Loane, « rechercher l’air dans la musique »

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Après avoir sorti Jamais seule en 2008, puis Le lendemain en 2011, Loane travaille actuellement sur son 3ème album. Elle sera sur la scène des 3 Baudets mercredi prochain et y présentera quelques titres de son nouvel album. J’ai découvert certains de ces nouveaux titres il y a quelques semaines, à La Loge, et j’ai été autant bluffée que touchée. On y retrouve toute la sensibilité de Loane, soulignée et portée par des arrangements à la fois électro et épurés. Rencontre avec une artiste authentique qui revient sur son parcours, ses influences, et sa musique.

LoaneHexagone : Quelle est ton histoire avec la musique et d’où est venue ton envie d’en faire ?
Loane : Ça m’est venu sur un Philicorda, un petit orgue qui était chez mes parents. Très vite j’ai essayé de jouer. Je suis restée absorbée et je me suis mise à en jouer tout le temps. Mon père m’a appris quelques accords de base. J’adorais ça, alors ma mère a voulu m’inscrire à des cours de piano, mais on m’a refusée parce que je ne savais pas lire. Je devais avoir 4 ans. Ça a commencé comme ça. Plus tard, j’ai pris des cours de piano jusqu’à l’adolescence. J’avais du mal avec le solfège. C’était compliqué pour moi. Faire de la musique à l’oreille, créer des mélodies, pour m’amuser, c’était facile, c’était du plaisir. Et apprendre à lire les notes c’était comme une langue que je ne comprenais pas.

Hexagone : Quand est-ce que tu as su que tu voulais en faire ton métier ?
Loane : C’est quand j’ai signé avec le label Virgin Music pour mon premier album Jamais seule que j’ai commencé à vivre de ma musique. C’est à ce moment-là que j’ai arrêté de travailler dans la presse pour pouvoir me consacrer à mon album et entrer en studio. Avant j’étais iconographe, j’allais de CDD en CDD, ce qui était assez pratique pour pouvoir me livrer à ma passion à côté. Je ne me suis jamais dit que la musique serait mon métier. Je ne me suis même jamais dit que ça pouvait être un métier. Pour autant j’avais quand même envie de tenter quelque chose, j’étais aspirée par une envie plus profonde de musique, je voulais lui donner plus de place. On me parlait d’un CDI, donc si je n’essayais pas à ce moment-là, je partais vers une autre vie. J’ai alors cherché des dates de concerts et je me suis lancée toute seule.

Hexagone : Quels sont les artistes qui t’ont marquée à cette époque-là ?
Loane : Enfant, j’avais des moments où les sons me touchaient vraiment très fort dans le cœur, dans le ventre, quand j’écoutais par exemple mes 45 tours de dessins animés. La musique, les accords mineurs, les trucs tristes même sans paroles. C’était une sensibilité, une lecture de la musique, qui n’était pas celle du solfège. Après, avec mon frère, on écoutait beaucoup Madonna, les Cure, Michael Jackson et Indochine. À l’époque de 3 Indochine c’était génial. Quand j’étais petite on prenait des casseroles, des raquettes de tennis, moi je prenais l’orgue, et on se refaisait les concerts d’Indochine que mon frère avait enregistrés sur cassettes. Plus tard, je me souviens que pour le jour de mes 22 ans, je suis allée voir le concert de Common pour son album Like water for Chocolate. Je suis sortie retournée de ce concert. Non pas parce que je voulais faire du hip-hop mais parce que j’étais chamboulée par la musique, je sentais cette urgence si présente en moi, ce besoin qui se manifestait de plus en plus dans ma vie. C’est à cette époque que je me suis acheté mon premier ordinateur avec les logiciels Cubase et Reason, juste pour la musique, pour enregistrer mes premières maquettes.

