Erwan Pinard, prof et chanteur, « une complémentarité nécessaire »

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Erwan Pinard chantait récemment au Bal des Fringants, une petite salle de spectacle dans les Pentes de la Croix-Rousse à Lyon. Une belle occasion pour prendre rendez-vous avec l’artiste. On s’est retrouvés quelques jours plus tard pour échanger librement sur ses métiers (il est prof en collège en même temps que musicien), sur ses albums et son parcours dans la chanson.

erwann-pinard12-07-2015-@--2Hexagone : Erwan, ça sonne un peu breton ton prénom ?
Erwan Pinard : De loin en effet. Mon grand-père était breton, de Rennes. J’aime beaucoup cette région mais je ne la hisse pas comme un étendard. Je suis né dans le Nord, à Maubeuge, donc quand j ‘étais jeune, je croyais que Maubeuge c’était la Bretagne. Je suis arrivé à Lyon il y a 32 ans et je me sens lyonnais maintenant.

Hexagone : Tu as commencé la musique très jeune ?
Erwan Pinard : J’ai commencé par l’école de musique de Chassieu et j’ai continué après au lycée dans un groupe de rock’n’roll où je chantais en yaourt. Ce sont Gainsbourg et Brassens qui m’ont donné envie de chanter en français. J’ai suivi ensuite des études de musicologie à la fac et je suis devenu prof de musique au collège. Depuis 4 ans je suis passé à mi-temps pour développer la musique à côté de l’enseignement. Ces métiers me plaisent : aller faire l’idiot sur scène ou dans une salle de classe, il y a une complémentarité nécessaire pour moi.

Hexagone : Et tu leur apprends quoi au collège ?
Erwan Pinard : Je leur apprends à écouter, à chanter ensemble, à créer aussi, à enrichir leurs moyens de perception. Dans les programmes officiels, tu as plusieurs séquences d’environ 5 semaines où dans chacune tu étudies au moins une œuvre et un chant, en essayant de rendre le tout cohérent et vivant. Par exemple j’ai fait un travail autour de la dynamique et du mouvement avec Le Sacre du Printemps de Stravinsky et la chanson T’as pas tout dit de Boby Lapointe, qui s’est peu à peu retrouvée transformée en rap sur un instru de Cypress Hill. La flûte à bec est morte, paix à notre âme.

Hexagone : Tu n’as jamais pensé à faire de la chanson ton métier principal ?
Erwan Pinard : Oui, au début j’y ai pensé. Mais je n’ai pas eu le courage de le faire et au niveau familial je n’y étais pas encouragé. Et puis, il y a quinze ans, je n’avais pas beaucoup de cordes à mon arc en dehors de quelques petites chansonnettes que je ne chante plus maintenant. Et surtout j’ai eu l’opportunité de remplacer ma prof de musique au collège où j’avais été môme. Ses cours étaient du grand n’importe quoi . Tout le monde s’y défoulait à son aise ou s’y ennuyait ferme. Le fait de me retrouver à la place de cette prof et de voir qu’il était possible de faire quelquechose de bien avec la musique pour des ados a déclenché cette vocation en moi. La chanson a continué à se développer en parallèle.

Hexagone : Et la chanson, ça a commencé avec Gainsbourg et Brassens ?
Erwan Pinard : Il y a eu Thiéfaine aussi. Je me suis donc mis à faire des chansons en français, il y a 15 ans. Avant ça j’aimais le rock et ça sonnait mieux en anglais. Je me suis peu à peu rendu compte que ce que je proposais en français me plaisait et pouvait plaire. J’ai commencé dans des bars lyonnais comme Le Bastringue, rue de la Charité, qui n’existe plus aujourd’hui. A Thou Bout d’Chant aussi en première partie, et puis le Kraspek Myzik il y a une dizaine d’années.

Hexagone : Ton premier album est venu assez vite ensuite ?
Erwan Pinard : C’était l’album Contient des sulfites. J’en ai tiré 1000 et il est épuisé maintenant. A cette époque on jouait à 4 dans une ambiance plus chanson, plus fanfare que ce que je fais aujourd’hui. Mais à 4 on a fait seulement 2 concerts avec le premier l’album. Et comme ça n’a pas débouché sur de nouvelles dates chacun a repris sa route. A l’époque je rêvassais un peu, en espérant trouver des dates tout seul sans être connu… il faut du temps pour se trouver un public.

11040343_921725134525784_1900309518_nHexagone : Tes albums sont le résultat d’un travail collectif ?
Erwan Pinard : Oui pour les arrangements. J’amène le gros du boulot. Je suis le chef d’orchestre mais je reste très ouvert à l’apport des autres. Mes partenaires, je les ai trouvés sans vraiment les chercher. C’est d’abord un rapport humain : on joue ensemble quelque chose sur le pouce et on s’est bien retrouvé pour ce premier album. Je jouais avec Xavier Blanchot, Heiko Wilhelm et Laurent Fellot du groupe Des fourmis dans les main. Mais ensuite on dit «dates à faire,» «disponibilités,» «projet,» on dit « argent » et c’est là que ça coince.
Dans le deuxième album, Sauvez les meubles, il y a en même temps le reste de la vieille équipe et la nouvelle. Ca donne un album un peu fouillis. Pour le troisième, j’ai resserré les choses et fait moi-même le gros des arrangements, comme les cuivres.

