Jean-Louis Bergère, « je suis plus un traducteur d’émotions qu’un inventeur d’histoires. »

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« Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin. Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine. » On pourrait commencer ainsi à propos de Jean-Louis Bergère, empruntant sans vergogne à l’Apollinaire ces vers qui ouvrent vers un désir de modernité. Poète, Bergère l’est. Indiscutablement. Moderne itou. Homme de Lettres, homme de mots, il écrit comme un peintre voudrait mettre en lumière les sentiments. C’est le sensible l’objet de Jean-Louis Bergère. Nommer l’invisible, faire exister ce qui n’est pas. Le sentiment naissant, à l’instar d’une Nathalie Sarraute. Chercher, être en quête du soi intérieur.  Gratter le dedans, le trouble et l’informulé. A petites touches, comme les impressionnistes, Bergère dessine des chansons. Puis il les chante. Ca remue les entrailles sur fond de pop rock au subtil raffinement, en mode Dominique A. Rencontre avec un artiste aussi précieux que rare.

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Photo Michel Durigneux

Hexagone : Peux-tu raconter le parcours qui t’a mené vers la chanson jusqu’à la parution du premier album en 2002 ?
Jean-Louis Bergère : Je dirai que tout remonte à l’adolescence, à un moment où l’écriture en premier est apparue comme un vrai refuge dans la confrontation un peu difficile et douloureuse que j’avais alors avec mon milieu familial, avec l’école, avec le monde autour en général. La musique était déjà là aussi, avec l’école de musique  en classe de trompette, et puis rapidement la guitare au lycée et la découverte de la musique pop/rock anglo saxonne et américaine des seventies. Une autre grande respiration salutaire. Mes premières chansons datent de cette époque, enregistrées sur un petit magnéto à cassette au fond de ma chambre. Je n’envisageais rien de précis par rapport à la musique mais je pressentais bien que ça allait prendre une place importante dans ma vie. Mes premières scènes débutent alors dans les cafés concerts avec des reprises du répertoire français (Souchon, Bashung, Couture, Ferré, Brel), et les souvenirs mémorables des soirées où je tentais en vain de faire passer mes chansons… rude école des cabarets où le bruit ambiant étouffe rapidement toute ambition démesurée. L’étape suivante est venue beaucoup plus tard. A la fin des années 90 j’ai eu l’occasion de participer à une compilation sur le groupe Ange, avec un premier enregistrement studio pour le label Muséa. Et tout a vraiment démarré à partir de là. Ma version de Ode à Emile a été remarquée par la presse spécialisée (premier concert parisien au Théâtre Clavel) et je me suis dit qu’il était peut-être temps de mettre en forme mes propres créations. J’ai réuni des musiciens autour de moi, avec un premier groupe à consonance plutôt classique (piano, violon alto, xylophone et percussions), et puis un autre groupe plus électrique avec lequel j’ai enregistré le premier album Une définition du temps en 2002.

