Au mois de juin 2004, en prélude à la fête de la musique, l’hebdomadaire Politis a fait paraître, dans son numéro 806, sous la plume pertinente et subtile de David Langlois-Mallet, un dossier consacré à la jeune scène de la chanson auquel L’art-scène (l’ancêtre d’Hexagone) a eu le plaisir de collaborer.
Nous le republions dans son intégralité aujourd’hui. Quel intérêt de republier en 2014 un dossier – de surcroît – intitulé « un air de nouveauté » ? Nous nous sommes posé cette question bien évidemment.
Si Hexagone ne rechignera pas à faire part de ses coups de cœur musicaux, son équipe ambitionne également de se frotter aux questions qui touchent de près ou de loin à la chanson. Son rôle dans la société, le rôle des chanteurs, comment exister de et par la chanson, la réception du public et la relation qu’entretient l’artiste avec son public aujourd’hui, etc. Il nous a semblé intéressant pour faire un « grenelle de la chanson » en 2014 de voir l’état dans lequel celle-ci était 10 ans plus tôt. C’est un point de départ. Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ? Qu’est-ce qui ne varie pas ? Le numérique et le web ont-ils réellement révolutionné le(s) monde(s) de la chanson tel qu’on aurait pu le supposer ? Sommes-nous allés vers un mieux social et culturel ? Premiers éléments ci-dessous…
UN AIR DE NOUVEAUTE
Un dossier réalisé par David Langlois-Mallet – Juin 2004.
La chanson politique n’existe pratiquement plus. Les textes saignants d’un Brassens ou d’un Renaud appartiennent à l’histoire. Pourtant, à l’écart des succès commerciaux, une jeune scène émerge, qui témoigne à sa façon d’un engagement : celui d’une écriture exigeante, souvent poétique, reliée aux évolutions de la société et proche de son public. Rencontre avec Agnès Bihl, Wladimir Anselme, Nicolas Bacchus et autres troubadours modernes.
Que se passe-t-il pour que cette chanson, qu’on disait ringarde et moribonde, connaisse cette floraison exceptionnelle ? On ne parle pas ici du son des radios commerciales, ni de l’art bourgeois (Delerm, Bruni, Balibar…) qu’on nous impose en boucle sur les radios publiques. Mais d’artistes à l’expression plus puissante, s’ils sont moins connus. Des artistes qui savent nous remuer avec des émotions neuves qui ne tournent pas autour de leur nombril, mais nous parlent de notre commune vie. Nous en avons choisi et rencontré une dizaine, pris dans cette famille que le site www.lartscene.com s’est amusé à définir comme « alternative » ou « pour adultes consentants ». Parce qu’ils apportent du sens, de la tendresse, des idées, qu’ils nous font réfléchir, nous donnent envie de lire et de créer, nous aussi.
Leur reconnaissance artistique étant assurée, leur démarche professionnelle, il faut aussi les distinguer du phénomène d’explosion des pratiques amateur qui voit chaque café qui s’improvise programmateurs de concerts, vite submergés par les demandes sympathiques de jeunes artistes et les CD de « démo » par qui possède une guitare et un ordinateur. « C’est comme pour nos parents qui partaient élever des chèvres et qui, deux ans, après achetaient une voiture à crédit à Juvisy, persifle la chanteuse Agnès Bihl, cela dit, les vrais talents se révèlent aussi, à la faveur d’un mouvement de mode.» Car au delà de la Star’Ac de caf’conc’, il y a un phénomène plus profond dans lequel toute une génération (ou plutôt deux) de jeunes adultes, en délicatesse avec une société où ils sentent leur mode de vie mal représenté, trouvent dans la chanson un territoire vierge, velu, chargé d’histoire, de plaisirs littéraires et d’émotions populaires. Ce public en attente d’un miroir rencontre ainsi de riches artistes qui lui ressemblent et ouvrent des débats sur ses façons d’être. « Il se passe quelque chose dans cette génération, confirme Wladimir Anselme, le retour d’une chanson avec le texte devant. Quelque chose s’est ouvert grâce aux Têtes Raides et aussi, pourquoi pas, parce que la droite est revenue au pouvoir et que d’un coup les gens ont besoin de retrouver une parole. Bien sur… on n’entend pas forcément à la radio que les héritiers de Lautréamont et de François Villon »
