Détours de chant : c’est Super et c’est Jehan !

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Photo Michel Gallas

Un petit retour sur les deux premiers jours de la quinzième édition du festival Détours de Chant. De l’éclectisme, de la qualité et la présence d’un nombreux public : un beau démarrage.

Mercredi 27 – 18h 30 dans le hall du Centre culturel Alban-Minville

Photo Michel Gallas
Photo Michel Gallas

Mamzel Bou pour un Concert sans gluten. Comme toujours pour les concerts de 18h30, accueil sympathique du personnel du centre avec cacahuètes et boisson offertes. En tenue de marmiton, Mamzel Bou, acceuillante et enjouée, distribue son menu en parlant aux spectateurs puis joue à la cuisinière mélomane. Elle nous a préparé un repas copieux. Les hors-d’œuvres se révèlent être des chansons connues, des recettes déjà existantes, revisitées qu’elle assaisonne à sa façon : sauce gouaille pour l’extrait de Mon amant de Saint Jean, un meunier qui dort à la sauce Camille, un frère Jack façon Philippe Katerine. Elle termine les hors-d’oeuvres en jouant le rôle d’une chanteuse à voix et à vibrato servant de la soupe de variété pour laquelle elle se change et apparaît sensuelle en rouge, sans coiffe. Les plats, eux, sont des recettes inventées, textes et compositions de Mamzel Bou (de son vrai nom Bouniort Marlène) joués principalement au piano. Et le spectacle prend une autre couleur plutôt chansons sentimentales et ballades ; la comédienne et son humour s’effaçant devant l’auteur et la pianiste.

Photo Michel Gallas
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Les desserts arrivent et on s’aperçoit que cette comédienne chanteuse auteur musicienne (ouf !) présente, en fait, trois spectacles en un.

Cette dernière partie s’oriente désormais vers un voyage couleur musique et chants du monde. Mamzel Bou nous promène de la Grèce à l’Inde en passant par Madasgacar, une maloya de l’île de la réunion et la Yougoslavie. Multi instrumentiste, elle utilise son clavier, les pédales de boucle qu’elle maîtrise, une shruti Box – instrument à soufflet d’origine indien – et des flûtes mais aussi des petites percussions, parfois surprenantes comme des couvercles Tupperware.

Mamzel Bou montre qu’elle est capable de beaucoup (de trop ?), de tout chanter du lyrique à la variété en passant par les chants du monde, de tout jouer. Elle peut interpréter de façon plus personnelle un plat à une personne désignée de l’auditoire. Cette mise en bouche du festival devient un menu très copieux avec six entrées, six plats, six desserts. Et elle nous a permis de découvrir un vrai talent.

21h30 au Bijou. Didier Super Ta vie sera plus moche que la mienne.

affiche-Didier-super-Conte« Mon spectacle pour les tout petits réservé aux adultes »Annoncé comme un nouveau spectacle solo alors que je l’ai déjà vu en juillet 2014 son spectacle tape fort sur ses cibles habituelles : la religion, les femmes, le pouvoir, les enfants, le public. Peut être encore un peu plus fort. Le décor : un rideau style théâtre de marionnettes, pour raconter une fable. Agrémenté d’une musique pour enfant, d’une poupée gonflable censée représenter la fée, des grandes photos d’enfants squelettiques, d’un chien en jouet. Un décor qu’il se complait à jeter, à détruire laissant la scène, à la fin du spectacle, comme un champ après la bataille. Didier Super fait du Didier Super. Caricatural quand il joue Ludovic l’enfant et Youppee le clown. L’histoire est entrecoupée de chansons avec une petite guitare souvent désaccordée, des textes qui ne riment pas et il chante faux. Sa première chanson c’est Suicide toi ! et il terminera, évoquant les récents attentats, par Boum, quand ton corps fait boum … et le départ de son voisin Pierre Alexandre pour le djihad. Il fait chanter au public « A mort les racistes, à mort les intolérants. Ces gens là ne sont pas comme nous Vivement qu’on les foute dans des camps ! » Un spectacle mélange de provocation, de grosses ficelles et de réflexions plus subtiles, mené avec un grand sens de la gestion du public et de l’interactivité maîtrisée. Ce soir au Bijou un public mélangé, avec une partie de son auditoire habituel plutôt jeune et aussi pas mal « de têtes grisonnantes » caractéristiques du public chanson. C’est peut être pour cela qu’il dira « Quand tu pars d’un spectacle de Didier Super, surpris d’être déçu c’est que tu n’étais pas bien renseigné. » Et qu’en rappel, il viendra, assis sur une chaise, parler du personnage et du comédien : « Tout le monde a bien compris que Didier n’existe pas, que ce n’est qu’un personnage »

Je fais partie des gens qui aiment bien Didier Super. Et je ris beaucoup à ses spectacles. Je salue le talent du comédien, de l’auteur qui se sert de la forme pour faire passer un fond assez osé car peu (pas) d’humoristes vont aussi loin désormais. J’apprécie son expérience du théâtre de rue et de la proximité. Je salue la dose de dérision et d’auto dérision présente et nécessaire pour ce type de spectacle. Ah, une dernière information le concert affichait complet pour les trois soirs avant l’ouverture du festival.