Hexagone : As-tu grandi dans une famille de musiciens ?
Loane : Non pas du tout. L’orgue, c’était celui de ma grand-mère qui était artiste peintre. Elle, par contre, oui. Artiste hollandaise, Jane Van Heekeren, elle peignait beaucoup des femmes, des nus. Elle vivait à Montmartre. Elle, elle était vraiment artiste.

Loane cover album le lendemainHexagone : Tu as déjà sorti deux albums. Peux-tu revenir dessus en quelques mots ?
Loane : Pour commencer mon premier album, il n’y avait que des maquettes au piano. J’ai fait appel au réalisateur Fabrice Dumont, du groupe électro Télépopmusik. On en a fait un album très acoustique. Il y a du piano, des batteries, c’est assez classique et élégant. Mais j’étais déjà attirée par l’électronique. Du coup j’ai emmené mon deuxième album dans cette voie. J’ai commencé à faire moi-même toutes mes démos dans mon home studio, avec des arrangements très 80’s, des beat box et des synthés de l’époque de mon enfance. Donc je me suis mise à apprendre les logiciels, comment tout faire toute seule. Je suis arrivée en studio avec toutes les démos assez poussées, dessinant déjà clairement l’univers du Lendemain. On les a magnifiées avec David Sztanke, qui fait autant de la pop très élégante (Tahiti Boy & The Palmtree Family) que de l’électro complètement fou, et Yann Arnaud qui bossait avec Sébastien Schuller dont j’étais très admirative de la musique. La sensibilité de ces deux réalisateurs a permis de déployer l’album que j’avais envie de faire. Et je devenais co-réalisateur. J’étais très contente de cet album parce que je faisais les sons que j’aimais, l’expérience a été super, du début à la fin, jusqu’au mastering. L’histoire est vraiment belle, les collaborations aussi. Lenny Kravitz chez qui j’apportais les mix de l’album qu’on écoutait ensemble, ou Christophe avec qui nous avons tourné un clip Boby, lui qui a toujours refusé les clips, ce sont de vraies histoires d’Art, une période riche de rencontres et de beaux souvenirs.

Hexagone : Tu as également fait partie du projet « Georges ». D’où est venu ce projet, et quels souvenirs en gardes-tu ?
Loane : Les 3 Baudets souhaitaient faire un spectacle qui dure un mois l’été. Deux amis musiciens et moi avons été contactés pour faire une relecture de chansons de 1947 à 56, en lice avec d’autres groupes. On a proposé une relecture complètement électronique et dépouillée des chansons de l’époque et on a été choisi. On a alors crée Ultra Georges, repris Barbara, Patricia Carli, Brassens, etc… on a joué quasiment tous les soirs. C’était super. J’ai alors découvert ce que c’est que d’être tout simplement interprète, de ne chanter que des mots que je n’ai pas écrits, pendant tout ces concerts, moi qui écris et compose mes chansons. Il y a une liberté là-dedans que je ne connaissais pas. Même le fait de me détacher un peu de mes claviers quand je joue, d’être moins sur les instruments aussi.

Hexagone : Tu es en train de finaliser ton prochain album. Qu’est ce que tu peux nous dire à propos de ce disque ?
Loane : J’ai voyagé pas mal, notamment aux États-Unis. J’ai écouté beaucoup de nouvelles musiques il y a deux ans. De la musique aux influences du nord, Rhye, Shura, Movement, Banks, Hundred Waters, Black Parachute, Hoodlem, Darkstar… Tout comme Peter Von Poehl, Lykke Li ou Sigur Rós que je connaissais déjà. Ce sont des gens qui injectent tant de pureté dans leurs chansons électroniques, une simplicité qui est spécifique à la musique scandinave. Ça m’a beaucoup inspirée d’être dans la pureté, d’épurer mes arrangements. J’en avais beaucoup mis dans le deuxième disque, j’ai eu envie d’explorer l’inverse. De donner plus de place à la voix et à l’émotion, de moins me cacher. Intégrer les silences… Juste quelque chose d’organique, de pur et de léger. Rechercher l’air dans la musique. Quand j’étais aux États Unis, j’ai enregistré beaucoup de choses, beaucoup d’idées, je suis allée dans plusieurs studios. De retour à Paris j’ai retravaillé les sons et l’univers s’est mis en place.