« J’ai l’impression qu’avec Internet, les gens se réécrivent et du coup attachent plus d’importance à la chanson, à la poésie et au sens, remarque le chanteur Polo, la scène reprend le pas sur le disque. » Internet, cauchemar des maisons de disques, voilà un nouvel Eldorado pour la chanson autoproduite. Chaque amateur ou artiste y animant à peu de frais un petit réseau de supporters. Comme le dit Bacchus, « cette multitude d’artistes trouve sa légitimité dans le fait qu’elle va plaire à un public moins large, mais que ceux qui seront touchés, le seront vraiment ». Un public qui ne demande pas à celui qu’il applaudit de lui faire rêver d’une vie de star inaccessible, mais plus de proximité : la tribu a son artiste à elle, celui qui lui parle de son monde, celui qui la touche, mais aussi qu’elle peut toucher après le concert… et à qui, en échange, elle donnera un coup de main pour monter un concert ou son site Internet. Grâce à elle, l’artiste (qui se démène), peut tenir le coup. Une précarité de génération, subie et voulue à la fois comme le suggère Babix : « Je suis partisan de l’autoproduction comme de l’autodérision. C’est mieux que de confier son truc à des mecs qui cinq ans auparavant vendaient des cravates et de l’eau de Cologne. Et puis, l’important, c’est de se regrouper, de créer des liens. » Quelque chose entre « une vie rêvée », comme le dit Polo et la survie, comme le dit Sabine Drabowitch : « On survit. C’est nous qui allons chercher les salles, coller les affiches, voir les journalistes, on fait tout complètement seul. Cela prend beaucoup de temps et d’énergie, alors qu’on a cette soif de prendre son stylo. Le disque, c’est comme le bac, cela ne sert à rien seul, mais c’est obligatoire. Comme le dit Travis, “il est grand temps que notre création s’ébruite !” » Un Travis Burki, alias Ü, toujours un peu visionnaire, qui voit une « mutation de la consommation de chanson qui permet à des artistes qui étaient dans une marge poétique et politique de se faire progressivement apprécier d’un plus large public. Un public de plus en plus cultivé. »
Cette jeune scène alternative, c’est une fratrie. Venus de Toulouse comme Bacchus ou de Lille comme Lantoine, ils se sont croisés parfois à Ivry, aux ateliers d’écriture d’un grand de la chanson, (mal) tombé au cœur des années maigres, Allain Leprest. Parfois dans deux bars à chanson, l’Ailleurs, fermé depuis mais qui a impulsé le renouveau des cafés-concerts, et Le Limonaire, sur les grands boulevards, à qui ils doivent le lien avec la tradition. Nourris de Brassens, Brel, Renaud, tous se sentent « très redevables » à ce que Sabine Drabowitch nomme « un héritage merveilleux » viatique pour pratiquer ce métier fraternel dont Lantoine parle, comme toujours, bien joliment : « Le but, c’est de rencontrer des gens, moi, je ne suis pas un amoureux des mots, je suis un amoureux des gens. J’ai un boulot de divertisseur de gens, c’est un beau métier, il ne faut ni chercher l’exploit, ni chercher à plaire. C’est un boulot de chapardeur, on vole des trucs aux gens, mais on ne les leur prend pas longtemps, on leur rend ! » Comme les autres, il avoue prendre le même plaisir aux grandes salles pleines que lorsque vingt personnes le suivaient dans les bars. « Je ne cours après rien d’autre que ce que je fais là. Il y a des fois où l’on peut se retrouver coupé de son public si l’on est trop médiatisé. Et puis il y a une vraie fraternité, une solidarité entre les gens qui font le boulot, on se file des coups de patte, on essaye de se mélanger les publics, c’est un vrai plaisir. » Sur des airs que vous ne connaissez pas encore, revoilà un thème ancien mais bien nécessaire à notre époque : les copains d’abord !
A rebours des idées courantes sur l’époque, ou des clichés sur les jeunes, la poésie représente l’axe de création le plus fort de cette chanson alternative. Une poésie sociale qui prend à pleine rimes la vie quotidienne, sur une gamme qui va d’une solide tradition littéraire à la spontanéité popu, sans perdre le sens de l’auto-dérision. L’écriture est esthéte et un brin dandy chez Travis, d’une grâce onirique et pleine d’élan dans les texte d’Anselme, sensuelle et terrienne dans les chansons de Polo, féminine, rêveuse et confiante pour Sabine Drabowitch, une émotion se fait entêtante pour Babx, enfantine caressante et fragile chez Agnès Bihl, pour exploser dans l’innocence des « chansons pas chantées » de Loïc Lantoine. Si Travis Burki revendique aussi la poésie « comme capacité d’adolescence, une espèce de mal de vivre un peu imberbe ». Babx, y voit « cette dimension d’utopie nécessaire, comme en politique… sinon on passe au FN ».
