Elie Guillou, « on ne choisit pas le réel »

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Photo David Desreumaux

Elie Guillou est un habitué des colonnes d’Hexagone. En décembre 2015, il est venu chanter à Lyon, invité par A Thou Bout d’Chant et par Nicolas Bacchus avec qui il a partagé la scène pendant trois soirées. J’en ai profité pour le rencontrer et évoquer avec lui  son parcours, la Bretagne, son père, le Kurdistan…. Elie Guillou a beaucoup de choses à dire, à raconter. Avide de rencontres, inventeur permanent, il met son art au service de l’humanité. Elie Guillou fait partie des artistes trop rares qui réinventent et veulent ré-enchanter leur métier. Un regard lucide et juste sur le monde et ses dérives. Un chouette moment avec un artiste des plus précieux.

Photo David Desreumaux
Photo David Desreumaux

Hexagone : Elie, peux-tu nous raconter comment tu es arrivé à la chanson ?
Elie Guillou : J’y suis arrivé par la voie royale, celle d’entraîneur de ping-pong. Mon père est chanteur, donc, je sais depuis toujours que l’art est un métier. J’ai commencé à écrire des chansons et à faire des concerts vers la fin du lycée, en parallèle de mon autre passion : entraîneur de tennis de table. Artiste ou entraîneur ? Je savais que ça serait l’un ou l’autre et priais pour commencer par la mauvaise solution pour n’avoir aucun regret quand je choisirai l’autre ensuite. C’est ce qui s’est passé. Rapidement, j’ai senti mon cœur basculer et c’est le chant qui l’a finalement emporté.

Hexagone : Peux-tu nous parler de ton père ?
Elie : Il s’appelle Gérard Delahaye. Il a commencé sa carrière au début des années 70 en Bretagne en fondant la coopérative Névénoé avec Patrick Ewen, Mélaine Favennec, Yvon Le Men, Annkrist, Kristen Noguès… Pendant 10 ans, cette troupe d’artistes va contribuer au renouveau culturel de la Bretagne avec la volonté de vivre et de travailler au pays. Rien à voir avec une démarche nationaliste, simplement l’intuition que la décentralisation était une question clé à laquelle il fallait répondre concrètement. Ils ont fédéré un public qui s’est reconnu dans cette démarche là. Mon père a donc commencé avec la chanson folk puis dans les années 80 et jusqu’à aujourd’hui il a eu une double carrière en faisant parallèlement de la chanson pour enfants. Depuis 10 ans il fait également partie du trio EDF avec Melaine Favennec et Patrick Ewen. Mon père a été influencé à la fois par le rock, le folk irlandais, écossais, nord-américain de Planxty à Bob Dylan, la chanson française de Brassens et Ferré et la musique bretonne. Il a réussi à faire un mélange de toutes ces influences et le trio EDF a maintenant des chansons en anglais, en français et en breton. Une des choses que je retiens de cette démarche c’est le choix de s’enraciner dans un territoire, une culture et s’en servir pour dialoguer ensuite avec tout l’extérieur. C’est un mouvement d’ouverture qui commence au bon endroit : qu’est-ce que j’ai à donner ? Ces artistes, je les ai fréquentés et je les fréquente encore. Ils sont d’un grand conseil aussi bien sur le plan artistique que pour la démarche professionnelle. Yvon Le Men, je vais le voir chez lui, à Lannion, plusieurs fois par an : on échange, il me conseille des lectures. Tous ces interlocuteurs d’une autre génération me permettent de mettre mon expérience en perspective. C’est vraiment une richesse d’avoir cet appui-là.

Photo Flavie Girbal
Photo Flavie Girbal

Hexagone : Où as-tu fait ton apprentissage de la musique avant d’écrire tes premières chansons ?
Elie : J’ai commencé en pur autodidacte et pour l ‘écriture je le suis resté. J’ai forgé mon écriture en dialoguant avec d’autres auteurs. Je continue. Il n’y a rien de plus heureux pour moi que la rencontre avec un nouvel auteur qui élargit mon panorama. Pour la guitare et le chant, j’ai pris des cours. Mon père est un artiste mais ça n’est pas un professeur. Mais il y a quand même beaucoup de choses qu’on attrape par mimétisme : on regarde et on apprend. Il y a un an, je jouais sur l’île d’Yeu à l’invitation de Clément Bertrand. Des gens sont venus me voir à la fin du spectacle pour me dire : « votre voix ça nous fait penser à un chanteur breton. Je ne sais pas si vous connaissez, il s’appelle Gérard Delahaye.» Ca m’arrive souvent. J’ai quelque chose dans le timbre qui est proche du sien. Après va savoir où commence le mime, où s’arrête le gène…

Hexagone : A l’inverse de ton père et de ses amis, tu n’es pas resté travailler au pays.
Elie : Je me sentais trop voyageur pour ça ! A 20 ans, je suis parti à Paris. Un ami comédien y commençait une école et m’a proposé de le rejoindre, je n’ai pas réfléchi longtemps. J’avais envie d’aller voir ailleurs si j’y étais. J’ai toujours cette envie-là, chevillée au corps.

