Aragon, l’alter Hugo – Florent Marchet & Patrick Mille

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Patrick Mille & Florent Marchet ©David Desreumaux - Reproduction & utilisation interdites sans autorisation de l'auteur

Florent Marchet et Patrick Mille sont amis de longue date. Le premier œuvrant dans la chanson, le second dans le cinéma, leur collaboration s’amorce en 2016 avec Going to Brazil, un long métrage de Patrick, qui fait alors appel à Florent pour la bande originale. Puis ils seront à nouveau réunis à la Maison de la Poésie à Paris par l’entremise d’Olivier Chaudenson et Arnaud Cathrine. Après y avoir présenté en 2017 Relire Reverdy, Florent Marchet et Patrick Mille créent l’année suivante un second volet de ce qui pourrait devenir une série. Relire Aragon a déjà été donné à plusieurs reprises, notamment aux Bains-Douches à Lignières et à la Fête de l’Huma cette année (l’édition ne s’est pas encore déroulée à l’heure où nous imprimons ce numéro), et sera repris du 6 octobre au 4 novembre 2019 les dimanches et lundis au théâtre de la Gaîté-Montparnasse. Entretien avec deux passionnés de poésie, plus particulièrement celle de Louis Aragon.

 

Patrick Mille
©David Desreumaux – Reproduction & utilisation interdites sans autorisation de l’auteur

Pourriez-vous nous raconter comment vous vous êtes rencontrés l’un et l’autre ?

Florent : C’est une vieille histoire puisque nous nous sommes rencontrés chez un ami commun, Frédéric Lo, qui travaillait avec Daniel Darc. À cette époque nous sortions beaucoup tous les trois, nous festoyions beaucoup et cela se terminait toujours tard, par des chansons.

Patrick : C’était il y a dix-huit ans. Nous étions célibataires, n’avions ni vie de famille, ni enfants, ce qui faisait de nous des gens enclins à sortir.

Florent : J’ai toujours su que Patrick était un passionné de chanson. Par la suite, chacun a fait sa vie et nous nous sommes retrouvés il y a sept ans.

Patrick : A l’époque, je sortais mon premier film, Mauvaise fille. Tu m’avais envoyé une jolie carte postale. Naturellement, je suis allé voir Florent en concert pour l’album Bambi galaxy et j’avais eu précédemment un grand choc scénique au moment de Gargilesse puis de Rio baril. De mon côté, je préparais mon deuxième film, Going to Brazil, et c’est à ce moment-là que j’ai eu l’idée de confier à Florent la bande originale du film. Nous avons donc commencé à travailler ensemble. Il se trouve que j’ai aussi fréquenté La Maison de la Poésie.

Florent : J’y donnais à l’époque beaucoup de lectures musicales consacrées à des auteurs qui avaient une actualité littéraire, et Patrick assistait à ces lectures. Il m’avait fait la réflexion que l’endroit s’appelait La Maison de la Poésie mais qu’il n’y avait pas de poésie…

Patrick : Olivier Chaudenson, son directeur, m’a mis au défi de proposer quelque chose. Nous avons commencé à réfléchir, et Arnaud Cathrine nous a suggéré Pierre Reverdy. À ce moment, la notion de « relire » a pris tout son sens. Cela nous donnait l’occasion de redécouvrir un poète un peu oublié. Ce premier spectacle ayant bien marché, il nous a été proposé d’en créer d’autres, comme une sorte de cycle. Comme j’adore Aragon, je l’ai proposé en second.

Florent : C’est certainement mon poète préféré. Je n’aurais pas forcément osé le mettre en musique parce que je reste très attaché aux versions existantes, notamment de Ferré. Ce n’est pas évident de prendre la suite…

 

Que ce soit du côté d’Aragon ou de Ferré, il y a des aficionados, on est attendu au tournant.

Florent : Pas tant que cela parce que notre mission est celle de relire.

