Corentin Grellier, en solo guitare

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© Georges Cier

Arrivé à Toulouse quelques années plus tôt (fin 2012), guitare sur le dos et des mots plein la valise, j’ai vu débuter Corentin Grellier sur la scène de Chez ta mère lors de levers de rideau. J’ai assisté à ses progrès au sein du groupe Camu, un trio dont il était le chanteur-auteur-compositeur. Camu a gagné le prix Nougaro en 2015, publié un album Des vagues et des hommes où la mer avait une grande place, et connu plus de trois années de concert. Désormais, Corentin Grellier se produit en en solo guitare. Pour cette nouvelle étape, coup de cœur du public des auditions Osons du Bijou de novembre dernier, il a été invité pour les 25 ans de Chansons Buissonnières le 26 janvier auprès de Jacques Bertin, Michel Bülher et Michèle Bernard. A la mi-décembre 2018, au théâtre du Grand-Rond pendant cinq jours, il a présenté ses nouvelles chansons. Pour son spectacle intimiste Les oiseaux sortent de la nuit avec des chansons de secours, il a disposé une bougie sur chaque table, a distillé sa poésie en chanson, dit un texte sans musique et a conclu son concert, sans micro, au plus près du public. Le jour de sa dernière représentation, Corentin, au cours d’un entretien, s’est confié sur sa nouvelle orientation en solo, sur l’évolution de son parcours et sur son nouveau répertoire.


© Michel Gallas

Hexagone : Corentien Grellier, en solo guitare, c’est très récent ? 
Corentin Grellier : Je fais des chansons depuis longtemps, avec ma guitare. Être en solo me permet de jouer des chansons que je ne faisais pas avec Camu. Ces chansons donc devenaient mortes car elles ne rencontraient personne et n’étaient pas partagées. Oui le solo est très récent. J’ai commencé, en juin 2017, à chanter devant des amis, des gens que je connaissais. Mais finalement je me suis mis à sortir de ce cocon uniquement en mars 2018, au moment de l’arrêt de Camu. Et depuis j’apprécie l’échange que l’on peut avoir avec ces chansons, en solo guitare, avec le public.

Hexagone : Le passage de Camu à Corentin Grellier m’apparaît comme une évolution naturelle. Mais continuité ou rupture ? 
Corentin : J’ai beaucoup appris avec mes collègues de Camu – Youssef Ghazzal et Fabien Valle – : musicalement bien sûr et sur le fait d’être sur scène. Je peux faire ce solo aujourd’hui parce qu’il y a eu Camu avant. Mon objectif reste la recherche d’un regard précis sur les petites choses, de raconter ces petites histoires, ces petites tendresses, ces petites lumières en essayant de les raconter de mieux en mieux. Donc je le vois plus comme une continuité qu’une rupture franche.

Ma manière d’écrire a bougé, dans la construction et dans l’emploi des mots. J’ai l’impression qu’il y a moins de rimes, que les mots jouent entre eux mais à un autre endroit dans les phrases.

Hexagone : Comme dans cette phrase qui m’a marqué « J’ai du cœur à l’orage et du corps à l’orgasme » ? 
Corentin : Oui, cela rime, cela sonne à l’intérieur de la phrase. J’ai toujours travaillé pour que la langue sonne en bouche. Et que cela fasse sens.

Hexagone : T’ayant vu à ton arrivée à Toulouse au feu café « Chez ta mère » avant Camu, je constate une évolution notamment sur le fait que tu es de plus en plus à l’aise sur scène comme sur les entre-chansons. Tu confirmes ? 
Corentin : Au début je m’angoissais à l’idée de monter sur scène. J’avais peur. J’avais du mal à m’imaginer que les gens puissent être intéressés, séduits, touchés. J’avais peur de déranger. Maintenant j’assume le fait d’être là, seul avec ma guitare. Sur scène, désormais je me sens à ma place. Je me sens libre. Je suis moi-même : c’est pour cela que les entre chansons paraissent naturelles.

© Georges Cier

Hexagone : Peux-tu expliquer le choix de la phrase d’Eluard « Les oiseaux sortent de la nuit avec des chansons de secours » comme titre de spectacle 
Corentin : J’ai toujours adoré cette phrase, ce vers. Cela me parle et raconte mon univers de façon assez juste. Les oiseaux viennent avec des chansons pour nous sauver. Je fais des chansons comme un acte de libération, c’est un chemin pour que ce soit plus joli et lumineux. Faire des chansons me permet d’évoquer et transcender des sentiments, des émotions concernant nos relations avec les gens, avec le monde qui nous entoure, et sur nos rêveries. D’aller dans des endroits où je n’irais pas lors d’une discussion avec des gens.

Hexagone : Dans tes nouvelles chansons, le thème de l’absence apparaît très… présent. Tu confirmes ?
Corentin : Oui, les sujets actuels traitent souvent le thème de l’absence.  L’absence d’une amie, de l’être aimé. De quelqu’un qui est mort, ou parti ou oublié. Mais aussi l’absence d’une vieille émotion, de ce qui n’est plus là, parfois de ton choix parfois non. Cela évoque le sentiment d’un changement, de la distance entre les choses. Ce peut être temporel, physique, émotionnel.