Jeudi 28 janvier LizzieLa pause musicale – Salle du Sénéchal 12h30 en centre ville.

Photo Michel Gallas
Photo Michel Gallas

La Pause musicale, rendez vous mensuel du jeudi à la mi-journée pour des découvertes musicales, est devenue une institution avec ses habitués et sa salle municipale remplie. Arrivé vingt-cinq minutes avant le concert j’ai trouvé une des dernières places… sur les escaliers. Les suivants resteront dehors. Lizzie avait chanté aux Coups de pousses du festival trois ans plus tôt. Ce jeudi là, elle est venue en trio bien accompagnée à la guitare portugaise au son particulier et à la contrebasse. Assise, elle joue de la guitare et enchaîne les chansons de son album Navigante, sorti l’an passé. Avec sa superbe voix particulière et ses mélodies originales, elle nous embarque dans ses voyages intimes comme Je navigue («Je navigue au dessus du vide ») ou comme La falaise Il faut que je saute / J’aimerai déployer les ailes de ma tristesse »). Textes mélancoliques mais d’une mélancolie calme et douce. Du fado folk à la française. Elle chante principalement quasi exclusivement en français, le délaisse parfois pour une chanson folk en anglais et deux chansons en portugais. En portugais, langue qu’elle dit avoir appris, on la sent devenir elle-même en chanteuse de fado. A un moment, elle quitte la guitare et ses musiciens pour deux chansons en accordéon solo. Nous venons de vivre un moment suspendu, en plein milieu de journée, partageant les émotions de la chanteuse. Agréable et reposant. Elle finit en rappel par Saudade, nom et chanson bien caractéristiques de son univers. Elle présente la saudade comme « un sentiment qui mélange la mélancolie, le plaisir, la nostalgie et l’envie. » Cette heure sur scène donne envie d’écouter l’album que certains toulousains, qui la découvraient, se sont empressés d’acheter à la fin du concert.

Jehan & Lionnel Suarez 20h30 à l’ Auditorium Saint-Pierre des Cuisines pour  Pacifiste inconnu.

Joe Kangourou
Photo : Joe Kangourou

Les quatre cent places sont occupées. A nouveau un spectacle complet : un joli pari gagné pour les organisateurs de Détours de Chant. La chorale Voix Express, en première partie, nous propose, quatre chansons avec, en alternance comme chef de cœur ou musicien au clavier, Hervé Suhubiette et Lucas Lemauff. Quatre chansons dont deux de Leprest. En guise de vin d’apéritif, la chorale d’une cinquantaine de membres nous débouche une superbe version de Le temps de finir la bouteille, bien gouleyante.

Ce festival nous offre un beau rendez-vous avec Jehan et Leprest. A Toulouse, Jehan est bien connu pour ses grandes qualités d’interprète, vantées en son temps par Claude Nougaro. Un rendez-vous retrouvailles de cet ancien habitant toulousain avec son (ancien) public, à l’époque où il enchantait Dimey. Ah le Live Dimey, enregistré à Toulouse, déjà à l’époque avec Lionel Suarez, est un des mes albums de chevet que j’ai toujours plaisir à réécouter. Un rendez-vous avec ce lieu magnifique, cette ancienne église devenue un auditorium à la superbe acoustique. Un auditorium, plutôt destiné au classique et à la danse, qui s’ouvre rarement à la chanson. Je me souviens uniquement d’un spectacle Rocking chair, quelques étés auparavant, avec Jeanne Garaud, Manu Galure et Chouf.

