Dimoné, l’accent circonflexe

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Dimoné, l’accent circonflexe

Photo Flavie Girbal

Dimoné, t’es qui ? T’es qui Dimoné ? Supernova à l’accent circonflexe débarquée dans un paysage de la chanson qui supporte mal l’hybride, Dominique Terrieu occupe une place à part dans la galaxie de la rime.

Dimoné, avant d’être l’anagramme de Dominique, c’est le nom du démon, en Catalan, d’où il tire ses origines dans la région de Perpignan.

A huit ans, en 1974, il débarque à la tour Assas à Montpellier, à La Paillade plus précisément à un moment où le club de foot local commence à faire parler de lui sous l’impulsion de son président Louis Nicolin, « un alchimiste, qui transforme les ordures en gloire » comme le souligne Dimoné.

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A l’âge de faire des études, en 1982, Dimoné part à Toulouse pour suivre une filière d’hôtellerie d’où il se fera remercier avant la fin du parcours. A cette même époque, la contre-culture et le rock apparaissent dans sa vie et rien ne sera plus comme avant…

U2, Big Country, The Smiths, The Clash et surtout Madness déboulent dans l’univers de l’adolescent Dimoné qui consomme cette semence anglo-saxonne goulument. Le passage à l’acte musical, en tant que pratiquant, se fera un peu plus tard, en 1986, dans l’élan du soulèvement étudiant face aux lois Devaquet et autres Pandraud et Pasqua. « L’idée de pratiquer dans un groupe est venue parce que j’ai trébuché sur les groupes punk en 86, dans l’émergence du rock-alternatif » souligne-t-il comme une évidence.

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De cette période, jusqu’à la fin 88-89, Dimoné officie comme bassiste dans un groupe de punk répondant au doux nom de Sulfateurs Espagnols. Une période durant laquelle Dimoné considère faire « ses classes », en découvrant les groupes fondateurs comme les Stooges, les Love, les Fleshtones, le Velvet. Des classes loin du mainstream et résolument dans l’alternatif tout en précisant : « On écoutait que des groupes qui n’étaient pas à la mode, une culture qui venait de New-York, de Londres. Une culture où la drogue n’était pas là pour fuir des soucis mais pour vivre dans un autre monde, ce n’était pas une drogue triste » .

Vient ensuite la période des groupes où il passe à la six cordes, des groupes où l’influence des Specials, Joe Jackson et d’OTH est palpable. Des groupes également où la langue retenue est l’anglais, comme avec Les Faunes dont le nom vient de l’admiration de Dimoné pour Nijinski.

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Suite au départ de son frère du groupe, Dominique va devenir Dimoné. « Les groupes, c’était l’idée de se réchauffer en famille » avoue-t-il avant de poursuivre « qu’avec 4 carences, on avait essayé de faire quelque chose d’intéressant. » Une saison de tourments, d’inquiétudes habite un Dimoné face à lui-même. C’est l’heure choisie pour s’affranchir de l’expérience du groupe et passer au français dans le texte, tout en conservant la fièvre du rock et l’informulé de l’anglais. « Tous les groupes que j’écoutais écrivaient dans leur langue maternelle. Il était naturel que j’en fasse autant », constate-t-il.

S’ensuit une période durant laquelle Dimoné va conjuguer son passage à la musique en solo et la construction familiale, car comme il l’explique humblement, « je venais d’une famille middle-class, il fallait naturellement que je fonde une famille et que j’aie des enfants. Il fallait que je me construise le droit de monter sur une scène. » Il chemine ainsi quelque temps, menant en parallèle une activité dans le milieu du spectacle, mais en tant que technicien.