Patrick : C’est-à-dire de faire découvrir d’une manière nouvelle une poésie très connue, celle d’Aragon. Un monument en littérature et en poésie, au même titre qu’Hugo. Mais pour Aragon il manque le théâtre. C’est souvent ce qu’il disait lorsqu’on le comparaît à Hugo. L’œuvre est énorme, et plus encore l’œuvre poétique parce qu’elle est populaire : je pense que Ferrat chante Aragon [NDLR : 1971] a été un des albums les plus vendus. C’est la même chose pour Ferré, chanter Aragon a fait son premier grand succès. Quant à Brassens, il est le premier à mettre en musique Aragon. Plutôt que d’avoir peur de passer après eux, je trouvais cela exaltant. Et j’avais toute confiance dans le travail de Florent. Nous nous sommes dit qu’il fallait reprendre certains tubes pour que les gens les écoutent différemment. C’était difficile y compris pour moi parce que j’ai été bercé par Ferrat. Son album et Les Marquises de Brel étaient les vinyles les plus usés à la maison. Le travail de Florent m’a fait redécouvrir Est-ce ainsi que les hommes vivent, Le vrai Zadjal d’en mourir ou Heureux celui qui meurt d’aimer.

Florent : Et nous avons découvert, chemin faisant, relisant l’œuvre d’Aragon, que des gens comme Ferré s’appropriaient aussi l’œuvre, la découpaient… Sans le respect qu’on pouvait imaginer.

 

C’est le cas pour Est-ce ainsi que les hommes vivent.

Patrick : C’est pour cela que nous-mêmes osons enlever telle ou telle strophe pour garder l’équilibre de telle chose chantée.

Florent : De la même manière que se comporte un chanteur avec un parolier, qui peut dire : « C’est très beau mais je trouve que ça alourdit la chanson. Je veux faire plus fort et plus court. » Ce qui est fréquent dans la pop.

Patrick : Les poètes, texte par lequel nous ouvrons le spectacle, a été chanté par Ferrat. Évidemment c’est totalement différent, car Ferrat a adapté le texte quand nous en faisons une lecture quasi intégrale. Aragon disait que sa poésie était faite pour être lue, pour être chantée. Pour vivre.

 

Pour goûter les mots, prendre la mesure de leur musicalité, il faut les dire à haute voix. » Florent Marchet

 

Florent : Ce qui lui a permis d’accéder à une notoriété populaire.

Patrick : Qui a dépassé sa notoriété d’écrivain et de poète de la résistance.

 

Pourriez-vous dire chacun ce que représente le fait de dire des poètes parallèlement aux autres activités que vous menez ? Auteur-compositeur-interprète pour Florent, comédien et réalisateur pour Patrick. Qu’est-ce que le spectacle littéraire vous apporte ?

Florent : La poésie se dit avant tout en même temps que cela se regarde. Pour goûter les mots, prendre la mesure de leur musicalité, il faut les dire à haute voix. Ce spectacle nous permet ce partage. Il m’arrive rarement de lire à haute voix un texte littéraire.

Patrick : C’est très juste. Pour moi, Racine est un des plus grands poètes français. Je dis poète et non écrivain ni dramaturge – ce mot est horrible. Racine est un poète car ses vers ne sont pas très intéressants à lire, mais les lire à haute voix, s’entendre les dire, les entendre, et tout d’un coup leur poésie, leur musique nous transpercent. Dire une poésie nous ouvre un monde.

Florent : Il y a, dans cette lecture, une dimension physique qui n’existe pas ailleurs. Nous ressentons physiquement les mots d’Aragon.

Patrick : C’est pour cela que j’essaie d’avoir le texte avec moi en scène. Et ne pas être uniquement dans le par cœur permet de se laisser porter par une émotion nouvelle même si, à certains moments, connaître un texte par cœur me permet d’accéder à quelque chose de plus physique. La relecture permet des variations, une redécouverte qui vient de la matière texte.