La salle est pleine. On ressent un public impatient, comme quand on attend de retrouver un ami, pas vu depuis longtemps, dont on a eu peu de nouvelles ces dernières années. Puis Jehan & Suarez arrivent. Ils ont fait le choix d’un cercle resserré au milieu de ce grand espace où les deux artistes rapprochés vont jouer. Et c’est parti. Un Jehan en forme, à la voix chaude, rocailleuse et impeccable. Un Jehan beau dans sa chemise blanche, sa veste et son jean bleu foncé ou noir. « J’ai senti aussitôt les poils se hérisser sur mes avant-bras » ou sa déclinaison plus courte « ça m’a foutu les poils » : ce sont des expressions caricaturales que je n’appécie pas. Mais voilà, ce soir, la voix de Jehan sur les textes de Leprest habillés par la musique de Suarez : « ça m’a foutu les poils ! » 

Photo Michel Gallas
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Chansons connues et d’autres pas. Les « monuments » comme C’est peut être et Où vont les chevaux quand ils dorment que j’ai tant de fois entendus par Romain Didier. Les découvertes pour moi comme Trafiquants qui démarre le concert, On est bien avancés, Ne me quitte plus et Va t’en jouer dehors. Et les redécouvertes comme Je ne te salue pas dans un tempo plus rythmé qui lui va bien, On leur dira, J’ai peur dit plutôt que chanté. Jehan nous offre Etrange  que j’ai toujours autant de plaisir à écouter, dont il a fait la musique et qu’il joue à la guitare. Textes poétiques, d’amour, textes engagés ou sur le quotidien. Choix de chansons montrant, une nouvelle fois, qu’en dehors de son écriture magnifiquement imagée Leprest puisait dans des thématiques larges et diverses. Un dialogue complice et de haut niveau entre l’interprète et l’accordéoniste. L’interprète, Jehan, n’a peut être jamais été aussi sobre, bras souvent le long du corps et parfois dans le dos. Et Jehan n’a peut être jamais été aussi grand, aussi fort. Tout dans la voix et dans l’intention. L’accordéoniste Lionel Suarez, souvent la tête penchée, fait corps avec son instrument. Quand tu fermes les yeux, tu imagines que plusieurs instruments sont en action et en tout cas pas forcément un accordéon. Impressionnant et beau ! Entre les chansons, parfois Jehan distille une anecdote sur la vie de Leprest. Ce concert Jehan / Leprest / Suarez passe comme dans un rêve, mais un rêve éveillé que l’on peut savourer. Et puis le rappel. Ah le rappel ! Trois chansons de Dimey « comme c’est un rappel, on va se rappeler les chansons que l’on jouait ensemble il y a  une douzaine, quinzaine d’années » dira Jehan. Il reprend mes préférées. J’aimerais tant savoir, L’Aventure et Si tu me payes un verre (« Et je repartirai avec un peu de toi pour meubler mon silence » comme nous après le concert). Et j’ai le sentiment qu’il se lâche encore un peu plus. Le public, à l’écoute intense pendant une heure trente, se laisse aller, généreux et chaleureux, au moment des applaudissements.

Photo Michel Gallas
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Après le concert, les gens restent un long moment dans le hall. On ne veut pas quitter cette soirée. On parle entre nous, on va de groupe en groupe dès qu’une connaissance est repérée. Je m’aperçois que trois types de publics étaient présents ce soir. Ceux qui aimaient Leprest et Jehan (les plus nombreux), mais aussi ceux qui ne connaissaient ni l’un ni l’autre (belle curiosité !) et ceux qui ne connaissaient que Jehan (et « ils ont beaucoup de chance car ils vont découvrir toute cette œuvre magnifique. ») Tous étaient d’accord sur le très grand moment du festival que nous venions de vivre. Mes copains chanteurs étaient bluffés par Jehan, mes connaissances musiciens impressionnées par Suarez et nous les amateurs de chanson étions stupéfaits par la mise en valeur des textes de Leprest.

Deux heures après la fin du concert, par hasard (oui celui qui fait bien les choses !) ou presque je me suis retrouvé dans la cave d’un restaurant de la rue des Blanchers, pas loin de l’Auditorium. Dans la cave où se tenait l’after du concert avec Jehan, ses proches, ses amis chanteurs et musiciens toulousains. Un after en chansons, vin et bières. Un grand moment de plaisir. Comme celui où Jehan chante Cap au Nord d’Anne Sylvestre. Comme quand il reprend Les acacias une superbe chanson de Grabowski, celui-ci l’accompagnant à la guitare. Plus tard, lorsqu’on quitte  le bar je m’aperçois – un peu surpris – que l’on peut tranquillement prendre le métro (car … à 5h50 il fonctionne !)

Si on revient au programme du festival, on peut parler d’un très beau démarrage. Un succès public : quatre artistes (six concerts) étant annoncés complets avant le début du festival. Et les concerts de Jehan / Suarez et Lizzie ont refusé du monde. Des spectacles d’une belle qualité. Vivement la suite !

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