Pourtant, on ne peut s’empêcher de constater que cette jeune scène paraît moins à l’aise dans la chanson politique que dans la chanson de vie quotidienne, les histoires de relations de couple, qui ont remplacé la chanson d’amour. Ceux dont les tours de chants se construisent autour de l’agitation d’idées, héritiers revendiqués de 1968, comme Agnès Bihl ou Nicolas Bacchus, ne se débinent pas. « Mettre en mot les choses politiques devient difficile, reconnaît Bacchus. On ne peut plus chanter, comme à une époque, c’est malheureux le malheur, la guerre c’est mal, ou même taper sur les flics, comme Brassens dans Hécatombe. Certaines personnes n’ont plus de repères et ne font plus la différence entre une chanson et la réalité. On demande au chanteur d’être responsable. Il doit répondre à des exigences contradictoires, ne pas prendre les gens pour des cons et donner les clefs pour qu’il n’y ait pas d’équivoque. » Agnès Bihl préfère parler de ses « chansons de colère, sorte de chansons d’amour vues de l’autre côté, comme Merci papa merci maman, mais, pour les écrire, je pense à des gamins qui n’habitent pas dans mon micromonde, c’est un sentiment qui vient de plus loin ». Mais le pouvoir corrosif de leurs chansons pâtit aussi du verrouillage médiatique. Si l’Enceinte vierge d’Agnès Bihl ou les allégories homo de Bacchus passaient à la télévision aux heures de grande écoute, plutôt que dans une petite salle toute acquise, on imagine le tollé…
Les chanteurs les plus nourris de poésie trouvent dans le quotidien une grande force d’évocation. « Je trouve plus efficace de faire passer un message humain, donc politique, estime Wladimir Anselme, comme dans la chanson de Lantoine, Imagine si Magyd s’en va, et nos rêves, qui les boira ? On a tout regardé mon grand frère sans papiers, on a rêvé tous les mélanges, je n’aurais jamais parié qu’un jour on t’dirait qu’tu déranges. » La poétique Sabine Drabovitch partage ce point de vue : « Quand on regarde les textes de Wladimir ou Travis on sent un souffle de questionnement de la société : qu’est-ce qu’on fait ? Où on va ? Comment on se rallie à quelque chose ? Mais aujourd’hui on n’a pas les cartes en main pour écrire une vraie chanson politique, alors on l’aborde par le quotidien ou par le surréalisme. ». Travis Burki répond ainsi à la question : « Nous avons hérité des choses extrêmement fortes des générations précédentes. Pour cette raison, nous ne pouvons rien faire d’autre qu’être une génération qui parle d’elle-même. Nous sommes des aèdes de transition… » Une génération a repris la chanson pour se construire ses représentations du monde, mais reste consciente qu’elle n’a pas vécu de moments historiques assez forts pour créer ses mythes politiques. À moins qu’à l’image d’un Thomas Pitiot, connu comme le loup blanc tout au long de sa ligne de tramway du 93, elle ne pousse ses idées au bout. Celui-ci, sacré personnage, non content de relier, dans sa musique, l’héritage classique de la chanson et la culture métissée des banlieues, a poussé jusqu’à être élu (PC) son engagement de griot politique. « J’ai besoin de vivre ma démarche d’autoproduction, mes engagements associatifs et politiques pour avoir quelque chose à dire », dit-il. Vivons-nous le temps des troubadours communautaires ?
David Langlois-Mallet
LES SEPT FAMILLES DE LA NOUVELLE CHANSON
1 – Tradition littéraire
Héritière de Charles Trenet, cette famille séduit un public aux exigences littéraires marquées.
Céline Caussimon, Nicolas Jules
2 – Bo-bo
Espèce de nouveau riche qui ne s’assume pas, qui porte une vision nombriliste de la société, la trentaine et tout à l’égo, situation financière au beau fixe planquée par un look de pauvre. Aime être dans le vent.
Bénabar, Vincent Delerm, Thomas Fersen, Carla Bruni
3 – Ados qui se cherchent une identité politique
Pour la plupart, encore entre le Biactol et la voix qui mue, on ne dira pas de mal des jeunes mais on s’interrogera sur la sincérité des groupes et chanteurs qui les racolent.