 

Florent Marchet
©David Desreumaux – Reproduction & utilisation interdites sans autorisation de l’auteur

Parce qu’il y a aussi un jeu d’acteur. Nous avons parlé de l’origine de ce spectacle : Olivier Chaudenson, Arnaud Cathrine, la Maison de la Poésie, scène littéraire et musicale. L’hybridation entre musique, littérature et théâtre vous touche ?

Patrick : J’ai une grande fascination pour les chanteurs et musiciens. Pour moi, ils sont presque sacrés. Et dans ce spectacle, je ressens une émotion plus forte que celle que je ressens lorsque je joue au théâtre. Un certain rapport avec les mots, la musique. Florent est avec moi, nous transmettons ces textes que nous disons, qui nous transpercent. Et on les redécouvre avec les gens, et il y a de la musique… Et c’est quand même un spectacle.

Florent : Je trouve que la poésie, contrairement à la littérature, n’est pas immédiatement dans une démarche intellectuelle. Il m’arrive, lorsque je dois mettre en musique des textes, de ne pas vouloir forcément en extraire le sens.

 

Il s’agit de se laisser porter par l’émotion ?

Florent : Exactement. Et la poésie est faite pour être relue à diverses reprises. Il est beaucoup plus rare de relire un roman, même si cela arrive. C’est aussi pour cette raison que ce partage nous intéresse. On peut réécouter une chanson indéfiniment si on le désire.

Patrick : Je suis fier lorsque les gens à la fin du spectacle viennent nous demander où on peut trouver les textes. Et si des jeunes gens sortent en disant qu’ils veulent lire Aragon, c’est merveilleux.

 

C’est important justement cet aspect de transmission, cette dimension patrimoniale ? Qu’est-ce que Aragon et sa poésie racontent aux jeunes gens d’aujourd’hui ?

Florent : La poésie d’Aragon a une dimension intemporelle, ce qui n’est pas le cas de tous les poètes. J’ai l’impression qu’Aragon a toujours un coup d’avance dans ses réponses, un petit peu comme Gainsbourg. Ce n’est pas quelqu’un qui, au départ, trace juste un sillon en sachant ce qu’il veut écrire, sans chercher à imiter un style. Il a traversé différents courants, différentes époques. Il y a de fait quelque chose d’intemporel dans le regard qu’il porte sur le monde, dans son engagement. Nous avons aussi besoin de l’esprit de résistance qu’il véhicule. L’époque n’est plus la même mais il y a un engagement qui est tout autant nécessaire.

Patrick : Et puis de toute façon, il est un miroir et l’histoire se répète… Aragon est pour moi l’écrivain français le plus important du XXe siècle parce qu’il a tout connu et tout dit. Il ne s’appelle pas Louis Aragon en vérité, c’est un orphelin reconnaissant ses parents. Il n’a jamais prononcé le mot maman jusqu’à ses 19 ans ­– il pensait que sa mère était sa sœur ! Quand un homme vit cela, plus la guerre en tant que brancardier… Un autre grand écrivain français était aussi docteur, mais il n’avait pas les mêmes idées pendant la guerre. Aragon, lui, se retrouve enfoui par des obus, se croit mort, le raconte, revient, crée avec Tzara le dadaïsme. Mis au ban, ils inventent, avec Breton, le surréalisme. Ce n’est quand même pas rien que de nommer un mouvement le surréalisme ! Finalement, cet orphelin à la recherche d’une famille la trouvera dans le communisme. C’est un parcours édifiant.

 

Le communisme était peut-être son erreur ?

Patrick : Il a reconnu, à la fin de sa vie, que n’avoir pas pris en compte les crimes du stalinisme était une erreur. Sa fidélité au communisme est finalement la seule à laquelle il n’ait pas fait défaut, puisque Aragon a connu une autre vie après la mort d’Elsa.

Florent : Comme il en avait eu une en parallèle également du vivant d’Elsa.

