Nicolas Bacchus
La verVe et la joie
16 titres – 61 minutes
Sortie le 31 janvier 2011
Bacchanales Productions
Mosaic Music
Même pas mort ! Bacchus bande encore ! Cinq ans après la parution de l’album A table, Nicolas Bacchus remet les pieds dans le plat de la chanson avec un nouvel album, La verVe et la Joie où l’amusante contrepèterie nous apprend que notre libertin libertaire est toujours amateur de belles plumes…
Nous voilà donc rassurés, Bacchus vieillit bien. Comme le bon vin. Quand d’aucuns se ramollissent au fil du temps, lui nous revient en pleine bourre, la quarantaine aux aguets, la rage subtile à fleur de peau, brandissant son besoin d’amour intarissable, dispensant une générosité démesurée avec l’humilité de celui qui a pris des coups dans la gueule et qui se relève.
Alors, « Il vaut mieux faire une bonne dépression qu’un mauvais disque » lance-t-il simplement pour expliquer ses 5 années d’absence discographique, n’empêche que, fidèle au précédent exercice, La verVe et la Joie arrive comme un album fraternel et non pas communautaire. Pas un album de back room mais un album œcuménique où les copains, les copines, les repères, les fidèles de tous bords et horizons ont répondu présent d’une seule voix. Manu Galure, Giovanni Mirabassi, Lucas Rocher, Hélène Billard, Michel Herblin, Dany Rodriguez, Yoann Ortega, Sylvain Mercier, etc. Il y a du gars, de la fille, de l’homo, de l’hétéro, du jeune et du moins jeune, du parisien, du suisse, du toulousain, de l’italien et « gens… passe » comme on pourrait lire au refrain du titre liminaire de l’album, Les gens de mon pays. ( « A regarder s’affoler les gens… goisse / A regarder s’affoler les gens… pleure / A regarder s’affoler les gens… rage / A regarder s’affoler les gens… meure »). Superbe ouverture d’album – en fanfare et tous cuivres dehors – avec cet hymne au réveil citoyen écrit et composé par l’impeccable Thomas Pitiot déplorant que « Les gens de [son] pays ont peur / Du noir, de la panne d’ascenseur » avant de conclure presque rageusement : « Allons enfants de l’apathie/ Le jour de gloire est reparti ».
Ce 4ème album de Nicolas Bacchus est un concentré d’existence, de son existence avec la nôtre en filigrane, une œuvre qui foisonne et vient faire la synthèse des 10 premières années de carrière de l’animal. Oui, déjà ! Ici, avec La verVe et la Joie, généreux florilège de 16 morceaux choisis, notre troubadour multiplie les registres et nous embarque une heure durant au gré de ses engagements, entre chants de résistance, d’amour, d’humour et de franche rigolade. Mais cela ne fait-il pas qu’un au bout du compte ? Bacchus ne nous la joue-t-il pas tout simplement passeur, souffleur de vers, en amoureux de la poésie populaire qu’il est ? Il chante ses propres mots, ceux de ses collègues contemporains, ceux de Bernard Dimey sur une radieuse adaptation de La Pierrette à Pigalle ou ceux vibrants de Vladimir Vissotski (La fin du bal) avec la même passion, la même profondeur jaillissant de ce bel organe grave dont il est pourvu.
Sur ce disque, d’organe(s) il est souvent question. Si « le cul est la plus vieille histoire de cœur » selon Sarclo, les histoires d’amour chez Bacchus ne manquent pas de sel non plus. Dépassant le stade de la provoc’ stérile, sur certains textes que l’on jugerait faciles et à la rime trop riche de prime abord (Ce que je fais de moi), le libertin semble plutôt s’employer à faire entrer ses pratiques sexuelles dans nos mentalités, à peindre volontairement avec de gros pinceaux que l’on peut être pédé, avoir des fantasmes, des désirs et les avouer publiquement. Que ce n’est pas sale (à peine impudique) et qu’il est beaucoup plus sain de rechercher une sincérité personnelle fût-elle pour certains dogmes à brûler en place publique… ( « Ô vous, les papes fiers, les cénobites / Balayez donc d’abord sous votre croix, / Avant que de trancher, et laissez nos bites / En paix, cela ne vous regarde pas. ») En attendant, notre Pygmalion effeuille ses pages, autant de gitons en son giron jusqu’au jour où pris à son propre jeu, la mère d’un mignon ferait bien de ce Valmont son gendre… « A ces gentilles mamans / Qui veulent un autre fils / Je préfère leurs enfants / Elles, ce serait du vice. » se défendra-t-il. (Ta mère… me veut pour gendre)
Lorsqu’il ne chante pas seul, Bacchus a fait le choix d’être bien accompagné. En duo avec Anne Sylvestre, sur un superbe texte du fidèle Erwan Temple, Bacchus nous gratifie d’une perle avec Cousine, manière de chanson-bilan de combats comparés. Faut-il y voir un passage de témoin, de génération à génération, le constat que les luttes d’hier valent bien celles d’aujourd’hui ? « On invente d’autres manières / Pour passer les années d’hiver / D’autres armes, d’autres chansons / Des trucs pour énerver les cons / Et des remparts à nos folies / Merci » terminent ensemble les deux protagonistes après que chacun ait exposé les faits d’armes de l’autre. On en frissonne.
Côté sourire, sur un texte de Patrick Font (Identité Nationale) posé sur la musique du Métèque de Moustaki, dans un esprit de franche camaraderie, Agnès Bihl, Sarclo, Bacchus et Font nous font vivre 4 minutes de café-théâtre désopilant nous faisant regretter le temps d’un célèbre duo dont l’un des deux acteurs a mal tourné sur une station publique…
On pourrait ainsi s’attarder sur les 16 titres de l’album et dire notre gourmandise pour chacun d’entre eux tant l’exercice est réussi dans les textes comme dans la musique où alternent énergie, respiration et tendresse.
Illustré avec l’élégance qui lui convient par Piérick Rouquette (du groupe Les Malpolis), La verVe et la Joie est l’album le plus abouti de Nicolas Bacchus, le plus généreux. L’album d’un libertin fidèle. Un album hétéroclite (il n’y a que l’album d’hétéro !) qui ne se disperse pas, variant habilement les humeurs, tantôt gaies, tantôt rageuses, parfois plus tristes mais toujours optimistes.
Qu’on se le dise, Bacchus est debout, Bacchus a encore la sève, Bacchus chante le droit à la liberté, toutes les libertés. Marâtres et mères frileuses, cachez vos fils, le Pygma-lion est lâché !