Presque Oui : « J’ai envie de scène, d’écriture, de collaborations »

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Photo David Desreumaux

Après avoir été bluffée et touchée par le dernier album de Thibaud Defever alias « Presque Oui », puis après l’avoir vu sur scène il y a quelques mois en trio à l’Européen, j’avais envie de mieux connaitre l’artiste. Il était en concert au Forum Léo Ferré dimanche 21 février, et j’ai profité de cette occasion pour en découvrir un peu plus sur son – ou plutôt – sur ses projets. Guitariste de grand talent associé a une interprétation dont la sincérité se ressent, Presque Oui fait partie de ces artistes qui offrent de précieux moments suspendus et ne cessent de surprendre tant par la qualité que par la diversité.

Presque Oui
Photo Marie-Hélène Blanchet

Hexagone : Quand et comment as-tu commencé la musique ?
Presque Oui :
 
J’ai d’abord joué de la guitare en carton, quand j’avais 7-8 ans. Comme j’étais très intéressé par la guitare, même virtuelle, ma mère a sorti une guitare qu’elle avait dans le grenier. J’ai tout de suite été fasciné par cet instrument. Une cousine m’a montré quelques accords, et à partir de là, j’ai été envoûté par l’instrument. Après 2-3 ans de « tâtonnement » je suis rentré dans une école de musique. J’ai fait beaucoup de classique, pendant 10-15ans, je suis rentré au conservatoire à 20 ans, tout en faisant partie en parallèle de groupes de rock.

Hexagone : Quand as-tu su que tu voulais en faire un métier ?
Presque Oui : Non, je ne sais toujours pas si je veux faire de la musique d’ailleurs ! J’en fais, mais je pense que c’est assez agréable de pouvoir se dire « Je ne sais toujours pas ce que je ferai quand je serai grand ». Et je me le dis vraiment. Je ne fonctionne pas comme ça. Je ne me dis pas « Tiens, j’ai envie de faire ça », parce que la question du désir et de l’envie, c’est compliqué pour moi. C’est trop vaste, je n’arrive pas à cerner ça. Donc je constate que je me laisse emmener vers certaines choses et que je fais certaines choses, et là, je suis content. Maintenant, je vis de la musique depuis presque 10 ans, et je suis presque sûr que je n’ai pas envie de faire autre chose.

Hexagone : Pourquoi ce nom, « Presque Oui » ?
Presque Oui : À la base, « Presque Oui », c’est une chanson chantée par Mireille et Jean Sablon. Une vielle chanson de 1933. On reprenait cette chanson au tout début du duo « Presque Oui », avec Marie-Hélène Picard. Moi, je l’accompagnais, et on chantait cette chanson. Quand on a cherché un nom de groupe, on s’est dit que « Presque Oui », c’était ouvert, ça dit quelque chose. C’est dans l’hésitation, la subtilité. On s’est bien retrouvés là-dedans. Après, on a abandonné complètement les reprises, mais on a gardé ce nom-là, et ça nous a presque guidés dans l’écriture. Dans beaucoup de chansons, on a abordé les thèmes de façon pas frontale. Il peut y avoir des chansons dans le dernier album qui sont dures, qui sont émouvantes, comme Un baiser, sur l’accident de voiture. Mais en même temps, on essaie toujours de trouver une pudeur dans la tristesse, ou une lumière quelque part. J’aime bien la subtilité et l’ambivalence que trimballe le nom « Presque Oui ».

