Marie-Flore ou l’élégant orage

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© Alexandre Tabaste

Après un tour de chauffe anglophone (By The Dozen en 2014) et un EP en français en 2017 (Passade digitale), Marie-Flore sort son premier album, Braquage, le 18 octobre. Trois dates de concerts sont d’ores et déjà annoncées au Théâtre Les Etoiles les 25 novembre, puis 2 et 9 décembre. Avec ce premier opus, Marie-Flore fait parler la poudre et déboule avec douze morceaux, tels douze coups de tonnerre. L’artiste aux textes affûtés et aux rimes incisives nous embarque dans le tourbillon de son grand tourment amoureux avec une justesse et une franchise rarement égalées. Rencontre avec une personnalité épatante, à la musique – et aux froncements de sourcils – noirs, à quelques semaines de la sortie de l’objet tant désiré qu’elle qualifie « d’honnête et collant à son caractère ». Caractère orageux, bien entendu. Mais terriblement élégant.

Il y a la musique et avec Braquage, il y a Marie-Flore. Si la jeune femme ensorcelante (et ensorcelée?) n’invente pas, elle se distingue. Et captive. Par le sujet abordé, d’abord: l’amour. Morcelé, tordu, piétiné, magnifié, il prend dans ses chansons la couleur de ses souvenirs et d’une histoire qu’elle raconte de bout en bout. Nombrilisme ? Narcissisme ? Affirmatif. Et c’est assumé : « je pense que l’on peut écrire sur absolument tous les sentiments mais ce qui déclenche la création chez moi c’est l’amour, explique Marie-Flore. C’est un peu mono-maniaque dans le thème mais cela ne me dérange pas car c’est le fil conducteur du disque. » Un fil conducteur qui nous entraîne dans des cascades de rimes aiguisées par des sentiments abîmés. Un fil tortueux mais tissé à la main, le diable au corps, qui nous agrippe et nous projette dans des sensations extrémistes. Avec, toujours, cette injonction par le « tu ». « Il y a cette adresse directe que j’ai voulue. Je dois dire « il » deux ou trois fois maximum. Si le terme « régler des comptes » serait trop fort, je m’adresse cependant clairement à quelqu’un. » Ce quelqu’un que l’on a tous connu et que l’artiste sait (re)faire danser au fond de nous.

Flou artistique et objet de désirs
Marie-Flore se lance dans le métier avec un album anglophone en 2014, By the dozen. Avec, déjà, un goût prononcé pour les mélodies travaillées et, surtout, des textes aussi pointus qu’instinctifs, tournant autour de… l’amour. S’ensuit un EP en français cette fois (Passade Digitale en 2017) puis, dans le désordre, reprises, duos et premières parties, dont celles de Pete Doherty ou Julien Doré. Une période parfois floue, durant laquelle l’artiste se cherche, s’interroge, se nourrit, aussi. Marie-Flore : « une vie artistique n’est jamais un long fleuve tranquille et tu passes par des phases qui peuvent être plus ou moins longues. Avant de faire mon EP en français je vis trois ans d’errance artistique. Je créais un coup en anglais, un coup en français, un coup pop, un coup plus moderne… Je pense que tu es toujours un peu perdue jusqu’à ce que tu sois dans ta vérité, dans ta justesse. »

 J’ai toujours parlé d’amour depuis le début, je n’écris que sur ça et il n’y a que ça qui m’intéresse. »

Une justesse bel et bien atteinte, qui ne se calcule pas mais qui arrive… Quand elle arrive. « Avec Braquage, je suis arrivée à quelque chose qui colle à mon caractère et je suis très fière de l’album que nous avons fait avec mes équipes. Nous l’avons certes terminé depuis un an mais, c’est à ça aussi, avec le recul, que tu mesures la véracité de ta démarche entre toi et toi… Et je suis toujours très en accord avec l’objet ! » Un objet attendu, espéré. Un objet de désir(s). Et des sentiments qui se bousculent, le but approchant. « Je n’arrive pas à savoir ce que je ressens vraiment. Une sorte d’appréhension d’abord mais, aussi et surtout, une grande envie d’y aller. Donc rajoutes-y de l’impatience et de l’excitation ! »