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Photo Egna

Hexagone : Tu as sorti 3 albums à ce jour. Peux-tu nous parler de ta discographie ?
Jean-Louis Bergère : Une définition du temps (2002) a été enregistré mixé et masterisé par Pasquale Ianigro – Studio Karma avec Alain Ricou (guitares), Yannick Coudreau (clavier/piano). C’est un premier album ramassé (8 titres) et cohérent avec ma géographie d’écriture de l’époque. C’est un album qui me touche toujours (ce frémissement du premier…), avec quelques errements internes, qui parfois me font sourire, mais qui sont je crois, d’une grande sincérité. Peu de moyens sur cette première production, mais des contraintes bénéfiques en fait, qui se sont révélées enrichissantes, notamment sur la recherche sonore et globale de l’album. Avec trois musiciens en tout et pour tout. L’album suivant Au lit d’herbes rouges (2007) a été enregistré avec la même équipe technique et pour les musiciens, deux nouveaux se sont ajoutés : Hervé Moquet (basses) et Dominique Garnier (batterie). C’est un album plus conséquent (trop peut-être) avec 14 titres et sur lequel je me suis un peu égaré en termes de choix artistiques, d’arrangements, de production, avec pas mal de mouvements irréguliers sur le corpus même de l’album. Pour être tout à fait sincère, s’il devait être réédité, je ferais des coupes sombres, pour ne garder que les quelques titres (une petite moitié) qui me semblent encore debout. Demain de nuits de jours (2013) a été enregistré et mixé par Léo Lelièvre et Julien Sabourin – Studio Mezzanine et masterisé par Antoine Thibaudeau – Studio Rumble Sound avec une équipe musicale totalement refondée. Hervé Moquet (basses) Blaise Desol (guitares), Xavier Pourcher (piano, claviers), Antoine David (batterie) et des invités Laurent David (tenor) et Evelyne Chauveau (chœurs). C’est pour moi l’album le plus accompli artistiquement parlant et le plus abouti en  termes d’arrangement, d’homogénéité, de production, de réalisation. Un troisième album c’est déjà le début d’une histoire dans l’expérience discographique et bien sûr on avance différemment avec le bénéfice des leçons tirées et apprises jusque là. C’est aussi l’album qui ouvre une nouvelle direction dans mon travail. A suivre donc…

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Photo E. Chauveau

Hexagone : Ces albums révèlent-ils tous quelque chose de différent de toi ? Quelque chose de lié à une période de ta vie à chaque fois ? Ou sont-ils une continuité ?
Jean-Louis Bergère : Ils sont différents bien sûr, parce que liés aux différentes périodes de ma vie mais s’inscrivent, je le crois, dans une continuité que je ne pourrais pas encore bien définir mais qui est là, bien réelle (peut-être le début de ce truc qu’on nomme « style » et qui se dessine au fur et à mesure de l’avancée). On apprend d’album en album, c’est un chemin nécessaire, et bien entendu chaque album est une photo sonore de l’instant T dans lequel il est réalisé. Instant temporel de vie, d’époque. Donc oui, ces albums révèlent de moi des facettes différentes, et sont un peu comme des marqueurs sur le déroulé de ma vie, d’autant que l’expression générale de mon travail est nourrie le plus souvent par ce qui me traverse au plus profond. De ce fait, je suis plus un traducteur d’émotions qu’un inventeur d’histoires.

Hexagone : Qu’est-ce que construire un album à tes yeux ? Un projet artistique à part entière ? Une photo à un instant T ? Simplement exister aux yeux des professionnels ? Ou autre chose…
Jean-Louis Bergère : Si comme on vient d’en parler, l’enregistrement d’un album est effectivement la photo sonore de l’instant T, c’est aussi un élément de construction dans l’élaboration d’un projet artistique à part entière. Je crois réellement, et sans aucune prétention à « l’œuvre ». A son caractère sacré même, dans la trace et la mémoire de l’histoire humaine. A cette toile, ce paysage qui prend forme petit à petit, touche après touche. La construction d’un album s’inscrit pour moi dans cette configuration ; la partie intégrante d’une entité globale. C’est aussi pour ça que je ne suis pas vraiment séduit par les diffusions disséminées au titre par titre, EP ou autres formes actuelles qui répondent le plus souvent à la nécessité d’occuper l’espace à tout prix, de faire le buzz au plus vite et d’une manière répétitive, et de se conformer peut-être ainsi au plan marketing d’une diffusion professionnelle. Ça n’a pas de sens pour moi. C’est maigre et vide. Et c’est malheureusement dans l’air de l’époque, cette compression à l’infini, cette production d’objets consommables et renouvelables, à faible durée de vie…un circuit court sans consistance. L’objet artistique, dans toutes ses expressions, s’élabore sur un mode de fonctionnement diamétralement opposé. Son temps est celui qui lui est nécessaire pour prendre forme, celui de la réflexion, de la lenteur parfois, de la patience aussi et de la maturation.