Hexagone : Ta chanson, Petit théâtre de mon île montante a pour sujet l’absence des petits lieux chanson liée à leur fermeture. Que peux-tu nous en dire ?  
Corentin : Cette petite chanson parle des petits lieux – bars, café-concert, théâtre – qui ferment, souvent trop fragilisés par la suppression des contrats aidés. Je l’ai écrite pour inviter à prendre soin de ces petits lieux, ces endroits de poésie, où les gens peuvent se rencontrer et se raconter.

Hexagone : Dans Camu, les textes évoquaient la mer. Dans ton nouveau répertoire, si l’ambiance maritime, semble absente, l’eau est toujours présente. On entend parler de ruisseau, de rivière…
Corentin : J’ai commencé à écrire sur la mer en arrivant à Toulouse. Dans Camu, ce champ lexical maritime était là souvent. Je me servais de ces images pour parler de mon enfance, de mon imaginaire, du voyage ou de la famille.

J’utilise l’image de l’eau – élément très féminin pour moi – pour exprimer le mouvement, comme dans le titre Ruisseau. Dans mes chansons, on retrouve beaucoup d’éléments physiques : la terre, le soleil, le feu, les arbres et les oiseaux. Ma mère m’a toujours dit que mon premier mot parlé a été : oiseau.

© Georges Cier

Hexagone : Dans tes nouvelles chansons on trouve les termes : cul, bite, pisse. Est-ce aussi une évolution dans la manière d’écrire ? 
Corentin : « Deux vieilles putains Arpentent ton chagrin Ta petite bite à la main » : c’est poétique dans le sens où les mots sont justes à cet endroit. Cul n’a pas le même sens que fesse, bite n’a pas le même sens que phallus ou sexe. Oui, l’utilisation de ces mots traduit certainement une plus grande liberté que je me donne maintenant. Et peut-être, je n’avais pas ces mots là à dire avant, dans les histoires que je racontais.

Hexagone : Jouer cinq jours d’affilée dans le même endroit, cela permet de rôder ce répertoire plutôt récent ? 
Corentin : Oui, j’ai beaucoup écrit ces derniers temps, vingt textes dans les trois derniers mois, la plupart mis en chansons.  C’est la première fois dans un temps aussi court. Ce sont des mots que j’ai en bouche, des émotions que j’ai à l’intérieur. C’est donc juste de les dire maintenant. Ces cinq jours permettent de les rôder : je découvre comment certaines chansons très neuves se tiennent sur scène, ce qu’elles se racontent, et comment elles évoluent. Tous les soirs, tu viens, tu chantes, tu rentres tout seul avec ta petite guitare, tu gamberges à ce qui s’est passé. Et tous les soirs, même si tu fais à peu près la même chose, le résultat est différent. Certains soirs il y a du monde, parfois moins ; certains soirs le public réagit fort, parfois moins, certains soirs tu sais « prendre » les gens, quelquefois moins. C’est mouvant. Cela donne un condensé de ce qui va t’arriver dans des temps plus longs.

Et puis cela fait plaisir de chanter ici au théâtre du Grand Rond. C’est un bel endroit, où tous ceux qui s’occupent du lieu sont gentils et accueillants.

Hexagone : Tu as joué tous les soirs le même répertoire ?
Corentin : Les trois premiers jours j’ai chanté les mêmes titres mais en changeant un peu l’ordre. Hier, j’ai ajouté des chansons un peu plus vieilles. Et ce soir, je ne sais pas. L’ordre c’est important. J’ai tendance à garder la même chanson au début et à la fin et à changer un peu à l’intérieur.

Hexagone : Le futur pour Corentin Grellier, ce sera un album ? 
Corentin : En solo, j’ai une quarantaine de chansons. Depuis un peu moins de dix ans, j’écris sur un cahier de trois cent vingt pages – toujours le même, de la même marque. Jusqu’à maintenant, il me fallait un an environ pour le remplir. Ces derniers temps, j’ai beaucoup écrit. Et sur le dernier cahier, commencé il y a trois mois, il me reste seulement dix pages. Je sens que le processus de fabrication – sur mes deux derniers cahiers – est à conclure, que cette étape est à terminer. Par un album. Et j’ai l’envie de le réaliser vite. Je pense qu’il contiendra beaucoup de nouvelles chansons. Je sens une progression et une plus grande cohérence avec ce que je suis maintenant, par rapport aux chansons écrites deux ans plutôt. L’enregistrement sera en solo guitare, prise directe à l’ancienne. Je veux pouvoir jouer le disque sur scène sans différence d’arrangements.

La suite c’est aussi l’envie de tourner beaucoup. Et la construction d’un site, en lien avec l’album.


Entretien réalisé le 15 décembre 2018, pendant la semaine d’apéro-spectacles au théâtre du Grand-Rond du 11 au 15 décembre. Photos de scène prises lors de ces concerts, dont photo à la une : © Georges Cier

Prochaines dates : 19 mars Le bijou à Toulouse. En co-plateau avec Clara Sanchez, dans des petits lieux : dans l’Allier le 22 mars à Lurcy levis, le 23 à Ainay le château, le 24 à Neuvy ; le 27 à Flayat (23) et le 30 à Ussel (19)

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