Hervé Lapalud c’est la B.I.B.L.E du Printival

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Le Printival Boby Lapointe : je t’en ai beaucoup parlé ces dernières semaines. C’est un beau  festival avec de superbes concerts. Mais c’est souvent l’animation autour et en dehors des concerts qui donne le supplément d’âme d’un festival. Depuis quatre ans Hervé Lapalud revient chaque année et anime la « B.I.B.L.E » (Brigade d’Intervention Boby Lapointe Ephémère). J’avais envie de savoir comment on passe d’une programmation une fois dans un festival à un « abonnement » avec visite annuelle, envie de le faire parler de son attachement au Printival. Un entretien d’une quinzaine de minutes est planifié. Il a duré au moins cinq fois plus. Hervé Lapalud, « globe-facteur de chansons », est raccord en interview avec la perception reçue à ses concerts : les yeux rieurs, l’envie ou plutôt la  gourmandise du partage et des rencontres, le sens de l’humain. Très curieux, il profite de sa présence les quatre jours pour ne pas rater un concert. La parole facile et le débit rapide, il m’a parlé de ses premiers passages au Printival, de la B.I.B.L.E et aussi de ses nombreux projets individuels et collectifs : passés, actuels et à venir. En fait de sa manière de faire son métier. Les gens passionnés sont souvent passionnants. Ci-dessous quelques extraits de notre entretien.

Photo Michel Gallas
Photo Michel Gallas

Hexagone : Peux tu me dire comment on passe de « je viens pour un concert une année » à « je reviens ensuite tous les ans » au Printival ?  
Hervé Lapalud :  A l’époque j’avais un spectacle en solo depuis 2002. Dans celui-ci, je faisais un clin d’œil appuyé à Boby Lapointe : je chantais Ne me quitte pas sur l’air de Ta Katie t’a quitté et réciproquement. Un soir je joue au Train Théâtre, près de Valence.  Je sors de scène, on me présente Jacky Lapointe, et j’ai une espèce de coup au cœur : je ne savais pas si j’avais le droit de détourner « l’œuvre » sur scène. En fait, Jacky a adoré ce côté collage et iconoclaste, cette idée de prendre une chanson de Boby et d’en faire autre chose. Donc l’année d’après, en 2004, je viens, pour la première fois, au Printival. Jacky m’avait invité pour une soirée hommage « La fête à Boby ». J’ai fait cette chanson et deux des miennes. C’était déjà l’esprit du festival actuel, très familial. Ensuite on « finissait » chez lui. J’étais comme un gosse, tu rentres et tu vois des photos de Boby partout, des manuscrits. Et Jacky avait cet esprit, cette gentillesse, cet amour des artistes que l’on retrouve chez Dany Lapointe – l’actuelle directrice du Printival -.  J’ai de suite ressenti que, dans ce festival, ici on aime la chanson, on aime le spectacle, on aime des gens iconoclastes, un peu « barrés », un peu à la marge. Cet état d’esprit me plait beaucoup.

Hexagone : Ensuite on t’a proposé de venir à nouveau? 
Hervé Lapalud :  En 2007, j’ai été invité, avec mon nouveau spectacle solo, pour faire la première partie de Dick Annegarn. Un grand moment. Mais je n’ai pas profité du festival car je jouais ailleurs le lendemain, j’ai fait mon concert et je suis parti.  En 2011, je suis reprogrammé avec deux spectacles. Le premier le samedi, en préambule du festival, Pas pour une heure en duo avec Jonathan Mathis mon acolyte depuis. Et le mercredi, mon nouveau spectacle : un jeune public . Cette fois on avait du temps et nous sommes restés une semaine. Donc j’ai sorti le song-book de Boby.  On aime bien, avec Jonathan, les fins de soirée, les afters. On a commencé à être là un peu en « ambianceurs ». Et puis j’avais fait une reprise de Sentimental Bourreau, que je joue toujours, un peu Tom Waitsienne, très éloignée de l’original. Et au moment de partir, le dimanche, après une nuit blanche, on fait Sentimental bourreau, en cadeau, à Dany Lapointe. Beau moment d’émotion.