Hexagone : Tu as donc repris la trompette ?
Erwan Pinard : Sur tous les albums, je joue de la trompette. J’ai d’ailleurs beaucoup plus de stress avec la trompette qu’avec le chant. C’est sans doute qu’avec la trompette j’ai une formation classique où on n’a pas le droit à l’erreur avec sa partition devant soi. J’ai fait des années de trompette «à la cool,» à l’école de musique de Chassieu. Bon, quand j’ai voulu intégrer le conservatoire pour voir, on m’a dit que c’était tout à refaire. J’ai fait de la trompette aussi pendant un an dans Khaban’, l’ancien groupe de Stéphane Balmino. Et maintenant quand je peux prendre le temps d’en faire pour mes arrangements, ainsi que tous mes cuivres de brocante, je me fais plaisir.

Hexagone : Et ce troisième album, il en est où maintenant ?
Erwan Pinard : Il est au mixage. Je n’y touche plus et c’est Lionel Aubernon, mon batteur, qui s’occupe du mixage. Ca devrait être fini fin juillet. Il utilise des outils informatiques qui me fatiguent assez vite. Lionel, lui, adore faire ça. C’est un peu un défi pour lui de mixer tout un album. J’ai confiance en son amour du son.
Cet album a été fait à la maison avec mes compagnons de scène : Lionel Aubernon et son frère Jérôme pour les cordes (guitare, violon). Ils sont tous les deux profs de musique en Conservatoire. Ils ont été tous les deux au Kraspek en tant que régisseur ou technicien son. Ils ont aussi leur propre groupe, Du sang sur le lino. Ils jouent aussi avec Mathilde Valy, la co-fondatrice du Kraspek dans le groupe M’a t’Il Dy.

11068843_921725084525789_1275191408_nHexagone : Le Kraspek a donc beaucoup compté pour toi ?
Erwan Pinard : Oui, ils m’ont programmé sans me demander de Curriculum Vitae. Ce sont mes premiers souvenirs d’un vrai concert où au moins 40 personnes venaient se taper d’eux mêmes du Erwan Pinard pendant 1h 30.

Hexagone : Mais parlons de tes textes…. c’est plutôt dur dans l’ensemble.
Erwan Pinard : Ils sont de plus en plus tendus et tordus. C’est assez noir dans l’ensemble.

Hexagone : Tu vois la vie en noir alors ?
Erwan Pinard : A la base, non, je ne crois pas. Mais voir la vie en rose ça me fait moins écrire. Je suis loin d’être un triste sire, c’est que dans ma vie amoureuse j’ai connu récemment de grands chambardements et le troisième album s’est nourri de ça. Maintenant que j’ai creusé ce sillon, il faut que j’arrive à en changer. Ca fait un moment que je n’ai pas écrit de nouvelles choses parce que cette noirceur qui revient sur le thème de l’amour devient un mécanisme, une routine qu’il faut casser. Chaque fois que je me lance dans quelque chose, il faut que ça me fasse rire ou sourire, que ça m’amuse. Si c’est trop noir, je jette ou je n’y vais pas. Il y a des gens qui ne voient que le côté rigolo de ce que je chante, d’autres que le côté sombre. C’est troublant comme une chanson peut être reçue.

Hexagone : Mais tu abordes aussi des thèmes variés et ton Centre ville, c’est un peu politique aussi.
Erwan Pinard : Oui, c’est vrai. La politique n’est pas si loin que ça. Comme je ne sais pas en faire et n’y connais pas grand chose, je me l’approprie avec mon regard de chanteur, de citoyen.

Hexagone : Et le nouvel album, c’est différent ?
Erwan Pinard : Le nouvel album est moins politique car c’est mon bazar sentimental qui en est le moteur. Mais avec mes textes à double fond, en forme de jeux où on peut gratter si on a envie, on peut y voir aussi une peinture de la société. Ce dernier album parle uniquement d’amour mais s’appelle Obsolescence programmée.

Hexagone : Tu penses continuer l’enseignement et la chanson ?
Erwan Pinard : Il m’arrive parfois de sortir de scène et de trouver ça un peu vain, en dehors du monde. Je me sens parfois plus utile avec les gamins. La complémentarité entre le collège et la scène me convient bien pour l’instant, ça me permet pour l’aspect chanson de rester ancré dans le réel, et pour l’aspect pédagogie d’avoir une sorte d’aisance et d’autorité naturelle que les gamins ressentent.

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