Boucan, une musique libre

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© Anna Mano

Boucan, ce groupe étonnant et détonnant, est composé de trois musiciens chanteurs : Mathias Imbert (contrebasse), Brunoï Zarn (guitares, banjo) et Piero Pépin* (trompette principalement). Trois personnalités musicales. Sur scène, un vrai groupe qui invente une musique libre, transgenre au-delà du rock, de la chanson, du punk et du jazz. Lors de cet entretien d’avant concert ce trio de potes évoque le groupe, sa musique, l’album Déborder sorti fin août 2019 et la scène.  

 

© Anna Mano – Mathias, Brunoï & Piero

Comment vous êtes-vous rencontrés ? 
Piero Pépin : Je connaissais un petit peu Mathias, mais pas tant que ça, depuis que – récemment – j’habite Graulhet comme lui, et musicalement on avait dû faire une séance d’impro. Avec Bruno, nous nous sommes véritablement rencontrés lors d’une soirée, autour du slam, où un certain nombre de musiciens étaient invités. Et à un moment, nous avons joué tous les trois.

Mathias Imbert : Piero est venu me voir et m’a dit : « Ce guitariste-là il faut absolument que l’on fasse quelque chose avec ».  Quand on s’est revus, quinze jours plus tard, effectivement jouer ensemble est devenu une évidence

Hexagone connait bien Mathias en tant qu’Imbert Imbert (cf. dossier dans le n°4 d’Hexagone), alors Bruno et Piero pouvez-vous nous décrire votre parcours ?
Bruno Zaïrn : Autodidacte, je viens du rock’n roll. J’ai appris à jouer de la guitare en écoutant jouer Led Zeppelin et Hendrix. J’ai toujours eu plusieurs groupes en même temps (rock, duo folk, punk-rock, duo avec un violoncelliste, Double-Happax avec un slameur) et je me suis mis au solo avec l’envie de jouer mes morceaux. J’ai fait de la musique pour le cinéma avec les films d’Alain Giraudy. Et je débute le banjo avec Boucan.

Piero : J’ai commencé très jeune, en région Parisienne, à jouer de la batterie. Prenant la grosse claque du punk en pleine gueule, j’ai monté avec mon frère un groupe, nous avons joué du rock, du punk-rock, de la new-wave. Plus tard, découvrant Fela et la musique africaine, je me suis mis à la trompette, en autodidacte essentiellement. Une fois installé à Toulouse en 87,  j’ai intégré à la trompette quelques groupes dont La friture Moderne puis Le tigre des platanes. J’ai fait du reggae, j’ai composé pour des compagnies, je continue à être multi-instrumentiste.

Un parcours différent et éclectique pour chacun. Pourtant il me semble que la notion de groupe est forte dans Boucan…
Bruno :
Je suis à trente minutes de Graulhet. On est voisins. Cela permet de se voir souvent, en dehors des concerts, pour composer.

Mathias : C’est la première fois que cela m’arrive en groupe de pouvoir prendre vraiment le temps de répéter, de travailler des journées entières, de faire les finitions.

Piero : On prend les décisions ensemble. Quelqu’un propose une idée et nous essayons de la creuser. Chacun amène sa pierre, et petit à petit le morceau final se construit. C’est comme cela que nous travaillons. Nous n’avons pas un leader ou un seul compositeur. C’est un vrai groupe.

Mathias : Ce ne sont pas des choses que l’on peut faire avec beaucoup de monde, je pense. Car nous laissons à chacun sa place entièrement. Et finalement, nous arrivons à une unité, sans que l’un d’entre nous ressorte. Nous discutons et travaillons vraiment ensemble pour arriver à la composition finale d’un morceau. Boucan c’est une unité.

© Anna Mano – Piero, Mathias & Brunoï

Bruno : C’est peut-être pour cela que l’on arrive à faire des choses un peu originales. On compose tout à trois. On n’amène pas un morceau tout fait. Et même, quand j’ai amené une ballade folk banjo-voix pour Sèche à l’ombre, elle a été sacrément transformée ensemble pour un résultat superbe.

On peut dire de votre travail qu’il est musical, foisonnant, original, libre, multi-genre, inventif. Sur quel qualificatif voulez-vous réagir ?
Bruno :
Libre nous correspond bien. Nous voulons cette liberté de jouer ce que l’on veut. Nous aimons bien ce qui est musique cinématographique. Des moments peuvent faire penser à des grands espaces, d’autres à des lieux enfumés, en tout cas cela peut inspirer des images.

Piero : Quand nous avons monté ce groupe, ce n’était pas pour avoir un groupe de jazz, de rock ou de chanson. Mais pour faire de la musique ensemble, parce que le son construit à trois nous plaît. Nous ne nous sommes posés aucune question en termes d’esthétique. Juste l’envie de faire ce qui nous semble juste et qui sonne.

Comment se construit un morceau ?
Piero :
Quasiment tous les morceaux partent de la musique, d’une idée musicale que l’on développe. Une fois que c’est abouti musicalement, en général un texte arrive soit de Mathias soit de Bruno. Et nous retravaillons ensuite pour que le texte et la musique s’imbriquent.

Mathias : Un bon exemple, c’est Déborder. Nous avons créé une musique et enregistré une maquette. Je me dis : « tiens si on mettait une voix-là », et je chantonne « tadatadadader ». Bruno rebondit : « Il semble que tu dis : ça va déborder ». Du coup, j’ai écrit avec l’idée de « ça va déborder » en gardant le rythme chanté en yaourt, et cela a donné ce morceau.