LoaneHexagone : On a déjà pu découvrir quelques morceaux sur scène. Les versions « studio » seront-elles aussi épurées que les versions « live » ?
Loane : Oui, j’aimerais vraiment. J’y tiens. C’est comme ça que j’ai envie de le faire, je n’ai pas envie d’en mettre trop.

Hexagone : Sur scène, tu es accompagnée par Jérôme Plasseraud. Allez-vous toujours tourner à deux, ou est-ce qu’il y aura une formation avec plus de musiciens ?
Loane : Pour l’instant, on joue à deux avec mes programmations électroniques. Mais j’aimerais bien avoir un batteur, un mec qui joue des pads en live. Pour l’instant, c’est encore un peu laboratoire, on expérimente. Je suis allée voir le concert des Fka Twigs, par exemple. J’adore. Il y a deux mecs qui jouent du pad, c’est génial. Il y a des boucles, mais tu ne sais pas trop d’où elles viennent. Qu’est ce qui est joué, qu’est ce qui n’est pas joué ? Pour moi ça a été une révolution.

Hexagone : Tu es auteur, compositeur et interprète. Comment se passe la création ? Qu’est ce qui vient le plus naturellement ?
Loane : La musique vient très naturellement. J’entends des mélodies, des accords. Le texte, c’est plus de travail. Un texte qui sort comme ça en une après-midi, ça m’est arrivé qu’une fois ou deux. La chanson Aimé sur le premier album, m’était venue dans la rue entièrement.

Hexagone : Tu collabores également avec d’autres artistes. C’est quelque chose qui te plaît de te « mettre au service » d’autres projets ?
Loane : J’adore. J’aime partager ce que j’aime faire. Partager la musique, pouvoir apporter de la musique à quelqu’un qui cherche ça, j’adore. C’est un plaisir.

LoaneHexagone : Tu as un souvenir de collaboration qui t’a spécialement marquée ?
Loane : Il y avait eu un moment magique avec Bardi Johannsson. J’étais partie en Islande pour aller travailler sur une chanson, une version de Danser qui n’a finalement pas trouvé place sur l’album, sortie juste sur Myspace à l’époque. C’était une de mes premières expériences de collaboration, c’était génial d’être dans le studio de quelqu’un dont on admire le travail, c’était magique. J’étais comme une gamine. J’étais partie 3 jours toute seule. C’était l’aventure. Donner, partager, avoir envie de faire quelque chose de bien. Comme avec Lenny Kravitz à qui j’avais demandé de corriger les paroles de ma chanson Save us, la veille de l’enregistrement et à qui j’ai proposé de la chanter avec moi le lendemain, il a tout de suite dit « ok. » C’était hors du commun de me retrouver en studio avec lui en train de chanter sur mon titre. Comme avec Rose, pour son single Pour être deux, l’échange s’est fait naturellement. Elle m’a amené le texte, ce soir-là, chez moi, on buvait un verre, on passait un bon moment. Mon ordi était allumé, mon clavier prêt, et la compo est arrivée comme ça, la chanson est née. Ces moments de grâce nous dépassent toujours un peu quand on y pense.