 

Aragon est pour moi l’écrivain français le plus important du XXe siècle parce qu’il a tout connu et tout dit. » Patrick Mille

 

Patrick : Cet homme couvre le siècle, historiquement. C’est intéressant d’entendre sa voix. Il disait qu’il n’y a poésie que chronologique, de circonstance, et nous essayons d’en rendre compte. Qui vient assister au spectacle traverse le dadaïsme, la Première Guerre mondiale, le camp de Dachau, la libération de la France. Il traverse une histoire d’amour exceptionnelle, peut-être les plus beaux mots d’amour qu’ait eus un homme envers une femme. Il n’y a pas plus belle poésie d’amour que les poèmes d’Aragon pour Elsa.

Florent : Il y a là tellement de vie et de vérité de ce qu’est l’amour… C’est parce qu’il a approché la mort. Il a été blessé dans sa chair, il a vu pendant la guerre des images qui l’ont traumatisé. Après cela, on a souvent une rage de vivre énorme.

Patrick : La résistance peut aussi inspirer les jeunes. Ils sont touchés également par la problématique de l’amour, parce que Aragon démontre que l’amour n’est pas nunuche ! Il parle de jalousie, des autres hommes, du fantôme des autres…

Florent : Et de sa tentative de suicide par amour pour Nancy Cunard également…

Patrick : Poème à crier dans les ruines, « Tous deux crachons… » L’amour est rock et est aussi une résistance. Au départ, nous ne voulions pas retenir de poèmes communistes, puis nous sommes allés chez nos amis de la Maison Aragon et ils ont trouvé cela dommage que nous éludions cette partie de sa vie, nous qui avions à souhait de raconter tout l’homme. Je leur ai donné raison et nous avons ajouté un poème qui est à mon sens un miroir de ce que nous avons vécu les mois passés avec les Gilets jaunes : Réponse aux Jacobins, extrait d’Hourra l’Oural.

 

Aragon est souvent vu comme l’auteur rouge dont on se méfie. » Florent Marchet

 

Florent : Je crois que si, au départ, nous avons essayé d’éluder cet engagement communiste, c’est parce que nous ragions de nous dire que sa réputation, peut-être même sa postérité, avait été entachée par son engagement. Et que de ce fait, il n’avait pas la place qu’il méritait au panthéon des écrivains et des poètes. C’est le Victor Hugo du XXe siècle.

Patrick : Nous l’appelons « l’alter Hugo ». (Rires.) Aragon aurait dû avoir des obsèques nationales, tout le monde le voulait. Même les gens de droite l’ont réclamé à l’époque : François Nourrissier, Le Figaro, Jean d’Ormesson ! Le Parti communiste évidemment. Une seule personne a refusé, il était président de la République et s’appelait François Mitterrand. Allez comprendre pourquoi… Je pense que c’était dû à une grande jalousie envers l’écrivain qu’il était, et surtout il n’était pas très à l’aise avec ce qui s’était passé en 39-45… Je lancerai un appel lors de la promotion de ce spectacle en interpelant le président Macron, lui suggérant qu’il serait peut-être judicieux de reposer la question. Les dépouilles d’Elsa et Aragon sont très bien dans le jardin du Moulin de Villeneuve à Saint-Arnoult-en-Yvelines, mais peut-être mériteraient-t-il d’entrer au Panthéon ? Ils sont tous deux de grands résistants, et pas des résistants de la dernière minute.

 

Y a-t-il dans ce spectacle comme une volonté de réhabiliter Aragon ?

Florent : Oui. Il m’est arrivé souvent de parler d’Aragon autour de moi, y compris dans ma région. Il est souvent vu comme l’auteur rouge dont on se méfie, aussi parce qu’il était chanté par des gens associés au Parti communiste : Ferrat, Lavilliers, Francesca Solleville, Marc Ogeret.