Mickey 3D, Saez
4 – Rock indé
Portée par une musique rock aux propos contestataires et frontaux, cette scène – dont on peut voir la paternité en la Mano Negra, les Bérurier Noir, Zebda ou Noir Désir – séduit un public plutôt jeune de niveau social moyen qui aime faire passer son engagement par la fête.
La Ruda, Big Mama, les Caméléons
5 – Chanson-rock indé
Similaire à peu de chose près à la scène rock indé, cette catégorie fait toutefois le lien entre chanson de tradition et rock contestataire. Elle touche une tranche d’âges plus large.
Têtes Raides, Ogres de Barback, Léoparleur, La Rue Kétanou, Hurlements de Léo
6 – Branchée Inrocks
Individu souvent prétentieux au dandysme exacerbé, british touch, veste en velours et large mèche sur le front. Situation professionnelle confortable.
Benjamin Biolay, Keren Ann, Cali
7 – Chanson pour adultes consentants
Assurant une relève contemporaine des Brassens, Brel, Ferré, Bruant, Vian, Renaud, Font et Val, la chanson alternative actuelle intéresse un public de tous âges, sans profil type hormis celui d’un goût certain pour la belle Lettre, d’un intérêt revendiqué pour la société, la politique. C’est un public adepte de la chanson active, du spectacle vivant.
Nicolas Bacchus, Agnès Bihl, Les Malpolis, Travis Bürki, Thomas Pitiot
Etabli par le site lartscene.com
PORTRAITS CHANTES
Poétiques, parodiques, vachards ou sentimentaux, les textes revêtent une importance capitale pour ces chanteurs. Le meilleur moyen de faire leur connaissance, c’est encore d’écouter ce qu’ils nous chantent. Morceaux choisis.
Agnès Bihl
« J’avoue c’est vrai, j’t’ai fait du mal, Un mal de chien dans mon jeu de fille, Mais qu’ten profite pour t’faire la malle, J’trouve ça mesquin et trop facile ! () Mais si t’étais moins égoïste, T’oublierais la peine que j’t’ai fait Si j’t’aimais d’amour et douche froide, Au moins j’t’aimais de quoi tu t’plains () C’est pas mon genre d’faire du chantage, Mais si m’jettes, je fais pareil, Même que s’ra du 6ème étage, Y’a pas d’menaces, y’a qu’des conseils ! »
Baaziz « C’est pas l’homme qui prend la merde, c’est la merde qui prend l’homme, moi la merde elle m’a pris je me souviens j’étais p’tit. J’ai troqué ma djellaba, mon burnous un peu zone Contre un petit cabas et un billet pourl’hexagone J’ai déserté les crasses qui me disaient soit prudent, La France c’est dégueulasse les arabes vivent dedans. Dès que le Pen décidera je repartira, Dès que Sarko le voudra nous nous en allerons »
Babx « J’ai le coeur qui larsen, J’ai l’amour qui gangrène, Tout ça parce qu’un Arsen, Lupin de mauvaise souche, Un beau jour en mitaine, M’a ôté l’pain d’la bouche, Moi j’ai l’coeur qui larsen. J’ai le coeur qui larsen, J’ai un jack un peu louche, Qui grésille et qui gueule, Quand j’aperçois ta bouche, Et pour pas réveiller, Les voisins d’à côté, Je mets un peu de laine, Dans mon coeur qui larsen »
Loïc Lantoine
« Les cheveux de ma soeur, capturés par ma main, Fallait pas qu’elle m’embête, là faut qu’on se console, Son sourire sous ses larmes, j’lui dirait que j’l’aime demain, En attendant frangine, nos joies creusent des rigoles. Les dix balles à bonbons piqués à ma maman, A la bourse de l’amour font une fortune d’un rien ».
Nicolas Bacchus
« Non Madame cette nuit là, non ton fils n’a pas dormi, avec les filles, non Madame cette nuit là ton fils à dormi avec moi. Pleure pas, jolie Madame, ton gars choisit sa vie, Vapas en faire un drame, Ton môme, je l’aime aussi, Et pas la peine de me chercher A la gay-pride, dans ta télé, J’passe pas ma vie à m’planquer, J’ai pas b’soin d’un jour pour m’montrer (ni d’une chanson d’ailleurs) ».
Polo « S’il faut que l’on parle des filles, il faut que l’on parle au passé. Moi, j’aurais toujours une pensée pour celles qui m’ont vu passer le long des routes et sur le bord des fossés. Elles chuchotaient sous le vent, elles discutaient du beau temps alignées comme des quilles. Jeune famille de jonquilles et moi j’en faisais des bouquets. J’en pinçait pour la botanique, que voulez-vous je suis un homme, qui aime les fleurs ».
