Cyril Mokaiesh, photographie d’une époque

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Clôture, le nouvel album de Cyril Mokaiesh vient juste de paraitre. Un album riche et profond, l’oeil de son auteur bien vissé sur les comportements d’une société bancale. Mokaiesh en fin observateur, définitivement doué d’une écriture sensible et précise, donne à voir et à entendre de son époque. Musicalement intense et moderne, cet album fait partie des incontournables de ce début d’année. 


Hexagone: Quand as-tu commencé la musique ?
Cyril Mokaiesh: J’ai commencé à faire mes premières chansons à 18 ou 19ans. C’était un changement de vie, avant j’étais joueur de tennis et j’allais vers une carrière dans ce sens. Puis j’ai eu l’envie furieuse de faire des chansons et de tenter ma chance. J’avais un gros besoin d’écrire. C’est allé assez vite au début, j’ai rencontré des musiciens et on a formé un groupe. On a fait des concerts à Paris et on avait un Myspace qui tournait. Pas mal de gens nous ont suivis assez rapidement dans les petites salles parisiennes, on remplissait des salles de 200 places. C’était de jolis rendez-vous. Ensuite on a signé sur un gros label, Universal. On a fait une petite tournée. L’album n’a pas très bien marché mais je crois qu’il y avait des super trucs dedans. Un vraie énergie groove rock, mais ça n’a pas suffisamment marché pour poursuivre l’aventure ensemble. On avait des envie un peu différentes. Je suis parti dans une carrière solo en me tournant plus vers la chanson que vers le rock.

Crédit photo: Leone Barbezieux

Hexagone: Quel a été ton cheminement depuis la fin de ce projet en groupe jusqu’à aujourd’hui ?
Cyril Mokaiesh: Au début, je ne faisais qu’écrire et chanter. Je n’étais pas musicien, j’ai appris la guitare au fil des années. À partir de la fin du groupe il a fallu que je me mette aussi à la composition. J’ai fait l’album Du rouge et des passions en 2011. Beaucoup plus orchestral et avec des thèmes déjà assez engagés, c’est un album qui a été assez salué et qui a eu pas mal de succès. Ensuite il y a eu le deuxième album solo L’amour qui s’invite. Celui-là a un peu moins bien marché. Il était très introspectif, et parlait aussi du voyage. J’étais parti à Buenos Aires écrire la plupart des chansons, et j’étais revenu avec pas mal d’histoires d’amour et de tumultes intérieurs. C’était un peu moins centré sur les thèmes que j’affectionne d’habitude. L’album a un peu surpris par cette direction-là. J’étais sûr de vouloir expérimenter ce genre de thèmes et d’enregistrer en Hollande avec un super arrangeur, Reyn Ouwehand, avec qui j’ai co-composé quelques morceaux du nouvel album dont La loi du marché. Après il y a eu Naufragés avec Giovanni Marabassi. J’avais envie de retourner vite sur scène et en même temps c’était la découverte à ce moment-là du répertoire de Leprest, de Bernard Dimey… J’avais envie de remettre en lumière des artistes un peu oubliés. Avec Giovanni, on s’est fait notre panthéon de chanteurs et auteurs maudits et brillants. On a dû faire environ 50 ou 60 concerts. Pendant toute cette période j’ai écrit en baignant dans ces auteurs et textes riches. D’être sur scène tout le temps, j’étais dans une dynamique très inspirante et donc j’ai pu rapidement enchaîner avec l’album Clôture, mon troisième album solo qui est sorti le 20 janvier.

Hexagone: Comment s’est passée la création de ce nouvel album ?
Cyril Mokaiesh: C’est un peu un retour aux sources, j’ai fait appel à deux musiciens sur trois de mon groupe Jan Pham Huu Tri et Eric Langlois. C’est ma Dream Team. Ensemble on est partis en studio à Bruxelles en se disant que quelque chose allait bien en sortir. Ça a été une super surprise, je suis arrivé avec des guitare-voix et on est ressortis avec un disque au bout de 5 jours. Ça a été fait avec beaucoup de coeur, tout le monde avait envie de bien faire. Il y avait aussi la notion de se demander si on allait être signés après, comment le disque allait sortir. On était tous un peu dans des économies de moyens, et on s’est vraiment concentrés sur l’essentiel, la musique. On a pris la pari de faire quelque chose de bien et de voir ensuite où cela nous mène. C’est uniquement une fois que le disque a été mixé qu’on a commencé à travailler avec Un plan simple, le label. Parfois les choses ont besoin de se faire dans l’urgence, voire dans une situation un peu dos au mur. Mais je ne me suis pas senti comme ça. J’avais vraiment envie de prendre la parole sur cette période et de le faire avec des gens qui me connaissent bien et en qui j’ai total confiance.