Hexagone : Tu écris et chantes des chansons mais tu écris aussi d’autres textes, d’autres formes de poèmes. Que t’apporte la chanson que ne t’apportent pas les autres formes d’écritures ? Et inversement.
Jean-Louis Bergère : La chanson m’apporte la géographie musicale. La chanson résonne uniquement pour moi dans cette dimension musicale. Une chanson c’est un texte associé à une musique. Mais ça doit être avant tout un objet sonore global. Et c’est presque une revendication chez moi cette recherche constante de cohérence, d’équilibre entre la musique et le texte. Une vraie cohérence qui met à égalité les deux parties, sans prédominance aucune et qui peut même aller jusqu’à considérer le texte comme un outil sonore en soi. C’est ce que je veux réussir à faire. Une chanson ça doit être ça. Sinon il faut arrêter de faire de la musique et se consacrer exclusivement à l’écriture. Pour ce qui concerne mon travail édité en poésie, l’écriture des poèmes a toujours accompagné mon travail d’écriture en chanson. Ce sont des modules d’écriture assez proches dans leurs formes courtes, dans leurs capacités à condenser. Et pour les deux formes la question du rythme reste toujours centrale et primordiale. L’équilibre que j’attends (j’entends) dans un texte poétique n’est pas si éloigné de celui que j’attends (j’entends) pour une chanson. Notamment dans le récitatif de certains titres. Dans Demain de nuits de jours le texte du titre Les distances est construit à partir de plusieurs textes assemblés, issus du livre Jusqu’où serions-nous allés si la terre n’avait pas été ronde paru aux Editions Gros Textes. Le poème restera quand même pour moi, la forme la plus libre dans sa plus simple expression, il se suffit à lui-même. C’est vers lui que je reviens aussi, après la grande dépense d’énergie que demande la réalisation d’un album, avec juste carnet et crayon…

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Photo Michel Durigneux

Hexagone : Demain de nuits de jours est le dernier album paru en 2013. Peux-tu nous éclairer sur la signification de ce titre ?
Jean-Louis Bergère : C’est toujours difficile pour moi de donner des titres à mes chansons, à fortiori pour un album. A chaque fois j’essaie de trouver le meilleur compromis entre le titre qui immédiatement va pouvoir séduire, ou tout du moins retenir l’attention, et celui qui donne à entendre le contenu de l’album dans sa dimension la plus large. Jusqu’à maintenant j’ai écrit chaque album autour d’un thème central, à la façon d’un album/concept (très marqué par le grand Melody Nelson de Gainsbourg). Le thème de ce dernier album était l’apparition/disparition. Le titre Demain de nuits de jours m’a semblé réunir plusieurs éléments significatifs, la puissance de la métaphore avec sa part de mystère, une lecture possible à plusieurs niveaux, la sonorité même des mots dans le rythme intérieur de cet assemblage, la notion des temps apparus et disparus entre aujourd’hui et demain, entre présent et passé, entre nuit et jour…

Hexagone : Tu sembles écrire à la manière d’un chercheur du sensible. Tu questionnes l’être. Que cherches-tu à mettre dans tes chansons ? Que racontent-elles ou que doivent-elles raconter ces chansons pour tenir la route ?
Jean-Louis Bergère : Elles doivent être au plus près de moi, je pense. De mon ressenti. De ce qui me traverse au plus fort, au plus profond. C’est ce qui me paraît essentiel dans mon travail, cette retranscription du sensible. Comme je le disais précédemment, je suis plus un traducteur d’émotions qu’un inventeur d’histoires. Nous sommes tous continuellement traversés et habités. Nos pensées, nos états d’âme, nos rêves… C’est un truc incroyable et fabuleux en soi cette présence intérieure, cette conscience de l’être, et celle aussi que nous avons de notre propre existence, de notre propre finitude. Ça m’a toujours impressionné et questionné. C’est un champ d’investigation sans limites. C’est cette vibration intime et prégnante de l’être que j’essaie de traduire, de saisir. Celle qui nous singularise autant dans tout le tissu vivant. La vibration la plus légère, la plus invisible qui soit, la plus silencieuse, et la plus ténue dans notre sensation du vivre. Dans ma sensation du vivre.

