On était loin hier soir des petits troquets étriqués où a commencé Agnès Bihl. Il y a 15 ans elle balançait sa gourme et ses rimes à L’Ailleurs ou au Limonaire et c’était soir de gala, comme à l’Olympia.
Aujourd’hui la p’tite Bihl n’est pas malade et elle a bien grandi. Hier soir la parigote s’est mis le public des Bouffes Parisiens dans la poche dès le lever de rideau. Après une première partie assurée avec la qualité textuelle et la verve qu’on lui connaît par l’inoxydable et cocasse Bernard Joyet accompagnée par Nathalie Miravette au piano, Agnès a livré deux grosses heures de sa vie de femme.
Dans ce somptueux théâtre à l’italienne tapi de velours rouge et inauguré en 1855 par Offenbach, Agnès Bihl a présenté son nouveau spectacle, 36 heures de la vie d’une femme (parce que 24 c’est pas assez), créé par Didier Grebot, Marylou Nezeys et Simon Malmenaide. Accompagnée, comme c’est le cas depuis 2009, par Dorothée Daniel au piano, Jérôme Broyer à la guitare et Sébastien Bacquias à la contrebasse, Agnès a montré que si son dernier album n’affiche pas exactement la même tonalité militante que sur ses œuvres de jeunesse, militance tout de même il y a au service de la cause féminine – notamment – dans une langue toujours aussi innovante, fraiche et subtile. Le féminisme vu par Bihl, c’est bien davantage Epicure et l’hédonisme plutôt que les vieilles mal embouchées qui râlent dès qu’un mec veut les approcher…
Agnès Bihl n’a jamais eu la langue dans sa poche parce qu’elle porte une robe et c’est le public qui en profite. Attirée depuis le début de sa carrière par le brassage des arts – on se souvient en 2004 qu’elle avait mêlé chansons et dessins de Delphine Courtois à l’espace Jemmapes – Agnès a mis en correspondance son album 36 heures de la vie d’une femme (parce que 24 c’est pas assez) avec un recueil de nouvelles du même titre. Hier soir, sur la scène des Bouffes Parisiens, elle s’est livrée à la lecture d’une de ces saynètes, Le baiser de la concierge. Magnifique histoire « d’une ordure ordinaire » qui livre toute une famille de juifs aux allemands durant la seconde guerre mondiale. La lecture de la nouvelle est suivie de la chanson : prolongement de l’histoire, des émotions où chanson et littérature s’appellent et se répondent comme dans un devoir de mémoire.
Devoir de mémoire et de lutte chers à la belle Bihl qui évoquera bien sûr les résultats des élections européennes de la veille et entonnera un de ses premiers succès historiques, L’enceinte vierge, histoire de montrer aux empêcheur d’avorter en rond qu’une Bihl assagie n’est pas une eau qui dort et que si elle chante les amours souvent foireuses, « les bon crus qui font les meilleures cuites », son flingue n’est jamais bien loin et attention, elle sait s’en servir !