Sabine Drabowitch
« J’ai survolé ta superficie dans mon vélicoptère J’ai mesuré tes zones de folie Supposé tes frontières. Je t’ai surpris bavant des rivières sur des terres de faïence Crachant des catastrophes ordinaires. Engloutissant nos chances Pardonne-moi je suis géographe, Et tu es mon espace vierge Je t’apprends je te veux je t’agrafe Je te projette je te gamberge Mais toi dans tout ça je ne sais toujours »
Thomas Pitiot
« J’parle pas la langue de Molière, j’suis un prolo gentilhomme, Pourtant j’aime les belles rimes, les tirades qui résonnent, Et les mots qui m’animent, les mots qui m’plaisient, J’suis loin de les avoir enregistré à l’académie française, Si ça cornegidouille autant que ça bédave, Vive la rencontre lexicale du ciel et des caves, Y’a des mots épicés, des mots glacés, Dans le mixtionner qui me sert à voyager ».
Ü Travis Burki
« Mon nez toujours droit me précède ainsi qu’un animal de compagnie flairant avec une parfaite acuité la nature des lieux où j’accède comme le tien le sien les leurs sans nez pas de considération d’odeur pas ou très peu ou beaucoup moins de fleurs seraient vendues chaque année phare du visage fardé ou non dans l’alignement de l’axe front menton nu le nez fend l’air et l’horizon courbé busqué il peut être aussi aquilin mouché quand il le faut on peut se le curer à huis clos entre eux les nez s’effleurent en baisers d’esquimaux souvent nombreux renient leur nez ils donnent leurs mains à couper s’embrassent à bouche que veux-tu en dormant sur leurs deux oreilles… »
Wladimir Anselme
« Tu connais mes airs d’y toucher, Tu décryptes à cent bornes mes feulements annonciateurs, quand je te pousse, Quand je te presse dans l’escalier, Que je lance mes sonars pour le manque, Des stimuli féroces, des youyous, des taïaut, Quand il me pousse des gros sabots, Avec mes yeux de chien navrant, Mes warning et mes clignotants, Tu les sens dit, mes mauvaises intentions ? »
ENTRETIENS
« Un divorce entre la qualité et le succès » David Desreumaux est l’un des animateurs du site lartscene.com, la référence en matière de jeune scène. Il analyse les nouvelles tendances de la chanson.
Quel regard portez-vous sur le renouveau de la chanson ?
David Desreumaux : Du côté des artistes comme des publics, les nouvelles technologies entraînent un renouveau de la chanson. Parce que l’on peut fabriquer un album assez facilement et à peu de frais, on touche un phénomène qui côtoie celui des pratiques amateurs. L’offre augmente de jour en jour, même si les cafés-concerts restent peu reconnus et très précarisés. Internet joue aussi un rôle important, parce que les artistes deviennent les animateurs d’un réseau, où se mêlent les solidarités amicales et professionnelles. Cela permet aussi à de nouveaux médias, comme le nôtre, d’exister. Médias et artistes, dans une même autoproclamation de leur activité, se placent en usurpateurs mais trouvent leur légitimité dans leur passion, les compétences acquises et le fait qu’ils sont les seuls ou presque à se pencher sur cette jeune scène. La presse traditionnelle demeure dans un consensus mou vis-à-vis de la culture, portant des louanges systématiques à tous les artistes qui franchissent la barrière de la notoriété et ignorant les autres. Les radios service public en tête accordent une place limitée à la « nouvelle scène » (NS). Les play-lists sont des listes de connivence commerciale qui réduisent les chansons à l’antenne à quelques succès passés en boucle : Delerm, Miossec, Bruni Pour ne rien dire de la télévision, outil de propagande de la musique commerciale qu’elle fabrique. Pour nous comme pour ce public, être un peu plus curieux, c’est aussi une forme de résistance !
Comment définiriez-vous cette nouvelle scène chanson ?