Hexagone :  La critique salue cet album pour ses qualités poétiques. Je suis également de cet avis. Comment travailles-tu tes textes ?
Jean-Louis Bergère : Ca dépend de beaucoup de choses, du moment, de mon humeur, de mes dispositions à recevoir ou ne pas recevoir. Je laisse toujours les choses venir, je ne m’installe jamais à mon bureau en me disant « aujourd’hui j’écris sur ça ». Je ne sais pas faire ça. Il faut qu’il y ait un déclic, l’apparition d’un paysage réel ou mental, une situation particulière, un sentiment qui me traverse. Parfois le texte naît rapidement, d’un seul coup, comme si quelque chose guidait ma main, je ne sais pas d’où ça vient mais c’est totalement plein, magique et surprenant. La chanson Rien ne nous sera épargné est arrivée comme ça, comme un cadeau du ciel, comme une évidence. C’est plutôt rare quand même, et précieux bien entendu. Même si j’écris beaucoup plus vite qu’avant. Souvent c’est beaucoup plus laborieux. Après un premier jet, je peux rester bloquer des heures, des jours, des semaines entières sur un seul mot, sur l’ingrédient manquant qui empêche le texte de prendre, de rouler, de sonner. Je prends beaucoup de temps pour peaufiner. C’est un temps absolument nécessaire. Il faut laisser reposer la pâte, s’éloigner puis revenir, retoucher puis s’éloigner à nouveau et ainsi de suite jusqu’au moment décisif où je décide de figer le texte. C’est un peu comme le travail du sculpteur qui, par petits éclats successifs, va faire apparaître le visage. Si ça ne prend pas du tout, j’abandonne et je passe à autre chose. Ca ne sert à rien de s’entêter, c’est inutile. Ecrire, c’est une chose inouïe et terriblement excitante. Il n’y a pas vraiment de recette. Pour moi ça restera toujours un mystère, cette alchimie de l’écriture.

BERGERE Presse © Indie Music - F. Lombard-17Hexagone : C’est une étude de la mélancolie ton œuvre ? Ou autre chose ?
Jean-Louis Bergère : Non. Je ne suis pas quelqu’un de mélancolique et la teneur de mon travail ne se révèle pas dans cet espace presque pathologique de la « melancholia ». Je pense être un optimiste lucide qui cherche à apprivoiser l’inquiétude (comme le commun des mortels), à travers l’expression artistique. Je crois à ça en tout cas. Je n’étudie rien en particulier. On a souvent qualifié mon univers d’impressionniste, et c’est quelque chose qui me convient assez bien. Lyrique me semble être encore le terme le plus approprié. Lyrique pour l’expression de sentiments, des sentiments, d’états de pensées liées au paysage mental, à la métaphore, au panorama. C’est mon domaine privilégié. C’est l’état d’âme dans toutes ses dimensions, que j’essaie de traduire à travers mon travail musical et poétique, avec cette touche « mineur » sans doute que j’affectionne plus particulièrement. Ce mode mineur qui, et c’est une réalité physique, nous fait tous vibrer plus intensément…

Hexagone : Si je te demandais de me résumer ton univers en 3 mots, auxquels penserais-tu ?
Jean-Louis Bergère : Difficile de répondre soi-même à cette question… sans avoir l’impression de s’auto congratuler si je dis : lyrique – ambiant – contemplatif. Tu es peut-être mieux placé que moi pour répondre…