Presque Oui
Photo Marie-Hélène Blanchet

Hexagone : Ton dernier album est sorti en avril 2015. Comment a-t-il été reçu par le public ? Avec presque un an de recul, quel regard portes-tu sur l’évolution du projet ?
Presque Oui : Il a été plutôt bien reçu. Je pense que c’est un tournant dans le parcours de « Presque Oui ». Déjà par la formule sur scène, en trio avec la présence de la batterie. Ça a marqué l’arrivée de quelque chose de très différent. Ça a été bien accueilli, bien qu’il y ait des gens qui l’ont moins bien accueilli ou qui ont un peu lâché avec cet album-là, parce qu’il y a beaucoup moins de touches d’humour que dans les précédents. Pour l’instant, on n’a pas eu énormément de concerts avec ce spectacle. Ça peut encore se développer. Je trouve que c’est un beau trio, mais je me suis lancé dans plusieurs projets différents. Il y a aussi « Presque Nous », le spectacle jeune public « Icibalao » et un autre duo qui s’appelle « Luna Soon » qui va se jouer plus à partir de l’an prochain. Donc j’ai diversifié mes activités, ce qui fait que je me fais aussi de la concurrence à moi-même. Mais je suis très content de varier les plaisirs. J’ai peut-être aussi envie d’être moins dans une place « le chanteur, ses chansons », où c’est toujours tout pour lui. J’ai envie d’être polymorphe, de pouvoir me fondre dans un environnement. D’autant plus que je ne trouve pas ça toujours facile de porter la solitude sur scène. Même quand on est en trio, c’est moi qui chante, ce sont mes chansons, mon projet. Il y a des moments où on a besoin de respirer avec ça. Il y a des moments où on se sent apte à porter ça, et des moments où on a besoin de respirer. Je ne sais pas si c’est un moment comme ça, mais en tout cas, si je me suis diversifié autant c’est qu’il y avait ce besoin-là. Je pense aussi que le spectacle n’a pas été beaucoup vu. C’est aussi le problème des « éternelles découvertes ». On est nombreux dans ce cas-là. On a eu un moment fort, moi avec » Presque Oui », il y a eu le Festival de Montauban, Le Pont des artistes, Télérama et après, si ça ne mène pas encore plus haut, ça stagne, et finalement tu restes dans une sorte de statut un peu bâtard. On continue à te proposer des premières parties pour te faire découvrir, alors que ça fait 20 ans que tu fais le truc. On te dit que tu ne seras pas payé, mais que ça va te faire ta promo. À un moment ça va… Donc maintenant, on ne fait plus ça. On a d’une part une grosse reconnaissance dans un certain milieu, dans le milieu professionnel, et on a un public. Et d’autre part, il y a ce manque de reconnaissance médiatique qui fait qu’il y a quelque chose qui plafonne un peu. Je ne suis pas malheureux, c’est juste une constatation. Tu sors un spectacle de « Presque Oui », puis un deuxième, un troisième, un quatrième, et finalement, à un moment donné, beaucoup de programmateurs se tournent vers d’autres gens. Il y a tellement de choses, et de nouveautés qui sortent.

Photo David Desreumaux
Photo David Desreumaux

Hexagone : Peux-tu nous présenter ces autres projets ?
Presque Oui : « Presque Nous » c’est un très beau spectacle, avec Sophie Forte. C’est une petite comédie musicale. Elle veut être dans le « nous » et, lui dans le « presque ». Ils sont là, ils essaient de s’ajuster. Et tout ça en chansons, avec 50 % de chansons de Sophie, et 50 % de mes chansons. Quelques-unes des chansons sont sur le dernier album de « Presque Oui », mais il y a aussi des inédites. Il n’y a quasiment que des duos. Je trouve le spectacle très ludique parce qu’il y a toujours ce ping-pong entre les deux personnages. Et ça, ça me fait du bien. Je trouve ça très agréable de jouer en sachant que les responsabilités sont partagées. Après, ce que je dis là, je pense que c’est très cyclique. Il y a des moments où je me dis « C’est évident, c’est ça que je veux faire principalement ». C’est la solitude de l’artiste sur scène, être dans une complicité avec les gens. Et puis, il y a un moment où ça m’abandonne, et je suis pris par un autre projet. Mais c’est normal je pense. Si on est entier dans un projet, on se laisse aspirer par le moment présent.

Autre projet ,« Icibalao », qui se joue beaucoup un peu partout en France. C’est un spectacle jeune public avec Pierre Marescaux au trombone et Romain Delebarre à la batterie. C’est un spectacle qui a été créé il y a un an, au Théâtre Antoine Vitez d’Ivry. C’est une histoire coécrite avec Sophie Forte, mise en scène par Sophie Forte et Eric Bouvron. C’est l’histoire de Nina, une petite fille qui n’a peur de rien, et de Thibaud, qui a peur de tout. Elle l’emmène toujours dans des histoires pas possibles. Et c’est comme ça que Thibaud apprend a repousser sa peur, et pourquoi Nina n’a peur de rien. Tous les retours qu’on a eus montrent que le spectacle interpelle, et qu’il pousse les enfants à se poser des questions. Avec ce spectacle, j’ai découvert la joie de la narration, d’être dans une position de conteur, et d’emmener les enfants à la découverte des chansons, et au-delà des chansons, de l’histoire et des chansons, qui sont finalement sur un pied d’égalité.