Photo Michel Gallas
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Hexagone : Et c’est comme cela que tu es devenu « l’ambianceur résident » autour de Boby Lapointe ? 
Hervé Lapalud : En fait le festival était très centré sur Boby les premières années. Avec des spectacles de gens qui chantaient Boby, avec des soirées hommages.  Au bout de quelques années le stock s’est un peu épuisé. Cela devenait un festival Boby Lapointe où  Boby disparaissait, c’est dommage. J’ai proposé de créer la B.I.B.L.E (Brigade d’Intervention Boby Lapointe Ephémère) et de venir chanter une chanson de Boby avant chaque concert du soir. Banco. Mais tu dis ça autour d’un café et puis tu te rends compte qu’il faut apprendre les chansons et que c’est un vrai challenge. On l’a fait. En préambule des concerts, on pousse tout le monde dans la salle car on rentre avec l’orgue de barbarie joué par Jonathan, et on chante du Boby au milieu des trois cents spectateurs.

Hexagone : J’étais parmi les spectateurs. C’est vrai que cela a été beaucoup apprécié et amenait un plus … Du coup, depuis, le Printival tous les ans ? 
Hervé Lapalud : On a beaucoup aimé faire cela. Et puis, j’aime la programmation, j’aime les gens qui font le festival, j’aime l’esprit. On s’attache aux gens, au festival. Et … on revient. L’année suivante, j’ai proposé des créations de textes à partir de l’univers de Boby.  J’avais des bouts de textes. Sentimental bourreau est devenu Sentimental bureau. Et j’ai commencé à imaginer une secrétaire nympho-maniaque.  Je me suis piqué au jeu, d’écrire chaque jour un de texte inspiré par Boby, que je venais dire le soir en lever de rideau.  C’est bien d’être dans l’instant. Et le dernier soir, on est venus avec Jonathan, en palmes et en maillot de bain chanter La maman des poissons.

Photo Michel Gallas
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Nota : depuis le début de l’entretien, qui se tient comme il se doit à la terrasse d’un café, nous sommes, gentiment et  plusieurs fois, interrompus par des gens – organisateurs, festivaliers, Piscénois – qui viennent dire bonjour et faire la bise à Hervé.

Hervé Lapalud : (grand sourire) Tu voulais savoir pourquoi je revenais au festival chaque année : voilà, tu as ta réponse. On peut arrêter l’interview !

Hexagone :  Quelles nouveautés pour les interventions de la  « B.I.B.L.E »  l’année dernière  et  lors de ce Printival ? 
Hervé Lapalud :  L’an passé Le Flash Bob, adaptation des Flash Mob, et les visites guidées. Finalement chaque année ils nous embauchent et on ne sait pas ce que l’on va faire. Un mois avant, on y réfléchit. Le premier Flash Boby de l’histoire de l’humanité ! Ca va ça vient avec pour la chorégraphie un tutorat en préalable sur YouTube, et le samedi sur la place Gambetta, devant moi, le public qui danse et chante.

Photo Michel Gallas
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Cette année nous animons le Beau Bal à Boby, ce 16 avril, jour d’anniversaire de sa naissance. Je coordonne une scène ouverte avec un grand nombre de personnes qui viennent chanter du Boby. On va refaire des levers de rideau au milieu du public. Et puis nous reprenons, pour la 3ème année, avec mon complice Jonathan Mathis, La visite guidée musicale. Il s’agit d’une visite atypique, d’une déambulation dans Pézenas, autour des lapid’airs (sculptures inspirées de l’univers de Boby). Une guide de l’office de tourisme évoque la vie de Boby et à chaque statue on fait une chanson.

Hexagone : Et si tu devais résumer tes interventions depuis quatre ans sur le Printival ?
Hervé Lapalud : En fait, je viens pour faire vivre un peu l’esprit Boby. Un festival ce n’est pas juste une suite de spectacles pour lesquels on achète sa place. Ce qui fait le festival, aussi, ce sont tous ces moments là un peu particuliers,  pas vraiment prévus, parfois magiques. On essaie d’amener ce grain de folie.

Hexagone : Ta présence régulière ici c’est une récréation ou cela fait partie de ton métier ?
Hervé Lapalud : Ca en fait partie complètement. Au départ, c’était bien clair : mon métier c’est quand j’écris et que je suis sur scène. Et puis j’ai eu d’autres activités.  J’ai chanté à l’hôpital, je fais des ateliers de chanson à l’école, je viens ici faire des reprises.  Au fur et à mesure les frontières s’effacent entre les différentes activités et deviennent des passerelles. Chanter mes chansons ou celles de Boby à ma manière, devant un  public d’adultes dans un théâtre, un public d’enfants sur une scène, à l’école ou à l’hôpital : je ne vois pas de différence dans le travail effectué et le plaisir est identique.  Si on se pose la question, c’est quoi mon métier ? Je me définis comme « facteur de chanson » et même « globe facteur ».