Hexagone : Mais pour ton premier album tu as pris le chemin du retour avec ton Paris-Brest.
Elie : J’ai fait ça en 2009. Avec le recul, je me rends compte maintenant qu’il y avait la volonté de faire un pont entre là où j’étais et là d’où je venais. En étant à Paris je m’étais éloigné de la Bretagne et de mes racines et j’ai eu envie de faire un geste en direction de ce territoire qui me constitue. Mais il y avait aussi le désir d’une sorte d’errance, un vagabond sans attaches. Le vagabond est une figure qui me passionne parce qu’il n’est jamais dans un rapport de domination. Il n’est pas attaché à un territoire. Dans l’errance, la conquête n’a aucune place. Ce qui prime, c’est la relation, le dialogue. C’est la route qui amène les rencontres. On ne choisit pas qui et quand, on accueille, c’est tout. La troisième idée de ce Paris-Brest était de repenser le métier de chanteur. Je ne me reconnaissais pas dans l’industrie du disque telle qu’on me la présentait. Son but, ses obsessions, ses contraintes… tout ça m’était complètement étranger. Mon premier disque est un carnet de voyage sonore : il y a des chansons mais on entend aussi des gens qui parlent ; ça n’est pas du tout calibré et il y a des chansons très longues. C’était un sentiment d’être dans un format différent et de l’assumer.

Photo Flavie Girbal
Photo Flavie Girbal

Hexagone : Ton Lavomatic Tour, dont Hexagone a déjà parlé, c’est aussi hors format.
Elie : Le Lavomatic Tour, ce sont des scènes ouvertes dans les laveries. Des artistes, amateurs ou professionnels, de tous âges et tous arts viennent s’y rencontrer. J’en organise à Paris mais ça existe dans 7 villes maintenant. Dans chaque ville, une équipe autonome l’anime et le gère. C’est important pour moi que l’organisation corresponde à une volonté locale. Je pourrais aller dans toutes les villes et développer le concept comme une franchise conquérante mais ça n’a aucun sens. Pour revenir à cette chose : le hors-format. Je n’aime pas ce terme. Je suis simplement dans mon format à moi. Quand on dit hors-format, on se positionne par rapport à un format qui serait le bon. Aujourd’hui, qui détermine le format ? C’est la radio donc les publicitaires. Ça n’a aucun intérêt, sur le plan artistique. Sur le plan économique, c’est autre chose. Mais c’est déjà une telle quête d’exprimer quelque chose de juste qu’il n’y a pas de temps à perdre avec le reste.

Hexagone : Tu as écrit des chansons sur demande pour des particuliers et, en tant que « chanteur public », tu en as fait un album ?
Elie : Là, je suis en pause ! Mais pendant 3 années de ma vie je me suis consacré exclusivement à écrire la vie des autres. Ca m’a passionné et appris énormément sur l’écriture et sur la singularité de chaque vie. J’ai eu à traiter des situations très différentes : une déclaration d’amour entre un homme et une femme de 55 ans, un CV d’ergonome en site internet, des pardons, des mercis, des deuils… j’ai appris à me projeter dans des réalités étrangères. J’ai dû écrire environ 35 chansons et en retenir 10 pour faire un disque. Après cette expérience, passionnante mais épuisante, j’ai eu besoin de parler de moi à nouveau. C’est vraiment de mon histoire dont il s’agit dans le spectacle Rue Oberkampf que j’ai joué à A Thou Bout d’Chant à Lyon : l’histoire d’un jeune chanteur qui fait ses débuts et qui découvre ce qu’est l’industrie du disque. C’est encore l’histoire de la singularité contre la norme, contre le calibrage. C’est la même question que posait mon père, au niveau du territoire, c’est encore celle-là que l’on retrouve dans les révoltes Kurdes : quel est ce monde qui impose un modèle unique à une réalité faite de cas particuliers, de nuances, autant de richesses en puissance ? C’est mon obsession : ce massacre de la diversité que l’on retrouve partout, au niveau écologique, culturel, au niveau du langage…

Photo Flavie Girbal
Photo Flavie Girbal

Hexagone : Tu as évoqué les Kurdes, tu as fait un détour par le Kurdistan. Qu’es-tu allé faire là-bas ?
Elie : J’y suis allé 3 fois. Au début, c’était pour la musique : les kurdes ont des chanteurs, les dengbejs, qui sont une forme de ce que je cherchais avec le Chanteur Public. En improvisant, ils racontent la vie du village, questionnent l’actualité politique ou racontent de vieilles fables. Lors de ce premier voyage, en Turquie, j’ai très peu vu comment ils chantaient mais j’ai beaucoup vu comment ils se faisaient casser la gueule. J’ai découvert la situation politique du Kurdistan en assistant à des manifestations de soutien à des prisonniers politiques et la violente répression de l’Etat. Ca m’a questionné et ému. Au retour, je suis devenu membre d’une association rennaise qui défend les droits des Kurdes : l’AKB.