La nouvelle scène est une sorte de label de qualité, mais ce label est parfois galvaudé. De même qu’il existe une chanson commerciale et une chanson liée à un travail artistique, il existe une chanson politiquement passive et une chanson active. On observe, à de rares exceptions près (Thomas Fersen, par exemple), un divorce entre la qualité et le succès. Beaucoup de talents ne sont pas reconnus, mais, aussi, la machine commerciale broie ceux qu’elle a choisis. Nous nous sommes amusés à distinguer sept familles de chanteurs (voir encadré). Une nous paraît particulièrement intéressante, au carrefour de ces exigences artistique et politique, on pourrait la qualifier de « jeune scène alternative ». Celle que le chanteur suisse Sarclo appelle « la chanson pour adultes consentants ». La NS alternative se situe dans un héritage contestataire. Elle puise beaucoup chez les trois grands (Brel, Ferré, Brassens), mais aussi chez Renaud, qui a ouvert la voix de la simplicité populaire contemporaine. Si elle est héritière également de la tradition des chansonniers aujourd’hui quasiment disparus , elle se place dans un discours moins frontal mais est capable d’exposer bien mieux certains aspects de la société que ne le ferait un sociologue.
Qu’est-ce qui fait son intérêt ?
Elle se fait l’écho d’un système de valeurs, celui d’un spectacle vivant qui se déroule en bas de chez soi, dans un bar, dans la rue. Elle initie au plaisir de partager un spectacle et des idées, ensemble autour d’un verre et d’une clope, loin de la télévision. Dans sa forme même d’expression, la scène alternative représente un apport crucial dans une période où tout est centré sur l’ego. Elle contribue à réinjecter un regard et des pratiques sur notre vie en société. Cette chanson doit élargir le mince espace dans lequel on la maintient recluse. On espère qu’elle bénéficiera du mouvement enclenché par d’autres types de chansons, les succès aussi différents que ceux des militants Têtes raides ou du piano-voix de Vincent Delerm. Beaucoup des acteurs de la nouvelle scène, reconnus artistiquement, ne connaissent pas de succès commercial. La pierre d’achoppement est peut-être là. Tant que
le succès commercial restera à de rares exceptions près inversement proportionnel à l’intérêt artistique d’une l’œuvre, on restera sur le Radeau de la méduse.
Propos recueillis par David Langlois-Mallet
« Contre l’économie, pas contre la morale » Roxane Joseph est la créatrice du Festival de chanteurs autoproduits « TaParole » et programmatrice pour la salle des Trois-Frères, à Paris. Pour elle, l’engagement des chanteurs est aujourd’hui dans leur système de production plus que dans leurs textes.
Une chanson « dégagée » a-t-elle succédé à la chanson engagée ?
Roxane Joseph : Il n’y a peut-être plus de chansonniers politiques comme ont pu l’être Font et Val. Mais il y a autre chose. Notre génération se cherche, elle est en pleine création d’une identité. Je pense que l’engagement le plus subversif aujourd’hui est de vivre selon son éthique politique dans son boulot. En ce sens, la chanson est un métier qui cherche à intégrer son éthique au monde : exigence relationnelle, exigence de vie, propositions. La jeune scène de la chanson alternative n’est pas dans une critique frontale, cela ne veut pas dire qu’elle n’est pas engagée. Je pense que la forme d’engagement de Lantoine correspond bien à ce qu’est l’engagement dans le texte aujourd’hui. Il est dans la finesse, dans la délicatesse. « Imagine, si Magyd s’en va » Sans être revancharde, cette chanson est incontestablement engagée.
Comment se définissent ces nouveaux engagements ?
Notre génération n’a tout simplement pas les mêmes repères que les générations de Ferré ou de Renaud. La donne politique a évolué, s’est transformée. On n’a plus de cadres stricts, d’interdits. Il n’y a pas une censure de l’État, de la famille ou morale. Tout cela est éclaté. Aujourd’hui, les interdits, c’est-à-dire ce qui censure ces artistes-là, c’est le commercial, le monde économique. Aussi, la subversion et la lutte sont contre l’économie, pas contre la morale. Dans ce sens, il n’y a pas plus engagé que les Ogres de Barback. Ils n’ont pas de textes pamphlétaires. Mais, avec un fonctionnement autoproduit, autogéré, autofinancé, ils ont monté un système alternatif. Ils ont leurs propres moyens de diffusion, leur chapiteau, ils fabriquent leurs disques et sont dans les meilleures ventes. Ils sont plus forts que des majors. C’est une utopie réalisée.
Propos recueillis par David Langlois-Mallet
Photo de Une : Babx par RockNfool
[…] histoire de voir si un monde nouveau, endormi en politique, pouvait émerger de leurs chants (le dossier "Sur un air de nouveauté", rend compte de cette plongée, lire en cliquant ce …) Il est amusant à lire dix ans après, car… rien n’a changé, si ce n’est que […]