir Désir à l’adolescence donc. J’ai récemment découvert Pain Noir que je trouve vraiment bien. Bertrand Belin également. J’apprécie aussi la rapeuse Casey.

Il est précisé dans ta présentation que tu fais « La part belle aux textes« , commençons par le titre un peu cryptique de l’album. A une lettre près, La Gloire des faisants est-elle une élégie aux petits escrocs et arnaqueurs en tous genres ?

Ah le titre ! Je t’avoue que l’exercice où on doit presque caser tout son univers en trois mots, me gonfle un peu… Du coup, c’est un peu un titre « boutade », un délire à tiroirs, à triples lectures. Ça évoque bien sûr le volatile innocent qui se fait défoncer à la chasse. Mais surtout ceux qui font et en effet miroir, la gloire qui défait… Si pour toi, c’est une référence aux escrocs, ça me va aussi. Les artistes ont un petit côté escroc, bonimenteur, sinon ils ne montent jamais sur scène !

La gloire des faisants se réfère donc à ceux et celles « qui font »…

Oui, dans un monde de la musique qui se veut de plus en plus formaté, ça devient très difficile de « faire », tout simplement. Sans parler d’en vivre ! Mais il y a malgré tout des artistes qui prennent le risque de faire ce qu’ils ont envie et ne se contentent pas de livrer des produits attendus. Du coup, leurs titres ne sont sans doute pas codifiés, pré-mâchés pour les journalistes « donneurs d’ordre » qui vont vendre en deux phrases, en se référant à untel ou untel…

C’est effectivement assez réducteur de définir un artiste par rapport à ses pairs. Mais cela permet aussi à l’auditeur de s’orienter dans son choix…

Oui, et ce dernier va réagir en fonction de l’orientation du journaliste. Si bien sûr, le média pour lequel il ou elle écrit, a une vraie ligne éditoriale en la matière. Ce qui ne me semble pas évident ; la presse musicale ne se portant pas mieux que le disque, cette exigence tend à disparaître… A part les rares courageux qui coûte que coûte, préfèrent interviewer, aller voir les artistes en concert, en essayant de faire leur boulot de journaliste…

Comme Hexagone donc !

Je trouve très méritoire une démarche telle que la vôtre. Je n’ai pas de problèmes avec le fait de vendre des disques, juste un problème avec ce système. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’on ne souhaite pas gagner notre vie avec… J’essaie de gagner la mienne en vendant mes disques, ou du moins j’essaie de ne pas la perdre ! Et que ce soit avec le public ou avec des journalistes, j’ai besoin que la relation ne soit pas mercantile, qu’elle soit avant tout une rencontre.

Photo Bertrand Lafarge

Tes textes sonnent très XIXème siècle ; « Et qu’en est-il de mon incurie / de mon inconsistance à faire pâlir d’ennui / n’as tu rien d’autre à me dire / qui ne puisse m’écorcher encore » T’es plutôt Rimbaud ou Mallarmé ?

Rimbaud évidemment. Mallarmé, je l’ai découvert assez tardivement. Je ne connais pas très bien, mais j’ai beaucoup aimé ce que j’en ai lu. Mes références en littérature penchent plutôt vers les romanciers américains comme John Fante, Bukwoski.

Il y a une référence littéraire explicite dans Capharnaüm, le poète anglais William Blake…

J’ai lu William Blake, mais la référence est également cinématographique. C’est le nom du personnage incarné par Johnny Depp dans le film de Jim Jarmush, Dead man.

En écho, à l’autre William cité immédiatement après… Le William Munny du film de Clint Eastwood, Impitoyable  !

Oui, j’assume le clin d’oeil au western. Mais j’aime aussi William Blake, je le répète…

Tête haute a fait l’objet d’une mise en clip. C’est le titre phare de l’album ?

Je n’ai pas essayé de faire des tubes dans ce disque et donc logiquement, je n’ai pas choisi la chanson la plus « tubesque » pour le clip… Elle fait quand même plus de cinq minutes trente ! La première prise a été faite avec un magnéto cassette et elle a donc un son roots de chez roots… Que l’on a tout de même retravaillé ensuite en studio. J’ai choisi Tête haute pour son climat étrange, du entre autres à la voix fascinante de Lisa Wieland. Ce qui est sûr, c’est que ça aurait probablement été celle qu’un label m’aurait déconseillé de choisir !

Il est vrai qu’elle n’est pas vraiment représentative du reste de l’album…

Oui, mais j’ai envie d’étonner et ça ne veut pas forcément dire plaire. Le clip de Eric Imbault reflète parfaitement l’étrangeté de la chanson. Maud Modjo, une performeuse avec laquelle j’ai eu l’occasion de travailler sur scène, y a également contribué. Une fine équipe de tordus géniaux !

