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Hexagone n°16, été 2020 – L’édito

Le fil qui nous lie

Certes la formule est largement rebattue, mais il convient de rappeler en préambule que la situation que nous avons vécue ces trois derniers mois – et que nous continuons de vivre pour un temps indéterminé – est inédite. Le monde, l’Europe, la France, toute son économie et tous ses secteurs d’activités à l’arrêt. A l’arrêt, à la maison à ronger son frein, avec pour seule échappatoire la petite lucarne des réseaux sociaux, autoroute du pire et du meilleur.

Un pays à l’arrêt, confiné et privé de sorties pour raisons sanitaires, cela signifie la mise entre parenthèses de toute forme de vie sociale réelle, c’est-à-dire en dehors de ces foutus écrans qui rassérènent autant qu’ils dépriment. La vie sociale au point mort, c’est hélas la vie culturelle qui enregistre un coup dur dont elle se serait volontiers passée, elle qui trinque plus souvent qu’à son tour, maltraitée par un Ministère qui depuis de nombreuses années confond loisirs et culture.

Souvent regardée de haut au sein de cette grande famille de la culture, il y a la chanson, cette forme d’expression qui nous rassemble et nous lie – genre à part entière, populaire, un pied en littérature et l’autre en poésie. Et pourtant il y a là comme un paradoxe. Dédaignée, voire méprisée, c’est comme si un agent invisible, depuis des années, la maintenait de sa botte la tête sous l’eau, l’empêchant de s’exprimer. Et tout à coup, trop occupé à pallier les manquements de l’État dans la gestion de la crise sanitaire, cet agent semble baisser la garde et, libérée de son joug, la chanson reprendre ses droits. À l’image de la nature offrant le spectacle de sangliers et autres cervidés errant dans la capitale. Ainsi la multitude de concerts sur Facebook auxquels se sont adonnés des artistes de notoriétés diverses, le carton des Goguettes en Trio mais à Quatre, la Symphonie confinée orchestrée par Valentin Vander… ainsi donc la chanson a proliféré sur les réseaux (certes pas toujours à son avantage, torse nu dans la cuisine), devenant un des modes d’expression et de sensibilité les plus en vue durant cette période de confinement. Il faut nous en réjouir, mais notre plaisir est de courte durée.

C’est que l’ensemble de la filière chanson s’attend en effet à vivre des heures difficiles, conséquence inéluctable de la pandémie. La profession, composée pour beaucoup de petites structures, se trouve fragilisée. Comment pourra-t-elle faire face alors que l’on ignore encore beaucoup à cette heure des conditions de sa reprise d’activité ? Devant cette situation inédite, Hexagone a tenu à enquêter au sein de la filière, auprès des artistes eux-mêmes et de tous leurs corollaires : attachés de presse, labels, tourneurs, salles, programmateurs, etc. (lire p.  36 et suivantes) Depuis la rédaction de cet article construit sous forme de récit, quelques petites choses ont bougé mais pas tant que ça : le festival des Sud à Arles a finalement jeté l’éponge. Au chapitre des indemnisations, la Sacem a annoncé qu’elle rémunèrerait les artistes qui ont  joué en live sur internet.

 

Dessin : Piérick – Enquête La Culture au temps du coronavirus

Si mener une investigation dans le cadre de cette situation exceptionnelle nous a semblé indispensable, retraçant ainsi près de trois mois un peu fous d’annonces, de contre-annonces, de flous ministériels et présidentiel, nous avons également souhaité donner à ce numéro 16 un contenu auquel vous êtes habitués, un contenu « classique » conçu dans des conditions extraordinaires. Un contenu familier, pour ne pas ajouter de l’anxiogène à l’anxiogène, pour donner aussi une visibilité à des artistes coupés de toute exposition médiatique au moment de lancer de nouveaux projets. C’est le cas de Chloé Lacan, que nous sommes à la fois ravis et fiers de mettre à l’honneur en couverture de ce numéro. Chloé, c’est l’ADN même d’Hexagone. Son nouveau spectacle – J’aurais aimé savoir ce que ça fait d’être libre, interrompu comme tous les spectacles à la mi-mars – est une petite merveille. Nous en parlons largement avec elle. Un régal.

Focus également sur Benoît Dorémus, Sage comme des sauvages, Cali, Phanee de Pool, Nirman, Bertrand Betsch, les concerts confinés, et plongée au sein de Cette chanson qui dégenre…, large dossier qui interroge les relations entre chanson et LGBT : Pauline Paris et Léa Lootgieter, Samuele, Clément Bertrand, Jérôme Marin (Monsieur K.), Julien Fanthou (Patachtouille) et Nicolas Bacchus ont répondu présent à notre appel.