Lors du second voyage, je suis allé au Kurdistan irakien. J’avais obtenu une bourse de la mairie de Paris dans le cadre du dispositif « Paris Jeunes Aventures » pour faire la collecte de chants. Ce voyage m’a permis de découvrir d’autre facettes régionales : le difficile sort des arabes sunnites depuis la chute de Saddam qui a donné le terreau à l’émergence de DAESH, la richesse du folklore Kurde menacé par l’arrivée du libéralisme sauvage et son pouvoir de nivellement, les camps de réfugiés et beaucoup, beaucoup de viande de mouton.

J’y suis retourné une troisième fois, en Avril dernier, dans le nord de la Syrie, au sein d’une délégation composée par l’association rennaise dont je fais partie. Cette région, le Rojava, est majoritairement Kurde mais peuplée également d’Arabes sunnites, d’Assyrien, de Tchétchènes… Lors de l’éclatement de la Syrie, les Kurdes ont résisté militairement à Bachar Al-Assad, puis Al-Qaida puis DAESH. Après avoir sécurisé un territoire assez large, ils ont mis en place un système démocratique basé sur la participation de toutes les composantes ethniques à la vie politique. C’est un « confédéralisme démocratique » basé sur une démocratie participative à très haute dose. L’ensemble du système repose sur les assemblées de quartier. Pour la première fois, j’ai vu là un système politique vraiment différent de notre démocratie représentative. J’ai vu l’impact de ce système sur la vie des gens : j’ai reconnu chez tout le monde une énergie très active. Le sentiment d’être le maçon d’une société absolument nouvelle doit être très grisant. Ce que je dis là, ce ne sont que des intuitions (confirmées par des tas de lectures) car nous n’avons pas pu y rester assez longtemps.

Photo David Desreumaux
Photo David Desreumaux

La question Kurde continue à m’intéresser. En Turquie, les Kurdes traversent à nouveau des heures très sombres. J’aimerais y retourner au mois d’avril. Le théâtre d’Ivry Antoine Vitez vient de me proposer d’être artiste associé pendant 3 ans et je compte profiter de cet accompagnement pour créer un spectacle autour des Kurdes. Toute mes obsessions sont réunies là-dedans : le voyage, l’errance, la rencontre, l’oppression, la lutte pour la différence, le rapport entre l’abondance et la pénurie et toujours ce massacre au nom d’une unité lâche, une unité par le bas.

Cette question de la différence est directement liée à celle de l’ouverture. Et nous vivons une période où le modèle économique tend à tout ramener à des formes semblables. L’art joue un rôle clé dans cette question : s’il y a un formatage de la chanson par la structure, la longueur, le ton à utiliser pour accéder à une reconnaissance, ça induit un type d’identité. Le public est alors confronté à des identités toujours semblables. Il perd l’habitude d’apprivoiser le sentiment de rejet qui naît lorsque l’on est face à une identité nouvelle, opaque. Un des rôles de l’artiste, c’est de proposer une représentation de l’altérité, d’assumer le rejet qu’elle engendre et de le surmonter, par la voie de la beauté. Lorsqu’un peuple est habitué à affronter des propositions artistiques audacieuses, il est plus à même, sur le plan social d’accepter des identités différentes. L’art conduit à la souplesse. Bon, une fois qu’on a dit ça, on allume la télé, on regarde les résultats des dernières élections et on se dit que c’est pas gagné. Alors on se remet à écrire.

Photo Flavie Girbal
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Hexagone : Ton spectacle Rue Oberkampf s’achève devant le Bataclan.
Elie : Mon spectacle parle d’un jeune chanteur qui part du haut de la rue Oberkampf et dont le but est d’atteindre le Bataclan, tout en bas de la rue. Après les attentats, la question s’est posée de changer ou non quelque chose. J’ai choisi de ne presque rien changer. Bien sûr, l’imaginaire associé au Bataclan est bouleversé. Ce nom est maintenant un symbole de souffrance causée par le terrorisme. En gardant le mot « Bataclan », j’ai choisi d’habiter ce nom avec mon imaginaire. Un imaginaire positif. Il me semble que ça fonctionne : pendant le temps du spectacle, le public arrive à entrer dans cet autre imaginaire. Les 5 premières minutes les gens y pensent mais peu à peu, ils sont embarqués dans l’histoire. Changer le nom, c’était une mise en quarantaine ; comme si on n’avait plus le droit de dire le nom d’un mort. Au début du spectacle, je distribue un texte pour expliquer ce choix et qui se termine par ces mots : « « On ne choisit pas le réel. En revanche, on peut choisir de quel imaginaire on l’habille. En rêvant, on transforme l’émotion – donc le dialogue – que l’on entretient avec lui. En transformant l’émotion, on transforme le réel. Rêvons donc, puisque c’est l’arme que nous avons choisie. Arme insuffisante – parfois – mais toujours indispensable. »


Les prochaines dates d’Elie Guillou :

20 Janvier au théâtre du Sphinx (Nantes)
17 Mars au Retour du Jeudi (Albi)
20 Mars au Café Plum (Lautrec)
8 Avril au Théâtre Gérard Philippe (Montpellier)

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