Hexagone : Musicalement, l’album trempe dans une pop, une pop-rock, aussi planante et raffinée que le sont les textes. Peux-tu parler de ta façon de travailler les musiques, les mélodies.
Jean-Louis Bergère : Je compose essentiellement à la guitare et parfois au piano. Avec un texte déjà écrit ou pas. Parfois c’est le texte qui appelle une musique, et d’autres fois c’est le contraire. Mais ces deux composants musique et texte, doivent pour moi s’accorder parfaitement. C’est ma première exigence. Ensuite, à partir de cette base mélodie/texte achevée, j’enregistre une version guitare/voix ou piano/voix et je la  transmets aux musiciens. Le travail en groupe à proprement parler peut commencer. Pour le travail d’arrangement qui suit, je suis peu directif d’une façon générale, et je m’appuie beaucoup sur les compétences des musiciens avec qui je travaille. Et j’ai la chance de travailler avec d’excellents musiciens. Créatifs aussi et inspirés. Des musiciens qui maintenant connaissent bien mon univers et se sentent concernés par le projet artistique. C’est primordial. Il faut du temps pour constituer l’équipe idéale. C’est un atout précieux. Avec Blaise Desol (guitares), Hervé Moquet (basses) et Evelyne Chauveau (voix et claviers), le noyau dur du groupe, on se connaît bien, on s’apprécie et il n’y a pas de problème d’ego. L’objectif pour tout le monde, c’est le résultat final. La porte est ouverte à toutes les suggestions, et chacun peut s’exprimer dans cette zone d’échanges. On cherche ensemble, et on expérimente pas mal. Et puis comme pour l’écriture, à un certain moment, quelque chose d’un peu plus précis se dégage. Semble s’imposer. On tient peut-être la chanson déjà, ou une belle piste de travail… On avance comme ça, en affinant au fur et à mesure. C’est seulement au bout de ce processus que je reprends la main, en validant ce qui me semble être le plus proche de ce que j’avais imaginé au départ.

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Photo Isabelle Sanchis

Hexagone :  On sent une culture anglo-saxonne dans ta musique. Quelles sont tes racines musicales ? Les personnes qui ont compté pour toi, qui t’ont influencé ?
Jean-Louis Bergère : Elles sont nombreuses et diverses. Mais j’ai grandi en écoutant essentiellement la musique pop/rock anglo-saxonne et américaine des seventies. Avec les grandes figures de l’époque ; Neil Young, Pink Floyd, Bob Dylan, les Rolling Stones, King Grimson, Genesis, Patti Smith, Led Zeppelin, Foreigner, Lou Reed, Leonard Cohen, America, Kansas, Fleetwood Mac, Alan Parson Project et tant d’autres qu’on allait dénicher chez le disquaire, le casque rivé sur les oreilles pendant des heures… Et toute cette musique qui me donnait la chair de poule était simplement constituée d’une musique, d’une voix (voire même d’un timbre) et d’un texte auquel je ne comprenais rien… C’était vraiment magique. Et je suis certain maintenant que le souvenir de cette émotion pure, produit par un objet sonore global, s’est alors durablement inscrit en moi. Pas grand-chose en français à ce moment-là sur la platine. Les premiers à atterrir dessus : Yves Simon, Gérard Manset, Ange, Jean Guidoni, Charlélie Couture, Alain Bashung et Léo Ferré. Léo Ferré est sans conteste l’artiste qui a le plus marqué mon parcours. J’ai eu la chance de le rencontrer deux fois et c’est lui le premier qui m’a encouragé à poursuivre. Avec une grande bienveillance. Une rencontre importante comme celle-là (l’œuvre et puis l’homme ensuite) quand elle se produit, c’est véritablement fondateur pour un débutant. Il reste un maître absolu pour moi. Quand je dis « maître » c’est pour signifier seulement que je le considérais alors (et toujours aujourd’hui) comme un artiste en pleine possession et maîtrise de son art. C’est le premier artiste français qui, à travers le grand souffle de sa musique, de sa voix, de ses textes, m’a donné à entendre la force des images, des flagrances poétiques, des mots dans le flux des sonorités, des rythmes, des couleurs…Un peu à la manière de cette magie dont je parlais tout à l’heure et qui opérait avec la musique pop/rock de mon adolescence. Ferré est le premier à avoir surdimensionné la chanson française dans cette acceptation d’un objet sonore global. Dans cette dimension lyrique, poétique, intemporelle aussi de son écriture, de sa musique.