Et un dernier spectacle, « Luna Soon », qui existe depuis un bout de temps, mais qui a surtout été joué chez des gens, avec Laetitia Gallego qui est chanteuse. C’est des reprises de chansons anglo-saxonnes et espagnoles. De Paco Ibanez à Lou Reed, en passant par Jim Morrison et Lhasa. Je suis très fier de ce spectacle. On va partir en résidence en novembre, et après on aura le spectacle tout frais, avec une belle mise en scène de Victor Duclos qui est aussi chanteur lyrique et danseur. Dans ce projet-là, je suis essentiellement accompagnateur. Je chante un peu, mais je suis surtout guitariste.

Presque Oui
Photo Marie-Hélène Blanchet

Hexagone : La scène, qu’est ce que ça représente pour toi ?
Presque Oui : C’est un terrain de jeux, ouvert. D’abord on joue avec les gens avec qui on est sur scène, et si on joue bien, les gens se sentent invités dans la bulle. C’est un moment de liberté, et de grande intensité, qui oblige à être complètement là, et à être dans l’instant présent après lequel on court. Là, tu n’as pas le choix. Il y a aussi l’idée de transmission. On écrit des textes, on reprend des chansons, et on va exister, grâce au regard de l’autre, grâce au public qui va être là pour regarder. Une fois qu’on est monté sur scène, la vie n’est plus la même, on sait qu’il y a ça, et ça change tout.

Hexagone : Est-ce que tu as un souvenir de scène qui t’a spécialement marqué ?
Presque Oui : J’en ai plein, vraiment. Hier soir, avec Sophie Forte, on a joué chez quelqu’un, il y avait 35 personnes. Et c’était un moment de grâce comme il peut y en avoir beaucoup heureusement. Des moments de plénitude sur scène. J’ai un très bon souvenir de la deuxième création du trio « Presque Oui ». Après l’Européen, on a refait une résidence en octobre, avec un concert dans la foulée, et là on était vraiment bien. On a joué devant 400 personnes, c’était super. Et là, je me suis dit « Là, on le tient le spectacle ».

Hexagone : Sur cette tournée, vous êtes toujours en trio ?
Presque Oui : Normalement oui, mais il m’arrive de temps en temps de faire une date en solo, mais c’est rare. Qu’est ce que c’est agréable d’avoir moins à porter d’un coup. Quand tu es en guitare-voix, tu fais tout. Et là, rien que la batterie, ça permet d’aérer la guitare, ça donne envie de bouger. La contrebasse, elle, apporte du moelleux. Je suis très content de ce trio. J’espère que ça va se diffuser un peu plus.

Hexagone : Est-ce qu’une de tes chansons à une importance, une place particulière pour toi?
Presque Oui : Il y en a une que j’aime beaucoup dans l’album Peau neuve, qui s’appelle Lumière. Cette chanson, je la réutilise de manière un peu déviée dans le spectacle jeune public. C’est une chanson d’épanouissement : « Laisse moi goûter la lumière, laisse-moi grandir au-dehors… » Il y a des chansons qui ont presque une vertu thérapeutique quand je les chante. Celles-là, j’y suis toujours attaché parce qu’elles sont toujours dans le présent. Il y a la chanson Peau neuve aussi. C’est venu d’un ami qui était en dépression, et j’avais noté tout ce qu’il me disait de ses sensations morales, mais surtout physique, et j’en ai fait cette chanson à laquelle je suis très attaché. Dans le dernier album, Aimons nous est une chanson que j’aime beaucoup. Parce que là, j’ai assumé un propos plus général, plus vague, plus allusif. Ce n’est pas du tout une histoire, c’est de la poésie mise en musique. Et je suis content d’avoir réussi à faire ça, parce qu’au début, avec Isabelle Haas avec qui j’écris mes chansons, on était toujours dans une écriture narrative. Des chansons comme Aimons-nous et Peau neuve m’ont tiré de cette veine narrative de chronique du quotidien. Elles m’ont permis d’aller vers un univers moins rigolo, mais plus méditatif, et finalement qui correspond peut-être à ma volonté de chanter des choses très musicales par lesquelles on peut se laisser bercer.

