Frasiak a embrasé L’Annexe

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Photo David Desreumaux
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Je n’avais jamais mis les pieds à L’Annexe, à Ivry sur Seine. Pourtant, grouillant dans le milieu de la chanson fréquentable, trainant ma carcasse régulièrement au Forum Léo Ferré, bien évidemment que le nom de ce lieu m’était familier ! Une fois par mois, l’asso Puce et Cie, emmenée par Christian Landrain et Suzanne Chamak,  y programme un spectacle. Cette programmation, au demeurant, est régulièrement d’un niveau épatant. Mais voilà, il y a des hasards calamiteux dans la vie qui font que parfois tu rates des concerts qui te tiennent à coeur. Pourquoi ? C’est couillon, je te raconte ! Tu n’ignores certainement pas qu’Hexagone programme également un spectacle par mois, à La Blackroom. Le samedi. Comme à L’Annexe. Tu commences à y voir clair ? C’est ça, rien que sur la saison qui s’achève, on a dû programmer à peu près tous nos concerts à la même date entre Hexagone et Puce et Cie. Si bien que l’on est comme maintenu à résidence ces soirs-là… Eux comme nous. Promis, on ne recommencera pas, on va croiser nos agendas pour éviter de faire percuter les dates comme ça. Parce que j’ai enfin mis les pieds à L’Annexe, ce samedi 11 juin 2016, et j’en suis tourneboulé.

Ivry, si tu n’y as jamais mis les pieds, même s’il y a la Seine, c’est pas Neuilly. Pas du tout. C’est populaire, traditionnellement rouge dans les coeurs et on y roule plus volontiers pour le drapeau noir qu’en Mercedes. Quand j’étais plus jeune, j’ai bossé douze ans dans cette banlieue du sud-est parisien et je m’y suis toujours senti bien. Comme ce samedi à L’Annexe, où l’accueil que l’on a reçu restera comme un des moments rares que l’on peut connaître dans sa petite existence.

Photo David Desreumaux
Jean-Pierre Fara – Photo David Desreumaux

On aime la chanson parce que l’on sait sa force à rassembler, à générer du lien, à rapprocher et favoriser l’échange. On sait que depuis tout temps le chant unit les peuples, que les peuples s’unissent autour des chants, on sait la chaleur transmise par la chanson, on n’ignore pas la résilience possible par la chanson. On parle moins de l’esprit fraternel qui existe parfois dans le milieu de la chanson. Quand d’aucuns prétentieux se plaisent à vouloir la ringardiser, d’autres font montre d’ouverture, d’un esprit créatif et bienveillant. Sans souci de chapelles ni de de générations. Je parle régulièrement de toute mon amitié pour Gilles Tcherniak du Forum Léo Ferré, des potes de la Menuiserie à Pantin, et je veux citer aujourd’hui fort justement Christian Landrain, et toute son équipe, qui, samedi, ont offert une incroyable part d’humanité dans ce petit bar-restaurant de 50 personnes. Pas besoin d’Olympia, de Zénith et de paillettes pour faire briller les yeux, mais d’un verre de vin, de voisins sympathiques et de visages déjà croisés dans d’autres lieux présentant de la chanson, pour ceux qui essaient d’écouter un peu plus loin que leurs oreilles.

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Au menu du jour, Frasiak. Eric Frasiak. Accompagné à la guitare par Jean-Pierre Fara, ce dernier étant une espèce de couturier haut de gamme, apportant un supplément mélodique et de chouettes couleurs aux morceaux. Frasiak, je l’écoute depuis plusieurs années, mais j’ai l’impression que l’on se connait depuis toujours. Le gars est bonhomme, simple ; il a l’amitié communicative. Etant comme lui un grand admirateur de François Béranger, c’est à partir de ce point commun que je me suis intéressé à son répertoire personnel. De son aîné, Eric a conservé le goût de la chanson faite à la main, celle qui parle de la complexité du monde avec des mots simples. Frasiak fait presque figure de phénomène, de figure à part dans la chanson d’aujourd’hui. A l’heure d’un monde qui génère de plus en plus d’injustices, d’inégalités, au point que le fait même de se révolter semble parfois insurmontable, à l’heure de la saloperie exponentielle qui paradoxalement accouche d’une chanson aseptisée sur les ondes radiophoniques, à cette heure-là donc, Eric Frasiak poursuit son oeuvre dans une chanson de contestation.

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La forme de la protest-song n’est plus à la mode, mais la mode, lui comme nous, on s’en balance. La mode, c’est ce qui se démode. Frasiak est indémodable parce qu’il est ailleurs.  Ces chansons sont autant de mains tendues à son prochain que de déclarations d’amour. D’ailleurs, ce mot « amour », combien de fois revient-il dans ses chansons ? C’est impressionnant ! Frasiak chante ses colères et son indignation pour mieux faire surgir son amour de l’autre, son irrépressible besoin de partager, de se retrouver ensemble, à vibrer. Là, devant 50 personnes qui préfèreront toujours refaire le monde pendant deux heures plutôt que d’être spectateur de sa destruction sur écran télévisé, devant un match de foot qui finit en émeute.

Eric Frasiak écrit simplement, comme un prolongement du coeur au stylo. Le propos n’est pas aussi musclé, aussi frontal que celui de Béranger mais comme lui, Frasiak conserve le goût de dire les choses avec élégance mais sans avoir systématiquement recours à la boîte à images, à la kyrielle de métaphores. Engagement, amour, tendresse, humour, moqueries, la simplicité du verbe n’exclut pas la variété des registres. La sincérité de son interprétation, l’énorme générosité bien palpable, l’humanité qui se dégage de sa personne participent à faire adhérer l’auditeur, à le capter, à l’embarquer sans délai dans son tour de chant. Hier soir, à L’Annexe, c’est un public haut de gamme, à l’écoute et l’attention respectueuses et passionnées qui a salué la performance d’Eric Frasiak et Jean-Pierre Fara. Un duo complice et très bien rôdé.


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