Photo Michel Gallas
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Cette idée de « globe facteur », d’abattre les frontières ou les cloisons c’est au cœur de ce que je fais, de ma démarche. Quand j’ai démarré, je rentrais du Burkina Fasso, j’avais un groupe de musique métissée. On était trop chanson pour les festivals de musique du monde et trop musique du monde pour les festivals de chanson. Mon premier spectacle solo était trop humour pour les festivals de chanson et trop chanson pour les festivals d’humour. Donc ok, je ne suis pas dans les clous et bien mon identité va être de ne pas être dans les clous. J’ai appelé mon premier album Invendable. Je ne me pose pas la question de savoir si telle activité fait partie de mon métier, je constate que  tout ce que je fais, tout ce que j’ai appris, construit mon identité, mon métier de «  globe facteur » de chansons.

Hexagone : Donc ta présence régulière ici est plus à considérer comme une passerelle entre tes différentes activités ?
Hervé Lapalud : Oui complètement. Au Printival, je suis d’abord venu faire mon spectacle classique et puis, chaque année,  on cherche des choses moins classiques, on invente. Mais finalement cela entraîne un travail d’écriture, cela amène à chanter devant des gens, donc ça reboucle sur l’activité d’origine. Et l’année dernière,  parce qu’il m’avait vu ici en animation au Printival, un organisateur du festival Faîtes de la chanson à Arras – j’avais joué là-bas dans le cadre des  cabarets découvertes – me propose d’organiser une Carte Blanche pour la soirée des dix ans des cabarets découvertes. Donc c’est bien la preuve que c’est une passerelle.

Hexagone : En quoi a consisté cette carte blanche   ?
Hervé Lapalud : Je devais recruter huit artistes passés à ces cabarets découvertes organisé par l’association Di Dou Da. J’ai constitué le casting, mélangeant plusieurs styles avec Eric Frasiak, Davy Kilembé, Marion Rouxin, Gilles Roucaute, Coline Malice, Julie Rousseau et Laurent Berger. Et plutôt que chacun vienne chanter ses deux titres j’ai construit un véritable spectacle collectif que l’on a nommé Les didoudingues. Chacun joue d’un instrument ou de la voix sur le répertoire d’un autre et nous avons ajouté quelques reprises. Une belle aventure humaine là aussi, chacun menant habituellement plutôt une trajectoire individuelle et appréciant cette rencontre collective. Ce spectacle a été un vrai succès. Il est repris cette année dans un autre festival Chansons en fête dans le Jura et quelques dates se profilent pour l’an prochain.

Photo Michel Gallas
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Hexagone : Tu m’en dis un peu plus sur tes autres projets ?
Hervé Lapalud : Et bien comme ce spectacle a bien marché on m’a proposé d’organiser une autre soirée cette année. Le festival Faîtes de la chanson à Arras a l’habitude de clôturer avec un spectacle de chanteurs amateurs sur le répertoire d’un auteur compositeur comme par exemple Anne Sylvestre ou Renaud les années passées. J’ai eu l’idée de faire Lemeslissime autour de l’immense répertoire de Claude Lemesle. On passe, par exemple, du Souffleur chanté par Reggiani à Big Bisous par Carlos et La bête immonde par Michel Fugain. J’ai pris 13 chanteurs et 7 musiciens amateurs.  Ce sera une vraie création,  genre « Lemesle chez Lapalud » avec Jonathan Mathis qui a fait des arrangements pour orgue de barbarie. Tu imagines La fille aux yeux clairs arrangée pour l’orgue de Barbarie ! Je jouerai des morceaux à la sanza, des morceaux à la kora. Finalement sortir des clous ici au Printival – faire autre chose que jouer mon spectacle – a permis Les Didoudingues et désormais Lemeslissime. Du coup, présent à Arras, j’animerai aussi un atelier d’écriture que j’ai appelé « J’écris avec mon pied ». En parlant d’atelier d’écriture,  j’ai participé aussi à un beau projet1, dans un hôpital de cancérologie pour enfants, avec un ami rappeur AS’N. C’est électro, c’est un projet social, des rencontres. Pas forcément dans le créneau de chansons au sens classique. Pour moi c’est une rencontre humaine, un projet qui m’excite : je le fais.