Contenu classique, disais-je, pour une conception exceptionnelle. Nous avons ainsi fait l’expérience de la visioconférence avec Zoom ou Skype pour réaliser les entretiens, et avons travaillé à partir d’un fonds de photos existant. Seules les photos de Chloé Lacan ont été réalisées aux premiers jours du déconfinement, sur une plage de la Manche. Plaisirs de La pêche au bonheur et de la liberté retrouvés.

 

Chloé Lacan
©David Desreumaux – Reproduction & utilisation interdites sans autorisation de l’auteur

Ce plaisir intense ne doit pas nous faire oublier qu’à l’occasion de l’édito du N°13, en septembre dernier, je vous faisais part des difficultés que rencontrait la revue et vous donnais rendez-vous dans le présent éditorial afin de dresser un bilan et d’évoquer l’avenir d’Hexagone.

En résumé, j’annonçais que pour survivre nous devions nous développer et que cela ne serait possible qu’en créant deux emplois : l’un à la communication, l’autre administratif. Et que pour créer et financer ces postes, nous devions d’une part voir grandir les rangs de nos abonnés d’un millier supplémentaire, et d’autre part enregistrer davantage de recettes publicitaires.

Nous n’avons réussi dans aucun de ces deux secteurs. Les abonnements ont légèrement progressé, mais loin du compte attendu ; nous affichons un total d’un peu plus de sept cents abonnés. Quant aux annonceurs, c’est catastrophique. Depuis plus d’un an, nous constatons une perte régulière de trente à cinquante pour cent sur les recettes publicitaires en comparant d’une année à l’autre (automne 2018 / automne 2019, etc.). Je n’ose même pas évoquer les rentrées de ce n°16 en pleine pandémie ! Mais qui prendrait le risque d’annoncer quoi que ce soit en ce moment alors que la filière avance les yeux bandés et les comptes dans le rouge ? Je parle de la filière chanson, dont Hexagone fait partie intégrante et à ce titre nous ne sommes pas épargnés.

Lancer l’aventure d’une revue dédiée à la chanson, en pleine crise de la presse écrite et alors même que la chanson d’art et d’essai n’est pas des plus courtisée, le défi relevait bien sûr d’une extrême audace pour ne pas dire de la pure folie. Pourtant nous avons voulu y croire et n’avons pas rechigné à la tâche, dans la limite de nos capacités et de nos forces. Sans compromission, jamais, veillant toujours à respecter et garantir notre ligne éditoriale.

Aujourd’hui les indicateurs économiques sont dans le rouge, vous l’aurez compris. La prudence et la raison devraient nous conduire à mettre un terme à cette belle aventure, dès ce numéro 16. Si nous étions raisonnables, ce numéro devrait donc être le dernier. Mais raisonnables, nous ne le sommes que fort peu, je l’évoquais plus haut, du fait même d’avoir créé cette revue. Et puis, il y a vous, toi Lecteur ! Depuis plus de quatre ans désormais, vous êtes quelques centaines à nous soutenir et à n’avoir de cesse de répéter à quel point cette revue est importante à vos yeux, à quel point elle est venue combler un manque. Cesser de publier reviendrait à vous priver de ce média que vous appelez de vos vœux. En cessant de paraître, à l’heure où la profession souffre comme jamais, nous aurions également le sentiment de quitter le navire, de vous abandonner, d’abandonner la chanson. Or c’est tout l’inverse que nous souhaitons. Nous souhaitons au contraire contribuer à lui redonner force et vigueur, à notre modeste échelle, nous souhaitons poursuivre notre travail de mise en valeur d’un art populaire important, vital pour la société comme nous avons pu le constater ces derniers mois.

Dessin : Piérick – Dossier : LGBTQI+ – Cette chanson qui dégenre

Il nous faut cependant plus que jamais serrer les cordons de la bourse, prendre davantage encore de mesures d’économie, nous qui n’avons pourtant jamais été prodigues. Cela commencera par l’arrêt de la webradio qui émettait depuis 2017. Nous ne pourrons poursuivre au-delà du mois de juin. Je sais que cela fera des auditeurs malheureux, mais nous n’avons guère le choix. Puis la revue elle-même va subir quelques modifications. Son format va se resserrer afin de réduire les coûts de production, mais également afin de compenser la surcharge de travail qui ne peut être répartie, faute des moyens nécessaires pour créer les emplois espérés.

 

Retenons simplement qu’il y aura bien un numéro 17 en septembre. La poursuite de la revue, au-delà de ce numéro, sera conditionnée par les rentrées d’argent. Nous verrons si les annonceurs ont retrouvé un peu le moral et des finances plus solides, nous verrons comment se sera déroulée la phase de réabonnement… Phase de réabonnement qui débute dès réception de ce numéro 16 (message subliminal) dont nous vous souhaitons une agréable lecture.

La chanson, c’est le fil qui nous lie, qui nous raccorde et cette revue est un des moyens de maintenir le contact entre nous. Nous sommes attachés à vous autant que vous à nous, alors tentons de poursuivre.

Bel été à vous, même si celui-là sera dépourvu de festivals.


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