Peu de texte, mais une écriture qui montre que vous êtes concernés par ce qui se passe dans le monde ?
Piero : 
Notre approche n’est pas de faire de la musique de divertissement. Nous avons envie de toucher les gens. Ce que l’on raconte doit avoir du sens pour nous. Un des derniers morceaux que l’on a créé, et que l’on joue sur scène – C’est un ordre – résonne de ce qui se passe en ce moment dans notre « doux pays de France ». Mais ce n’est pas revendicatif, nous ne sommes pas un groupe militant ni les Bérurier Noir, ni Zebda. Nous ne sommes pas des guerriers. Notre arme c’est la poésie et la musique.

Votre mini-album 6 titres l’an passé vous a-t-il servi de carte de visite pour trouver un producteur de l’album Déborder ?   
Mathias :
Premiers cris contient trois titres en live, enregistrés lors de notre tout premier concert.  Nous l’avons envoyé à John Parish qui après écoute nous a répondu : ok ça m’intéresse. Pour nous, c’était incroyable de travailler avec ce sacré bonhomme, le producteur de PJ Harvey, 16 Horsepower, Arno et Eels, entres autres. La plupart des disques de rock’n’roll que Bruno aime le plus au monde ont été produits par John Parish.

© Anna Mano – Brunoï, Piero & Mathias

Où avez-vous enregistré cet album ? 
Mathias :
Au pays de Galles, au Rockfield studio où Queen, Iggy Pop, Joe Strummer ont enregistré.

Bruno : C’est le premier studio résidence en Grande-Bretagne où les musiciens pouvaient habiter pendant une semaine ou deux et enregistrer.

Piero : Cet ancien corps de ferme se compose maintenant de deux magnifiques studios d’enregistrement et d’habitations très confortables. Tu peux vraiment t’immerger, tu es là pour la musique et que pour la musique avec une sacrée vibration tout autour. C’était une aventure assez fabuleuse.

Parlez-moi un peu de cet enregistrement. Trois sur scène et essentiellement trois sur l’album : c’était une volonté de garder le même son ?
Mathias :
Pour le coup, John Parish a fait le choix de prendre le son groupe, de faire entendre Boucan tel quel. On est « à poil », comme sur scène.

Piero : Parish a juste ajouté sur un morceau une ligne simple de piano et il joue du shaker à deux ou trois moments. Le challenge pour nous c’était d’enregistrer tout ce que nous avions prévu dans le peu de temps alloué. Nous avions bien préparé le boulot. Et finalement nous avons avancé très vite. La majorité des titres mis sur l’album viennent de la première prise.  Et le mixage a été rapide aussi.

Mathias : C’était beau de voir Parish travailler au mixage. Il répète son morceau comme un musicien, comme un chef d’orchestre.

Parlez-moi un peu de la photo de la pochette. On a l’impression que vous arrivez d’ailleurs comme des extra-terrestres pour une musique nouvelle ?
Mathias :
En fait c’est une sculpture en métal de ma compagne Anna Mano. Cet objet, accroché à un arbre juste devant chez moi, est vraiment insolite. Et l’insolite nous va bien.

Dans le livret, les textes sont aussi traduits en anglais, une originalité pour un album francophone. Pourquoi ?
Mathias :
Pour rencontrer le monde, pour être accessible. On a eu l’exemple Einstürzende Neubauten, groupe allemand mythique de musique industrielle, qui traduisait leurs textes en anglais. Ça nous paraissait logique de le faire.

Piero : Autre exemple, The Ex, groupe néerlandais chantant en flamand. Cela permet que les non francophones aient accès à ce que l’on raconte.

Sur Etrangler, le premier titre de l’album on entend : « Les femmes étranglent tendrement jusqu’à donner la mort » Une petite explication ?
Bruno :
Cette phrase est un clin d’œil au film japonais de 1976 L’empire des sens, un film qui m’a beaucoup marqué.

© Anna Mano – Mathias, Brunoï & Piero

Votre album a eu de nombreuses chroniques élogieuses d’origine différente (rock, chanson, jazz), pourtant on aime bien mettre une musique ou un groupe dans une case, ce qui est difficile pour Boucan.
Mathias :
Oui, même John Parish nous a dit : « je vous souhaite bonne chance avec cette musique inclassable ». Nous voulons porter notre musique dans tous les types de festivals et de salles de concert, les lieux chanson mais pas que. Ce soir nous jouons à Mix’art Myrys qui a plutôt une vocation de salle de rock industriel.

Boucan, un groupe de scène ?
Piero :
Nous venons de faire un album pour laisser une trace du travail déjà effectué. Et nous sommes déjà en train de préparer la suite. Mais ce que l’on aime par-dessus tout c’est jouer ensemble, sur scène. Partager avec le public, et ressentir sur lui l’effet de la vibration que l’on diffuse.

Mathias : Sur scène, on prend le temps de développer les morceaux. Et on a la fièvre du live, avec un rapport instantané avec le public, pas possible avec l’album.

 

Propos recueillis par Michel Gallas en septembre 2019 à Toulouse.

 


Quelques concerts – 20 mars : festival Les Enchanteurs à Aix Noulette (62), 23 avril : Café Plùm à Lautrec (81)

Album Déborder sorti aussi en double vinyle.


  • *Piero Pépin est décédé le 2 février dernier. Voici le message d’annonce du décès paru sur la page Facebook du groupe : »Il y a 4 ans nous avons fait la rencontre foudroyante d’un homme-trompette.
    Il était d’une humanité, d’une dignité, d’une douceur et d’une fraternité digne des rebelles de sa trempe, et c’est l’essence de Boucan.
    Piero Pepin nous a quittés la nuit dernière, emporté par un cancer foudroyant, comme tout ce qu’il touchait.
    Salut à toi Pilo, on s’en fout, on te garde avec nous !
    Boucan mutilé »

    Le Temps de Vivre

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