Hexagone : Je voulais terminer sur mon concert préféré, celui de l’an passé à Nogent pour le festival Dimey, qui a eu un gros succès. Or j’ai entendu dire qu’il s’était passé dans des conditions un peu particulières.  Tu me confirmes  ?
Hervé Lapalud : Oui, Jonathan n’a pas pu venir comme prévu et je me suis retrouvé seul comme à mes débuts. Et j’étais un peu inquiet. Mais le job principal d’un artiste c’est d’être dans le présent, d’être « dans la vivance du moment ».  Je me suis dit : Je vais être dans la fragilité mais c’est cela que j’ai envie de faire. Pour la reprise de Dimey, la version de Syracuse à la kora, je l’ai bossée le matin pour le soir – j’avais décidé de faire une chanson que tout le monde connait mais d’une manière que personne n’a jamais entendue.

Photo Michel Gallas
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Pour le texte sur Dimey, j’étais là depuis quelques jours, on m’avait montré le musée Dimey, j’avais vu des manuscrits, je baignais dans Dimey. Je me pique au jeu : j’écris la veille un texte hommage que je déclame debout sur un bidon en scène « Bonnes gens de Nogent je viens payer ma dime à Dimey ». En fait, si je réfléchis à mon métier, je me dis : c’est créer du lien, ne pas avoir de frontières et être dans l’instant présent. C’est ce que j’ai fait à Nogent, ce que je fais ici à Pézenas.

Hexagone : Un dernier mot peut être sur les reprises que tu fais. De plus en plus et toujours personnelles …
Hervé Lapalud : Oui, j’aime bien prendre une chanson et l’amener ailleurs. Une chanson c’est un organisme vivant donc on peut le faire vivre. Bousculer une mélodie, modifier un mot par rapport à un contexte, lui donner un autre éclairage. Dans les reprises je garde l’essence et je l’amène vers ce qui me touche là-dedans. Je fais une version d’une de mes chansons préférées de Brassens La non demande en mariage, à la kora, version à la fois très fidèle et très éloignée, avec un autre tempo et une autre instrumentation. Pareil pour les chansons de Boby. Par exemple La fille du pêcheur pour moi une des plus belles. Comme souvent chez lui c’est la farce, le côté nez rouge qui sont mis en avant – c’était un grand  pudique -. Alors que si tu ralentis un peu le rythme, que tu fais entendre ce qu’il y a derrière c’est tellement «  beau de tendresse ».


Hervé m’a parlé aussi de son spectacle pour enfants et son album  En enfancie, de ses voyages à Madagascar, de Lior Shoov qui l’a impressionné en tant qu’artiste qui vit intensément l’instant présent, de ses concerts à domicile, du concert de Ben Mazué la vieille et d’autres choses encore. Il m’a chanté ou déclamé ses textes autour de Boby et quelques couplets de ses reprises. Je suis allé le lendemain le voir dans la visite guidée : un vrai plaisir. 10 chansons, quasiment un concert. Le Boby que tout le monde – ou presque – connait et puis sa re-création Ne me quitte pas façon Bobby Lapointe, sa création « Mr Lapointe habite 12 rue du marteau », deux morceaux à la kora, un bel accompagnement de Jonathan à l’accordéon. Mais le mieux c’est que tu ailles le voir en concert ou … que tu viennes au Printival l’an prochain. Et n’hésite pas à le découvrir à travers son site très riche, original et intéressant.


Hervé Lapalud « B.I.B.L.E » du Printival du 15 au 18 avril.
Nota : pour les photos accompagnant l’entretien, la majorité ont été prises lors de la visite guidée du 17 avril, une lors du  Bal à Boby du 16 avril et une lors d’un lever de rideau de concert le 18 avril


1- Hervé prend dans sa pochette un album Music’Toi qu’il me donne.  L’IHOP (Institut d’Hématologie et d’Oncologie Pédiatrique de Lyon) est à l’initiative du projet qui a fait travailler AS’N le rappeur et Hervé, avec des adolescents hospitalisés, pendant une année de rencontres-ateliers réguliers.  A l’écoute, ces adolescents ont mis des mots sur leur vie, leur maladie, leur vie à l’hôpital et ils les chantent avec des mélodies très urbaines souvent dans un parlé chanté rap. Touchant et vivifiant. Sur les titres Hervé est crédité pour : guitare, harmonica, kora, sanza.

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