Comme avec Arcahuetas, tu as choisi le français, alors que manifestement tes influences sont plutôt anglo-saxonnes…

Je viens de l’écrit, c’est mon truc. J’ai été torturé pendant dix ans par l’étude de la guitare classique et je prenais plus de plaisir à écrire des poèmes en parallèle. Je commence toujours par les textes, la musique vient ensuite. Ce qui ne m’empêche pas de composer des musiques sans textes, mais ce sont les mots qui vont être le déclencheur.

Les arrangements sont parsemés de touches abrasives (l’harmo disto de l’incurie, les guitares crunchy de Mangroves et noisy de Frusques), qui apportent beaucoup aux mélodies…

J’ai travaillé avec deux producteurs aux méthodes radicalement opposées, Stéphane Gillet et Daniel Burhkart. Stéphane vient de la scène indé, aime faire des trucs dingues comme cet harmonica enregistré dans un ampli jouet poussé à fond, avec une pédale fuzz. Daniel de Cryogène Prod est un génie de l’arrangement et propose des sons classieux. Et les deux se sont entendus comme larrons en foire. Ça a été un vrai plaisir de travailler ensemble.

Photo © 2loz photography

Mangroves a un son très blues rock, à la manière de Jon Spencer. Les paroles évoquent des images de l’évasion d’un forçat échappé d’Angola ou un esclave noir perdu dans les bayous de Louisiane, qui cherchent à échapper à ses poursuivants…

C’est effectivement le point de départ ; ça peut évoquer les forçats de Down by law de Jim Jarmush et leur cavale frénétique dans les bayous. C’est aussi une métaphore sur la vie, qui ne serait qu’une fuite en avant… jusqu’au jour où le couperet tombe.

Tu as refait une autre version de Mangroves, en face A du 45 tours No one waiting’s for me. Moins blues du coup…

Moins blues peut-être et en même temps, les choeurs sont plutôt rythm’n blues. Je l’ai refaite pour lui donner encore un peu plus de folie. Une version enregistrée en trois heures et… mixée en trois heures !

Le Bocal, tant musicalement que sur l’écriture, semble un titre à part dans l’album. Moins marqué folk ou blues…

Trois semaines avant l’enregistrement, j’avais quelques bribes de chansons, mais seulement trois ou quatre vraiment terminées. J’étais sec, dans un état de déprime total… Grosse crise de doute ! J’attrape une énorme grippe et le traitement de cheval que m’avait prescrit le toubib, me fait grimper aux arbres. J’ai composé tout le reste de l’album en quatre jours ! J’avais très envie d’enregistrer un morceau à la façon des indiens de la Nouvelle Orléans, comme dans la série Treme. Même si je joue très mal du tambourin, j’ai tenté le coup et j’ai improvisé le texte en une seule prise. Et je n’avais pas la moindre idée de ce dont j’allais parler ! Je l’ai fait écouter à Stéphane Gillet, qui m’a dit ; on la garde comme ça. C’est loin d’être parfait mais c’est cet aspect pris sur le vif qui m’a plu et m’a donc paru indispensable.

J’ai repéré Julien Perugini de Télégram dans la liste des musiciens qui ont participé au disque. Tu te situes où sur la scène bordelaise ?

Julien est un vieil ami et avait déjà enregistré sur les disques d’Arcuahetas. On était co-locataires à l’époque, donc c’était simple pour bosser ensemble. Besoin d’une ligne de basse ? Hop, c’était fait. Je ne me situe pas vraiment sur la scène bordelaise ; même si j’y ai plein de copains. Certains font des choses que j’adore, d’autres non, ce qui n’empêche pas qu’ils soient mes potes… La scène bordelaise est à l’image du reste. Il y a des groupes très chouettes et d’autres, qui démarrent bien, mais qui lissent leur musique afin qu’elle corresponde à ce que l’on attend dans les tremplins. Je trouve ça un peu dommage. Ceux qui sont moins formatés, ne suscitent pas le même intérêt. Ils font pleins d’erreurs que je trouve intéressantes, attachantes parce qu’elles révèlent leurs personnalités. Et bien souvent, on va les amener à rentrer dans des cases, des formats. C’est peut-être un peu sexiste, mais je trouve qu’on les castre en quelque sorte…

Tu joues avec Peter Harper aux Trois Baudets. Qu’est-ce que tu espères de cette première partie parisienne ?

Si les gens arrachent leurs fauteuils, j’aurai fait mon travail ! Plus sérieusement, je n’ai pas fait de dates à Paris depuis dix ans. C’était à la Flèche d’Or avec Arcahuetas. Alors bon, si le directeur d’Universal était présent dans la salle et qu’il a aimé… et bien, je serai content pour lui !

Le site d’Hectory

Ecoutez Hetcory sur Bandcamp

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* Interview 08/12/2008  sur rockmadeinfrance.com

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