Hexagone : Est ce que dans tes chansons, tu as un titre qui a une place spéciale pour toi ?
Loane : Il y en a une qui me vient. C’est Les châteaux hollandais. En fait cette chanson fait référence à la maison de ma grand-mère hollandaise, dans laquelle j’ai appris à marcher. Elle a été vendue l’année ou je suis partie en tournée pour mon premier album. J’y vivais depuis mes 20 ans, c’était un endroit fantastique situé à Montmartre. Il y avait toutes les peintures de ma grand-mère aux murs, il y avait des sculptures, des petits objets qui datent d’une autre époque dans des vitrines, une immense cheminée, des oiseaux dans le petit jardin, des grands carreaux noirs et blancs au sol… Il y avait plein de choses, c’était beau. C’était un monde à part, ou j’aimais être seule, écrire, rêver. J’ai écrit cette chanson comme pour lui dire merci et qu’elle me manquerait. Avec tous les souvenirs et mon enfance qu’elle garde dans ses murs. Elle m’inspirait, me protégeait, c’est là que j’ai créé les chansons de mon premier album.

LoaneHexagone : Dans tes nouvelles chansons, j’ai eu un vrai coup de cœur sur Normale. « Ce n’est rien qu’une course à l’idéal. Je ne trouve pas d’ordinaire à ma taille. Suis-je bien normale, normale, normale ?… Il faudrait m’y voir, dans cette vie bizarre. Mais ce n’est rien que mon rêve en bataille, l’ordinaire contre l’idéal. Suis-je bien normale, normale, normale ? » Comment est venue cette chanson ?
Loane : Elle est venue à un moment où je me disais que c’était un peu la loose. Un sentiment personnel un jour, où je ne comprenais pas, j’avais l’impression que quelque chose n’allait pas droit. Je n’arrivais pas à m’expliquer ce sentiment, ma vie était plutôt remplie. Je ne comprenais pas pourquoi je ne gardais pas les chaussures à mon pied, comme les autres. Pourquoi je préférais être seule que mal accompagnée alors que tant de personnes savent s’entourer par défaut. Un peu trop sauvage peut être. Être une femme, artiste, libre, indépendante avec des idéaux, des idées, des envies contradictoires aussi, des espérances, ça laisse beaucoup de place, mais qu’est ce qu’on fait avec tout ça ? Comment tout concilier ? Est-ce que c’est normal de se demander tout ça ? Et, c’est quoi une femme normale en fait ? A quoi bon se déguiser derrière des schémas classiques dans lesquels on ne se retrouve pas… à déprimer oui. Peut être que tout le monde se pose des questions comme ça. Je ne sais pas. Dans les périodes de loose, on se sent nul et à part, on a l’impression que c’est trop bien chez les autres et qu’il n’y a que nous pour aller dans des directions bizarres. Heureusement un jour on apprend à s’aimer mieux avec toutes nos ambivalences, nos richesses intérieures, à s’accepter comme on est, à ne plus se juger par rapport aux autres mais par rapport à sa propre vérité.

Hexagone : Quelle est ta définition de la musique ?
Loane : Je dirais, des courbes invisibles avec des couleurs, et qui te font un truc dans le cœur.

Hexagone : Tu fais aussi des collages, avec un oiseau doré. D’où t’es venue cette idée et cette envie de faire ces collages ?
Loane : Durant mes voyages aux États-Unis, j’ai passé beaucoup de temps avec le groupe Wild Belle et Natalie faisait pas mal de collages. J’avais envie d’essayer, du coup, j’ai fait mon premier collage là-bas. C’était une super période, mais comme j’étais loin de chez moi, j’étais moins en contact avec mes amis alors j’ai imaginé un oiseau doré toujours présent, qui m’aide à trouver les réponses, mon Jiminy Cricket. Aussi j’aimais bien l’idée du langage crypté, du langage des oiseaux. Avec l’idée d’un dialogue avec moi-même, dans un langage qui n’existe pas, ces émotions intérieures quasiment impossibles à traduire.

Hexagone : Pour finir, peux-tu me citer deux ou trois artistes que tu conseilles d’aller découvrir ?
Loane : Hein Cooper The real et Hoodlem Old Friend


Loane sera en concert mercredi 27 janvier aux 3 Baudets, 64 Boulevard de Clichy, 75018 Paris.

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