Photo Flavie Girbal

Le premier album de Dimoné, Effets pervers, parait en 1999. La perversion, ici, repose sur le fait de transformer les éléments négatifs vécus à la fin de l’existence du groupe en éléments de perversion. « C’est un onguent, un moindre mal nécessaire pour subsister à la vie, à l’écriture. C’est une sorte de pardon permanent, un soin palliatif pour cheminer vers un album supplémentaire cinq ans plus tard. » explique Dimoné. L’album et ses chansons sont ici un exutoire pour « changer le résiduel pégueux en lumière. »

Cinq ans plus tard, en 2004, c’est Je n’ai pas sommeil qui paraît dans la continuité philosophique du premier mais en plus étoffé. Jean-Christophe Sirven, essentielle pièce tentaculaire de l’échiquier, déjà présent sur le premier opus est également de la partie pour signer les arrangements. Le style Dimoné commence à s’affirmer, sa langue allégorique s’impose dans un univers musical qui va s’abreuver chez le Bashung de Fantaisie Militaire et Chatterton ou chez Daniel Darc. Artistes qui – avant Dimoné – ont rencontré la problématique de franciser l’anglais, de le faire sonner.

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« Je suis un oisif, il faut que je glane un peu. Je consulte ma solitude dans la chanson » explique Dimoné pour justifier le fait que chez lui les albums ne sont pas l’objet d’un désir conceptuel mais arrivent quand les chansons existent. Cinq ans de battement entre chaque, cela semble être la maille de son oisiveté. Ainsi, en 2009, débarque Madame Blanche. Cet album marque quelque chose de frémissant, un changement dans le parcours du Montpelliérain. Dimoné évoque une mutation suite à un voyage en Mauritanie qui l’a bouleversé. La presse réserve un très bon accueil à Madame Blanche, le titre Les narcisses a des parfums de tube et l’on voit alors Dimoné qui « voudrait vivre de la chanson plutôt que d’en rêver. » Il part défendre cet album avec Jean-Christophe, impressionnant multi-instrumentiste, à deux sur scène. « On va ramasser les chansons, on va les racler près de l’os » se rappelle Dimoné pour expliquer le choix de cette formation réduite imposée par la réalité économique d’un tel projet.

Photo Flavie Girbal

Sur scène, le timide Dominique entre dans la peau du Dimoné. « C’est un endroit hostile la scène, je ne me sens pas accueilli, » explique-t-il pour justifier le combat permanent qu’il mène contre lui-même, contre l’instant. « Quand tu aimes les profiteroles, le chocolat chaud sur la vanille froide, tu sais que t’es au milieu… Tu es ni l’un ni l’autre. C’est cet endroit-là » allégorise-t-il.

En 2014, Dimoné vient frapper un grand coup avec Bien hommé mal femmé. « Par ce barbarisme, cette figure de style » justifie-t-il à propos du titre avant de conclure que « c’était l’idée de questionner l’idée du genre. Je pense que si je me suis mis la moustache, c’est pour une femme. C’est une femme qui me fait homme. Moi tout seul je ne suis rien. »  Et ce questionnement sur la théorie du genre, cette mise à plat des relations, parcourent ce disque tout du long. Réalisé à nouveau par Jean-Christophe et mixé par Jean Lamoot, le disque renferme onze titres pour autant de tubes en puissance, de L’Homme libre à Venise, en passant par Chutt chutt shut up et Encore une année.

Photo Flavie Girbal

De ce choix de dire l’informulé, Dimoné accouche d’une poésie basée sur l’impression et le vaporeux. A base de correspondances, de collages, comme un Man Ray de la chanson. La narration n’a pas le droit de cité dans son œuvre mais son contraire dans la production « d’imageries, d’évocations de cheminements, de sensations de rêves ».

Dimoné n’est pas un tiède, il est méridional. Il souffle sur les textes de celui qui « converse beaucoup avec [son] existence » et qui a « connu le caniveau avant les constellations » un vent brûlant qui n’a cure de s’introduire dans « les buissons serrés », dans des contrées inexplorées ou interdites. Comme les abeilles, Dimoné butine, il récolte, il pollinise. D’aucuns diraient que de ses observations il fait son miel. De ses regards obliques, de ses fantasmes lumineux il en tire quelques beautés sulfureuses. Mais fort heureusement, comme la littérature, la poésie ne s’écrit pas sur de bons sentiments.

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