Du garage-rock à Gainsbourg, Bashung et Biolay
Il est difficile de trouver quelques équivalents à Marie-Flore. Si les influences existent (l’artiste est passionnée depuis plusieurs années par Leonard Cohen, Nirvana ou le Velvet, le garage-rock – l’expression n’existe pas encore dans les années soixante mais, de toute manière, elle avoue avoir souvent un train de retard dans la sortie des albums – les premiers opus de Muse et Moby ou le décoiffant band des Brian Jonestown Massacre), il est compliqué de la classer dans une veine particulière. Celle qui avoue « ne pas avoir eu de grandes références musicales française » durant son enfance s’est certes rattrapée depuis, à doses de Bashung, Gainsbourg ou Benjamin Biolay. De là à affirmer que l’univers de l’artiste est un divin mélange des trois garçons ? « Ah, ça, j’aime, s’exclame Marie-Flore. C’est un compliment car ce sont des artistes à l’écriture incroyable, d’un très haut niveau, qui touchent à une vérité des sentiments. » Vérités et sentiments, premiers points communs.D’autres ? « J’écris chez moi, tout le temps le soir et, avec un verre de vin et quelques cigarettes. » On s’approche.Parlons de la nuit, pour laquelle elle entretien un rapport étroit autant qu’ambiguë. « Dans la journée, je vais penser à une phrase ou un couplet et c’est la nuit tombée, sur mon piano, que j’y reviens. Parce que c’est comme un cocon, dans lequel je ne suis pas dérangée, où je ressens une véritable liberté. Voilà pour le côté créatif. » Et le côté personnel ? Joker. Puis vérité : « Cela m’effraie. Cela m’angoisse beaucoup. Je l’assimile un peu tous les soirs à la mort. La nuit est à la fois synonyme de fête et de lâcher-prise, mais c’est aussi un ressenti à double tranchant. » La nuit, nul ne saura si la complexe Marie-Flore se ment.

Amour sans fin et bouquets de nerfs
De nuit comme de jour en tout cas, l’album se déguste tel un cadavre exquis. Sans modération. Parce que la voix est chaude. Le ton dantesque. Le flow soutenu et pour ne rien gâcher, les fulgurances pleuvent. Au gré de trouvailles aussi sublimes ( « C’est moi qui te briserais le coeur, en milles taches de rousseurs » dans Braquage ) que terribles ( « Mon amour c’est quoi ton parfum, j’ai l’impression qu’ça sent la fin » dans Tout ou rien ), Marie-Flore cherche à lier mots et images quitte à en faire de sacrés bouquets de nerfs. Avec pour résultat, un univers sonore et visuel détonnant, retraçant un amour dysfonctionnel ne connaissant ni trêve ni apaisement. Et c’est peut-être là que Marie-Flore réussit son braquage-cambriolage, en nous tenant en haleine tout au long d’un album que l’on s’approprie dès la première écoute, en écho à nos propres chutes amoureuses. « J’ai toujours parlé d’amour depuis le début, je n’écris que sur ça et il n’y a que ça qui m’intéresse. Cela évoluera peut-être. » Il n’y a pourtant aucune obligation tant le sujet est (mal)heureusement sans fin. Concernant la fin de Braquage, l’artiste referme son album avec Bleu Velours. D’une voix peut-être plus vulnérable. D’un ton sans doute plus fragile. Parce que sa cavalcade largement autobiographique racontée en douze étapes n’a répondu à aucune question mais les a plutôt exhibées une à une, pour in-fine toucher au sublime. Parce que amour, passion, jalousie, trahison, sensualité, coups de foudre, coups de chaud, coups de sang. Et coups de « sans ». Sans ce quelqu’un qui, tel un dernier rappel sur scène après des heures de mises à nu, est appelé à nouveau : « Je cherche l’issue de secours, dans tes yeux le velours… Depuis je guette ton retour, tu piges ? » Quand on vous dit que l’amour est sans fin.

Jérémy Attali


Photo : Alexandre Tabaste

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