Crédit photo: Leone Barbezieux

Hexagone: Quel regard as-tu sur tes précédents album ?
Cyril Mokaiesh: Je pense qu’un album est vraiment une photo de nous à une certaine période. Quand on regarde un album-photos qui date un peu, on se dit qu’on avait vraiment une sale coupe de cheveux. Le fond est fidèle à ce que je suis, j’ai toujours été droit dans mes bottes. Si je peux m’accorder une qualité c’est d’être vraiment dans la sincérité de ce que je vis. Il n’y a pas de tricherie. La plupart de ce que j’écris est assez autobiographique, c’est le regard que j’ai sur les temps modernes, sur l’époque, sur la société. C’est vraiment le reflet de ce que je pense. Souvent mes amis me disent que je fais des chansons qui sont exactement moi. C’est le plus beau compliment. C’est le meilleur moyen de ne pas les regretter plus tard. Après c’est plus dans la forme, dans la manière de chanter, dans la volonté parfois d’enfoncer le clou sur tout en même temps et de manquer un peu de nuances.

Hexagone: Comment est-ce que tu définirais Clôture ?
Cyril Mokaiesh: Totalement en phase avec le propos que je peux tenir avec mes amis quand je parle de l’époque. Je crois qu’on peut y retrouver à peu près tout ce que j’ai dit cette année dans ma vie perso. C’est une photo totalement vraie de moi en 2016. C’est aussi quelques expériences d’albums qui m’amènent aujourd’hui à trouver sans doute un peu plus qu’avant comment garder le fond, trouver le son et une interprétation un peu plus mûre, assumée et posée. Je me sens plus ancré que jamais. Même si j’aborde des sujets qui sont extrêmement fragiles ou dangereux ou que je dis les choses avec une forme de crudité parfois, de violence même. J’arrive à dire les choses que je veux avec la forme à peu près que je veux.

Hexagone: Il y a plusieurs duos sur cet album. C’était une envie ?
Cyril Mokaiesh: Non, ce sont les chansons qui ont appelé à ça. La première, c’était avec Stéphane Brizé après avoir vu son film La loi du marché. Je lui avais envoyé un mail pour lui dire que ça m’a beaucoup inspiré et que c’était pas la première fois dans son cinéma que je ressortais un peu claqué. Du coup on a entretenu une conversation par écrit pendant quelques mois. Ça m’a encouragé à lui demander s’il voulait un jour faire le clip de cette chanson. Pour moi, c’était la première collaboration. Quand on a commencé à discuter de La loi du marché qui n’était plus son film, mais ma chanson. Après, c’était une période où j’écoutais beaucoup Lavilliers. Pendant tout un été avec Laurent mon manager, on s’était plongé dans le répertoire de Lavilliers qu’on trouvait extrêmement d’actualité. Je crois qu’à un moment donné, en écrivant La loi du marché, inconsciemment il y avait son ombre qui planait au dessus. Je me suis permis de lui envoyer la chanson en me disant qu’il n’y avait aucune chance qu’il ait envie de le faire. J’ai eu de la chance et ça continue. Il me soutient, on va faire j’espère quelques apparitions ensemble sur scène. C’est chouette, le moment en studio était très riche, et maintenant il y a une suite. C’est une jolie histoire. Il y a aussi une collaboration avec Elodie Frégé. Quand j’ai fait la chanson Houleux, j’ai senti assez vite qu’une présence féminine serait une bonne idée. Elodie s’est imposée naturellement parce qu’on avait déjà fait des duos ensemble sur scène. Elle m’avait aussi demandé d’écrire une ou deux chansons pour son prochain album. Ça correspondait pile à ce moment-là, donc naturellement j’ai eu envie de sa voix sur ce titre. Il y a aussi une collaboration sur Une vie avec Giovanni, parce que j’avais envie de garder une trace de cette tournée et de tous ces moments qu’on a passés ensemble. J’avais envie que cette chanson, qui nous va bien à tous les deux, soit sur l’album.