 

Patrick Mille & Florent Marchet
©David Desreumaux – Reproduction & utilisation interdites sans autorisation de l’auteur

Comment avez-vous envisagé la construction du spectacle ? Il fallait trouver un équilibre entre les engagements politique, communiste, esthétique, dadaïste et surréaliste d’Aragon.

Florent : Patrick a lu dans l’ordre les deux volumes de l’intégrale de ses poésies dans La Pléiade et nous nous sommes rendu compte qu’il s’agissait là d’un vrai journal de bord. D’où le parti pris de suivre la chronologie.

Patrick : « Si vous voulez me comprendre, lisez-moi. » Sa vie est intrinsèquement dans son œuvre, à travers ce fameux « mentir-vrai ». Cela nous fait passer par le dadaïsme, puis on fait un pas de côté chez Les poètes : Aragon n’est Aragon que parce qu’il y a eu Rimbaud, Marlowe, Verlaine… Il a une grande connaissance de ces poètes. C’est une panthéonisation : « Entrez dans mon antre et mon Louvre. Voici ma plaie et le Saint-Chrême. Voici mon chant que je découvre » (Absent de Paris). C’est ce que cela signifie. Tous ces poètes qu’il met en scène, qu’il explique, sont fondamentaux.

Florent : Aragon arrive dans les années cinquante, alors que la poésie n’a jamais autant été à la mode…

Patrick : Seghers alors a l’intelligence de faire paraître Poètes d’aujourd’hui.

Florent : Il n’était pas marginal à l’époque d’acheter et de lire de la poésie.

Patrick : C’est également une des raisons pour lesquelles nous montons ces spectacles : ici Aragon, d’autres poètes par la suite. Alors que la poésie est tombée en désuétude, et nous pensons que c’est dommage. Nous avons à cœur de faire entendre des poètes, d’autant que le peuple français a la chance de disposer des plus grands poètes dans le texte original : Baudelaire, Rimbaud, Verlaine… Que demander de plus ?

Florent : La poésie traduite est un non-sens.

Patrick : La poésie shakespearienne ne s’entend que dans le texte original, et Dante en italien. Après, on peut être sensible à l’action, mais ce n’est qu’une partie du génie.

Florent : On entre en poésie par la musicalité des mots, et comme le soulignait Bashung, on y reste pour le sens. Mais la porte d’entrée est le son.

 

Parlons du son justement. Dans ce spectacle figurent quelques poèmes mis en musique par Ferré ou Ferrat. Pour L’affiche rouge, vous avez conservé la musique. Pour les autres, Florent en a composé une nouvelle. Pour quelle raison ?

Florent : L’affiche rouge, comme Yesterday, est une de mes chansons préférées. Je l’écoute régulièrement et je n’ai pas réussi à l’user, ni à m’en lasser. A l’origine, nous avions envie de modifier toutes les musiques, mais pour L’affiche rouge, je n’ai pas souhaité le faire. Nous avons tout de même essayé d’amener une version différente, moins solennelle, plus intime que l’interprétation de Ferré, afin d’en proposer une relecture.

 

Le peuple français a la chance de disposer des plus grands poètes dans le texte original. » Patrick Mille

 

Florent, lorsque tu composes, travaillez-vous ensemble ?

Florent : Oui, c’est essentiel. C’est sa voix, sa sanction et son interprétation qui me guident. Composer de mon côté n’aurait pas de sens. On peut comparer cela aux musiques de film. J’ai composé ma première musique de film avant le tournage, mais j’ai dû recommencer le travail parce que lorsque j’ai visionné les images, elles différaient du décor mental qui m’avait inspiré en première instance.

 

Patrick, anticipes-tu ton interprétation ?

Patrick : Je fais souvent confiance à ma première lecture, d’instinct. Soit je me dirige vers une lecture plutôt intimiste, soit, au contraire, je vais être inspiré par une énergie plus rock.