Hexagone :  Sur la scène française actuelle, quels sont les artistes que tu apprécies particulièrement et pour quelles raisons ?
Jean-Louis Bergère : Le premier qui me vient à l’esprit, c’est bien sûr Dominique A. C’est une autre révélation choc pour moi au début des années 90. Avec son écriture singulière, son sens de l’épure, cette ligne de force qui se dégage et sa grande cohérence. Fer de lance d’une chanson qualifiée de minimaliste, il fait partie pour moi de cette famille musicale française qui a su associer brillamment musiques amplifiées, électriques et texte exigeant en français. Avec aussi des artistes comme Jean-Louis Murat, Christophe et les précurseurs comme Gérard Manset, sans oublier Alain Bashung. J’aime aussi la fantaisie de Bertrand Belin, la fausse légèreté d’Albin de la Simone, et puis toute cette galaxie d’artistes découverte sur les réseaux parallèles et indépendants. Je pense notamment à des gens comme Filip Chrétien, Orso Jesenska, Fred Signac, Lou, La Rive, Catherine Watine et tant d’autres encore… Ça fourmille de belles choses et je pense que contrairement à ce que certains affirment, on vit une époque de grande créativité musicale.

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Photo Michel Durigneux

Hexagone :  Tu vis en Anjou je crois. On ne te voit hélas quasiment pas sur scène. Est-ce difficile d’exister « musicalement » et artistiquement si l’on n’est pas à Paris ? Et du coup, vivre « loin » de Paris, c’est source de création ?
Jean-Louis Bergère : Oui je suis angevin. Quand tu dis qu’on ne me voit pas beaucoup sur scène, tu veux certainement parler de scènes parisiennes ? Parce qu’en ce moment, je tourne plutôt pas mal (en province) avec une dizaine de dates prévues sur le premier semestre 2016, pour la fin de tournée de Demain de nuits de jours. Et c’est plutôt bien dans la période actuelle. Pour la deuxième partie de ta question, je pense sincèrement qu’il est plus facile d’exister « musicalement » et artistiquement en dehors de Paris. Paris n’est pas (plus) la ville rêvée pour un développement de carrière. C’en est bien fini du chanteur qui débarquait de sa province et qui pouvait espérer après quelques années de vache maigre, se retrouver à l’affiche de l’Olympia. C’est un modèle du passé (dépassé). Les lieux de découverte, avec leurs chasseurs de talents comme au temps de Canetti, ou Barclay n’existent plus vraiment. Les jeunes diplômés des maisons de disque ne s’emmerdent plus avec ça. On ne mise plus sur la qualité d’un artiste et sur le temps nécessaire qu’il lui faudra pour être reconnu. C’est terminé. Ce qui compte là encore, c’est la rentabilité à court terme. Et je dis ça suite à des expériences personnelles, et après avoir passé quelques entretiens édifiants avec des gens du métier. Sans parler sur Paris des conditions financières et d’accueil dans certaines salles. Plus de programmation véritable, de prise de risque par un producteur de spectacle, de contrat de cession digne de ce nom. Au mieux, tu te retrouves en coréalisation, au pire ça te coûte de l’argent (location de salle, déplacement, hébergement…) et tu te débrouilles pour la communication et remplir les gradins. C’est sans doute un peu noir comme tableau, mais malheureusement c’est assez proche de la réalité. Et quand j’entends certains musiciens parisiens me parler des difficultés qu’ils rencontrent pour jouer, pour travailler, ça ne fait pas envie… En province il y a encore tout un tissu vivant de salles, de réseaux, de festivals,  avec des vraies programmations (achats de spectacles) et des possibilités d’accompagnement. J’ai la chance d’être soutenu par des professionnels de ma région qui suivent le projet de très près, en l’accompagnant vraiment. Présentation de spectacle, accueil en résidence, sortie d’album, suivi de projet… c’est précieux. C’est aussi motivant pour le travail d’équipe et sur la création-même, ça permet de poursuivre ma recherche artistique avec plus de sérénité et dans des conditions confortables.

