Thibaut Derien, photographe des sentiments

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Photo David Desreumaux
Photo David Desreumaux
Photo David Desreumaux

La chanson a cette vertu sans pareille qu’elle rassemble et fait se rencontrer des hommes et des femmes, bref des humains, parfois venus d’horizons très différents. Thibaut Derien, longtemps chanteur avec le groupe Derien puis en solo le sait mieux que quiconque. Ce n’est donc certainement pas par hasard que la série de photos intitulée Sur scène dans une minute ! qu’il présente en ce moment et jusqu’au 26 juillet prochain aux 3 Baudets lui est venue à l’esprit. Cette exposition inaugurée hier montre merveilleusement tout le paradoxe qui réside entre le lien social qui se crée par et autour de l’artiste et la solitude de ce même artiste au moment crucial de passer à l’acte : monter sur scène.

Comme nous le faisions entendre précédemment dans ces colonnes, Thibaut Derien est devenu le « peintre en sentiments » qu’il a écrit et chanté sur son album solo, Le Comte d’Apothicaire. Seulement, aujourd’hui, exit la chanson et le trac du chanteur et place à la photographie qui depuis toujours tient une place privilégiée dans son espace artistique.

Photo David Desreumaux
Photo David Desreumaux

Qui mieux que celui qui vient du sérail saurait saisir l’imperceptible sentiment qui se joue dans la tête de celui qui sera sous les feux de la rampe dans 60 secondes ? Car, on a beau dire, pourquoi l’artiste fascine tant depuis toujours ? C’est bien parce qu’il est projeté au-delà des normes du quotidien à ce moment précis dans le fait de s’offrir à une salle venue l’applaudir. Parce qu’il n’est presque plus humain, déshumanisé dans le sens où il est mécanisé et vu comme infaillible par le spectateur. Qu’il joue au Zénith ou au Limonaire, c’est exactement la même chose. L’audience n’entre pas en considération ici. L’artiste a peur. Il a le trac et c’est bien normal. Lui seul pendant cette minute sait qu’il n’est qu’homme ou femme et pas à l’abri d’un trou de mémoire, d’oublier un accord, de s’emmêler les jambes dans les câbles, etc.

Photo David Desreumaux
Photo David Desreumaux

Dans les photos de Thibaut Derien, toutes ces craintes et ces questions en creux filtrent dans les regards saisis. Tantôt le regard vif, tantôt les yeux fermés, mais toujours dans un ailleurs. Parfois resté plus d’une heure dans la loge aux côtés d’un artiste, Thibaut a fini par faire oublier sa présence et il a attendu le moment, patiemment, de déclencher le 50 mm. Il en résulte des instantanés à tomber sur lesquels le masque de la peur, de l’attente se lit comme une évidence insoutenable.

Pour présenter ses photos, Thibaut a demandé aux artistes, venus d’univers musicaux différents, d’écrire quelque lignes sur leur ressenti à une minute du grand saut. C’est souvent fort beau et riche d’enseignements. On retrouve un Wally facétieux et fidèle à lui-même, un Imbert Imbert toujours alambiqué, une Clarika pragmatique, etc.

Photo David Desreumaux
Photo David Desreumaux

Hier soir, le vernissage de l’exposition s’est conclu sur un concert de deux des protagonistes de la série de Thibaut. Des potes. Mell et Loïc Lantoine. Mell, l’impeccable rockeuse sans diamants mais avec des bagouses et du bagout qui avoue qu’avant de monter sur scène elle « évite les gens car [elle] n’arrive pas à avoir de discussion. » Avant d’ajouter « Je me sens con. Un peu à poil déjà. Je trempe mes lèvres à chaque phrase dans un verre de rhum, me demandant une fois de plus pour quoi je fais ce métier »

Quant à Lantoine, notre Villon à nous, ce frère humain à la voix charbonneuse et aux incomparables élans de générosité, il a mis la salle à ses pieds. Lantoine, accompagné de son seul François Pierron de contrebassiste des débuts et de tous les instants s’amuse de sentiments en sentiments. Du fil du rasoir à celui de la dérision, il émeut et bouleverse à sa guise et l’on a du mal à imaginer et à croire que ce gaillard – tout comme ses confrères – tremble avant de monter sur scène. C’est pourtant ce que montre Sur scène dans une minute ! en près de 50 portraits à voir et à lire et à ne manquer sous aucun prétexte. Vous avez jusqu’au 26 juillet.

 

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