Presque Oui
Photo Marie-Hélène Blanchet

Hexagone : Selon les titres et les albums « Presque Oui » peut être drôle ou dur, sombre ou lumineux. Tu recherches constamment cet équilibre, ou il vient naturellement ?
Presque Oui : Sur Le baiser par exemple, quand on a bossé les arrangements, le violoncelle fait juste des petites basses, et à la guitare au début j’étais dans le grave du manche. C’est assez sombre dans la couleur de la guitare. Frédéric Cretel qui m’aidait à faire les arrangements, m’a conseillé de mettre un capo, de transposer, et du coup on est arrivé dans quelque chose de très cristallin, très doux, très aérien, avec un propos très dur. Je pense que ça résume un peu le souci que je peux avoir avec « Presque Oui » en général. Il faut qu’il y ait toujours quelque chose qui éclaire, qu’il y ait un équilibre. J’aime ce mélange dans une même chanson, où il peut y avoir une émotion forte, une notion d’une fin de vie, en même temps que l’adultère et le quotidien. J’aime bien ces chansons qui réunissent différentes émotions, et qui du coup, peuvent être surprenantes. Maintenant, je n’arrive plus vraiment à écrire de chansons « sketchisantes » comme il y avait dans les précédents albums. Dans l’album d’avant, je me suis « forcé » à mettre des chansons drôles, mais je n’aurais peut-être pas dû. C’est moins mon truc maintenant de faire du rigolo. Au risque de perdre des gens qui écoutaient « Presque Oui » parce qu’ils aimaient ça. Mais aujourd’hui, ce n’est plus ce que j’ai envie de faire.

Hexagone : Comment se passe l’écriture ? Qu’est ce qui te donne envie d’écrire ?
Presque Oui : En fait, c’est des petits bouts, des envies, des inspirations. Je les laisse reposer un petit peu, et à un moment quand il y a plein de petits bouts, je me rends compte que ça peut commencer à devenir quelque chose.

Hexagone : Donc, tu décides de faire un album quand tu te rends compte que tu as assez de textes pour en sortir un nouveau ?
Presque Oui : Pour De toute évidence, j’avais une trentaine de chansons, donc j’avais vraiment l’embarras du choix. Et là, j’ai presque de quoi en faire un prochain.

Hexagone : Si tu as de quoi le faire, un projet de nouvel album est en cours ?
Presque Oui : Non. Je suis en train de me questionner sur ce que c’est de sortir un album maintenant. Est-ce que j’ai envie de continuer à sortir des albums ? Est-ce que je n’aurais pas plus envie de sortir un spectacle sans avoir l’obligation de chanter les dernières chansons ou les chansons les plus connues ? De sortir de cette logique, de cette économie, de ce format du disque. Je me pose encore vraiment la question du support enregistré. Peut-être que ça pourrait être plutôt sous forme de vidéos enregistrées en live. Je suis un peu fatigué de la fausse attente que ça crée, d’événement qui n’est pas un événement parce que tu es noyé au milieu du système. En tant qu’auditeur, je ne me projette pas dans le fait que les gens fassent des disques, mais plutôt d’aller les voir sur scène.

Hexagone : Où en es tu aujourd’hui dans ta carrière d’artiste ? Quelles sont tes envies ?
Presque Oui : J’ai envie de scène, d’écriture, de collaborations avec différentes personnes, de varier les plaisirs, d’être dans le théâtre aussi, d’accompagner musicalement des textes.

Hexagone : Peux-tu citer quelques artistes que tu conseilles d’aller découvrir ?
Presque Oui : Chloé Lacan, Lily Lucas, K!, Eskelina, Tony Melvil…



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