Hexagone :  La scène, est-ce une chose que tu aimes ou alors un exercice après lequel tu ne cours pas forcément ?
Jean-Louis Bergère : J’aime beaucoup la scène même si je pense que ce n’est pas la partie la plus importante, la plus fondamentale dans l’expression de mon travail. L’album discographique oui. Mais ça reste une surface privilégiée extraordinaire, où le temps est suspendu, où la réalité n’est plus tout à fait la même, et où l’on peut se révéler avec une grande liberté… C’est aussi un mélange de sentiments contraires. On peut y vivre les pires et les meilleurs moments qui soient. L’exaltation totale, et aussi de grands moments de solitude. Il m’a fallu beaucoup de temps pour apprivoiser cet espace. Pour m’y sentir bien et debout. Pour m’y trouver vraiment. Personnellement ça m’a demandé un long cheminement physique et mental. Aujourd’hui j’y suis vraiment bien et chez moi. Et c’est une drogue dure, avec un fort pouvoir d’addiction…

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Photo Isabelle Sanchis

Hexagone :  On te verra au Forum Léo Ferré à Ivry, fin février. Quelle sera la formation scénique ? A 4 ? T’arrive-t-il de jouer solo également ?
Jean-Louis Bergère : Oui nous serons en concert le jeudi 25 février au Forum Léo Ferré. En quatuor certainement. C’est la formation de base, pour le spectacle de Demain de nuits de jours. Il m’arrive aussi de jouer en solo, et en duo également, notamment sur les programmations liées à mon travail d’auteur, lors de rencontres, de lectures, de lecture/concerts et aussi bien sûr dans les petits lieux, les espaces plus confidentiels.

Hexagone : Quels morceaux privilégies-tu sur scène ? Plutôt rock, planant ?
Jean-Louis Bergère : En fait ce qu’on joue sur scène actuellement c’est le spectacle de Demain de nuits de jours, créé en résidence au THV (théâtre de l’hôtel de ville) de St Barthélémy d’Anjou. C’est un concert qui présente l’album dans toute sa diversité avec une vraie réflexion sur la construction du set. Le rajout de ponts musicaux entre les chansons, de silences, d’ambiances et quelques nouveaux titres aussi…le tout réhaussé d’une très belle création lumière d’Augustin Sauldubois. Forcément, suivant les salles, on ne peut pas toujours présenter le spectacle dans toute sa dimension… et c’est frustrant parfois.

Hexagone : Travailles-tu déjà à un nouvel album ? Dans quelle direction musicale ? La continuité de Demain de nuits de jours ?
Jean-Louis Bergère : Oui le nouvel album est en cours…les chansons sont là, on va démarrer le travail d’arrangement dans les jours à venir. Et ce sera, je pense, dans la continuité de Demain de nuits de jours, dans ce mélange ambiant électrique que je veux continuer de creuser, d’approfondir… et avec cette belle part d’acoustique également. C’est le début d’une nouvelle aventure, musicale et humaine, avec tout ce que ça comporte d’inconnu et de surprises à venir. Rendez-vous début 2017 si tout avance bien…


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