Hexagone: Tu as donc fait le choix de t’entourer d’une équipe artistique dont tu es proche.
Cyril Mokaiesh: Cet album ne peut pas être plus moi. Je voulais m’entourer de gens qui me connaissent et qui me ressemblent. Avec qui j’ai appris pleins de choses. Un espèce de retour simple aux sources . Je voulais faire les choses de manière très fluide. Que les couleurs de cet album et le son, s’imposent d’eux-mêmes. Chacun vient avec son son en espérant que ça se marie bien. Je n’avais pas envie d’un directeur musical qui dise comment ça doit sonner et décide de diriger tout le monde. Je voulais qu’on arrive chacun avec notre expérience, nos parcours, que ça soit vrai, que ça marche ou que ça ne marche pas. Mais je savais que ça allait forcément donner quelque chose avec ces chansons-là.  

Hexagone: Est-ce qu’il y a une chanson dans cet album qui a une place spéciale pour toi ?
Cyril Mokaiesh:
  En ce moment je dirais que c’est Clôture, mais 32 rue Buffault, celle sur mon fils est très importante aussi.

Crédit photo: Leone Barbezieux

Hexagone: Dans cet album, tout ce qui te ramène à ton fils c’est un peu la touche de douceur, ce qui apaise de tout le côté dur de la société actuelle, non ?
Cyril Mokaiesh: Oui, c’est vrai. Ça existe encore l’amour, la transmission. La simplicité d’un enfant qui regarde son père. Ça nous rend enfant nous aussi. D’un coup il n’y a plus de téléphone, de télé, d’élections… Il y a juste l’enfant qui te ramène à l’essentiel, et cet essentiel-là n’a pas de prix, il apaise beaucoup. Il me met dans son présent à lui, je me fonds dans son décor. C’est hyper agréable, c’est pur.

Hexagone: Après le clip de La loi du marché, tu viens de sortir le clip de Clotûre. Clotûre, c’est une chanson importante et qui parle à tout le monde je pense.
Cyril Mokaiesh: Oui, Clotûre, une des chansons les plus importantes. Elle parle de l’époque mais elle est aussi très personnelle. Il y a un bon équilibre entre le répondeur de l’Europe et le répondeur de Cyril. En fait c’est le répondeur de tout le monde.

Hexagone: On dit souvent de toi que tu es un chanteur engagé. Est-ce que ça a du sens pour toi ?
Cyril Mokaiesh: Non parce que dans « engagé » on n’y met pas le bon sens justement. Quand on fait ce métier, qu’on est auteur, compositeur, interprète, et qu’on choisit d’en vivre, on ne peut pas le faire sans s’engager pleinement. C’est une vocation qui te bouffe totalement. Du coup, tu es totalement obligé de prendre tes sentiments comme matière à écrire, comme matière à groover. Faire de ses sentiments, de ses colères, de ses amours, sa nourriture quotidienne… C’est ça le plus grand engagement. Après oui, je vais défendre des convictions, mais qui sont des prises de conscience, ma prise de conscience. Oui, prendre la parole en 2017, que ça soit en chanson, en film, en tout ce qu’on veut. Je pense que ça doit avoir un lien avec ce qu’on voit, avec ce qu’on subit, avec ce qu’on espère, avec sa vision du monde. Une chanson aussi simple qu’elle puisse être, ça doit être une proposition. Je choisis souvent des thèmes qui sont politisés ou poétisés. La poésie c’est une manière de faire passer des messages. J’ai toujours aimé les films qui d’un coup prenaient la température d’une époque même si elle est violente ou cruelle. Les albums qui m’ont marqué le plus, ce sont des albums qui ont photographié l’époque. J’ai tendance à croire que ça sera la partie de mon travail qui restera le plus. Il y a des choses à dire aujourd’hui.

Hexagone: Le 28 février, tu seras en concert à la Maroquinerie. Que peux-tu nous dire sur cette date ?
Cyril Mokaiesh: On va faire un concert qui défendra bien sûr un peu plus l’album Clotûre que les autres, mais je vais aussi me faire plaisir à faire un mini best-of de Cyril Mokaiesh, parce qu’il y a beaucoup de gens qui me soutiennent notamment sur les réseaux sociaux qui envoient des beaux messages et des gens fidèles depuis longtemps. Il y aura sans doute un ou deux invités. Ça va être une belle soirée !

Hexagone: Qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour 2017 ?
Cyril Mokaiesh: Plein de concerts et que cette Clôture aille rencontrer les gens.


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