Florent : Les interprétations se jouent également lors des répétitions, comme nous avons procédé pour le dernier texte. La scansion initiale débouche sur une rythmique.

Patrick : Et le morceau se construit dans le dialogue entre Florent et moi.

 

Nous l’avons dit, vous avez construit le spectacle de façon chronologique si bien qu’on traverse les différentes périodes d’Aragon. Selon vous, où Aragon est-il le plus touchant ?

Patrick : Lorsqu’il est le plus intime, le plus dénudé possible. Dans son amour pour Elsa, et ses jalousies. Lorsqu’il enlève le masque, c’est troublant. Lorsque je relis les textes d’Elsa, quand il dit qu’il pourrait tuer pour elle, je suis traversé d’émotions par cette vérité simple d’un amour absolu.

Florent : Et c’est ce qui est beau car c’est quelqu’un qui est beaucoup dans le contrôle, or ses poèmes désespérés, malheureux, font montre d’une sorte de lâcher-prise que j’apprécie. Il n’aurait fallu, au moment de son amour avec Nancy Cunard, c’est osé et poignant. Cette question est compliquée, car L’affiche rouge me touche énormément également.

 

Pensez-vous qu’Aragon est le poète le plus proche de l’écriture chanson ?

Patrick : Je pense que oui, la preuve en est : c’est le poète le plus chanté.

Florent : Il a une rigueur telle dans la versification que c’est assez simple de le mettre en musique. Les rimes sont complexes et riches, si bien que parfois on en oublie l’effet de rime. C’est un savoir-faire extraordinaire. Dans Les poètes, les rimes arrivent naturellement sans donner à montrer l’artifice.

Patrick : Et comme dans les grandes chansons, ses images sont immédiates et claires. La métaphore est parfaite.

 

Florent Marchet & Patrick Mille
©David Desreumaux – Reproduction & utilisation interdites sans autorisation de l’auteur

 

Le spectacle est-il évolutif ? Vous évoquiez un texte nouveau tout à l’heure…

Florent : Tant que Patrick continuera à lire des biographies d’Aragon, il sera forcément évolutif. (Rires.) C’est le plaisir de se replonger dans l’œuvre.

 

A partir du 6 octobre, vous jouez à la Gaîté-Montparnasse. Ce spectacle est-il destiné à tourner ?

Patrick : Pour l’instant nous n’avons donné que quelques représentations : aux Bains-Douches, à La Maison de la Poésie, La Maison Aragon, bientôt à La Fête de L’Huma. Et nous espérons que la maison de production, Le Mur du Songe, grâce à ces dates parisiennes, nous permettra de le jouer ailleurs.

 

Avez-vous l’intention de fixer ce spectacle sur un support ?

Florent : Nous nous sommes longuement posé la question et avons convenu que, s’il devait être fixé, il faudrait qu’il soit filmé. Le livre-disque était une possibilité, mais l’image accompagnant l’interprétation est capitale je pense. L’engagement physique de Patrick est important sur scène. J’aime beaucoup cette phrase de Jacques Serizier qui disait : « Sur scène, la musique est plus visuelle qu’auditive. » C’est très juste.

Patrick : Une captation pour une diffusion à la télévision, ce serait l’idéal.

 

Le fait de déclamer de la poésie, quelle relation cela crée-t-il avec le public ? C’est intime, la poésie.

Patrick : Je vis cette déclamation comme un poème rock. Cela va bien avec la vie d’Aragon finalement. Ses révoltes contre la police, l’autorité, c’est virulent. Booba et Kaaris réunis sont faibles à côté.

Florent : Aragon renvoie une image assez austère, aussi imagine-t-on mal cet aspect-là de lui. Pourtant l’engagement physique de Patrick dans les textes est très fidèle à Aragon.

Propos recueillis par David Desreumaux


Entretien paru dans le numéro 13 de la revue Hexagone, dans la rubrique « Sur les pas de… »


photos : David Desreumaux – Utilisation & reproduction interdites



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