Alexis HK : Le conte est bon

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1984

LE CONTE EST BON !

Abandonnant son job de conseiller de clientèle, Alexis HK se lance à la poursuite de son rêve d’enfant : devenir chanteur. Dès son premier album, il a séduit les amateurs de chansons traditionnelles comme les partisans d’un renouveau musical. Le tout servi par des textes subtils où imaginaire et réalité règlent leurs contes.

Itinéraire hybride
Originaire des Yvelines, issu de la classe moyenne comme on dit (mère assistante de direction trotskiste, père cadre commercial neutre), Alexis connaît une scolarité convenable en dépit d’une propension à la paresse et à la rêverie qui lui vaudront quelques exclusions d’établissements. Des exclusions qui feront le larron puisque celles-ci permettent à Alexis de monter à Paris et d’y décrocher – contre toutes attentes – son Bac B au Lycée Saint-Louis. Contre toutes attentes car peu attiré par les études Alexis se passionne davantage pour l’écriture que pour les exercices de robinets qui fuient.

Photo Frank Loriou
Photo Frank Loriou

Cependant, Bac en poche, il s’inscrit en fac de philo à Nanterre. En parallèle, il participe aux scènes ouvertes du Théâtre de Trévise qui lui offrent l’occasion de confronter son répertoire naissant à son premier public.

En 1997, sur les bancs de la fac ou de la cafét’, Alexis fait une rencontre qui s’avèrera déterminante. Il se lie d’amitié avec Olaf Hund, également passionné de musiques. Ce dernier, plutôt enclin aux arrangements et à la technique, propose à Alexis d’enregistrer sa première maquette. Antihéros notoire, sera tiré à 500 exemplaires et vendu à la sortie des concerts, mais jamais commercialisé.

Sa licence de philo obtenue, Alexis HK renonce à poursuivre des études dont il envisage mal les perspectives. Sans perdre de vue ses activités musicales, il décide d’entrer dans la vie active et trouve un emploi de conseiller de clientèle chez un diffuseur par satellite. S’il ne fait pas de la chanson une priorité, il se donne cependant en concert solo 2 fois par semaine dans un théâtre du XIIème arrondissement. Exercice périlleux du « one man show » qui lui enseigne les rouages de la scène et met son sens de la répartie à l’épreuve.

Après avoir rencontré les musiciens qui vont former sa plate-forme musicale, Alexis profite de ses 3 semaines de congés payés pour enregistrer avec Olaf Hund (qui entre temps a créé son label électro Musiques Hybrides) les chansons qui figureront sur son premier album. Belle ville sort à la rentrée 2002. En janvier 2003, Alexis HK est signé chez Labels qui réédite l’album le mois suivant. Entre temps Alexis a mis un terme à son activité de conseiller de clientèle pour réaliser un rêve d’enfant.

Un héritier artificier
Alexis HK serait un héritier de la chanson française de tradition. Si l’affirmation n’est pas erronée, elle est néanmoins restrictive. Depuis quelque temps déjà, il nous est offert de vivre une période de renouveau salvateur dans le courant de la chanson d’expression. L’arrivée de jeunes artistes tels que Bénabar, Vincent Delerm, Sanseverino, Cali et bien d’autres ouvre des brèches dans un paysage qui n’avait jusqu’ici comme alternative que d’un côté une chanson de patrimoine jugée parfois trop élitiste (donc inaccessible), de l’autre une variété de masse « popstaracadémisée » labellisée TF1 ou M6 et nivelée par le bas. Cette nouvelle scène – comme on l’appelle – a digéré les maîtres, a su tirer profit de leurs enseignements pour produire aujourd’hui une chanson digne de cet héritage mais une chanson moderne, de son époque.

Photo Frank Loriou
Photo Frank Loriou

S’il endosse le legs de ses aînés en apparaissant en costard cravate sur scène, en posant de façon très kitsch sur la pochette de Belle ville, en disant d’une belle voix de crooner des textes au lexique estampillé « chanson de qualité », Alexis HK incarne cependant parfaitement cette génération d’artistes de la nouvelle scène. Formés par la scène. Très tôt marqué par le talent de Jacques Brel, par l’humour et la finesse de Georges Brassens, il s’inscrit donc avec Belle ville dans le registre de la chanson pur jus certes, mais en chahute les codes. L’album n’a de conformiste que l’apparence. Il glisse quelques intercalaires sonores entre les chansons, d’étranges virgules de musique électronique. A ce niveau, l’implication d’Olaf Hund est primordiale tant elle permet de confronter 2 univers différents tout en conservant la sobriété des compositions oscillant entre java, swing acoustique et jingles de Cartoons.  « Il valait mieux avoir des idées, brouiller les pistes par rapport au côté chanson à textes » explique Alexis avant de conclure qu’il  « voulait décaler le propos, montrer qu’on n’est plus en 1950 » Pour un galop d’essai, c’est une entière réussite.

Des contes bien réglés
« Décaler le propos », c’est bien là le credo d’Alexis HK. Depuis son adolescence, il ne cesse de jouer sur la langue, de raconter, de décrire, de s’exercer au délicat exercice de la ritournelle et de la concision qu’elle réclame.

Les textes d’Alexis forment la colonne vertébrale de son œuvre. Leur ligne directrice : la simplicité. Une simplicité qui s’apparente plutôt à de l’horlogerie fine chez cet auteur qui s’affaire à mêler avec minutie tendresse, amertume et cruauté dans des personnages aux destinées ambiguës. C’est cette progression, cette gradation dans le comportement que l’on observe notamment chez le truculent Bambin. Entouré de mamies trop prévenantes depuis sa tendre enfance, le bambin en question semble « aller bien » à l’heure de ses jeunes années. Mais l’attention exagérée des protectrices s’apparente pour le jeune homme en une forme de séquestration au fil des années, au point qu’ « il a l’air moins content l’enfant, l’a l’air d’aller moins Bambin ». Le dénouement s’avère tragique. En un retournement de situation, les vieilles dames qui naguère « attendaient » la venue de l’enfant deviennent à leur tour sujets de l’impatience du Bambin. Mais les raisons de son attente sont autrement morbides…  « Il suit les mémés dans les couloirs des trains. / Il fait des effets de bouche et leur demande si elles vont bien. / Et dessous la cagoule en laine, le passe-montagne / qui cachent son visage ainsi que ses états d’âme, / l’a plus trop l’air d’un enfant, il a bien grandi bambin / mais savent-elles à présent qu’il les attend ? »

Photo Frank Loriou
Photo Frank Loriou

On aperçoit ici un théâtre au sein duquel s’articulent des personnages créés de toutes pièces, projetés dans un décor et qui en un tournemain basculent dans une autre réalité. Un des atouts de l’écriture d’Alexis HK repose sur le fait que ses personnages aussi dérisoires, farfelus ou saugrenus soient-ils demeurent attendrissants au travers même de ce qu’ils portent de pire en eux.

Tout un petit monde à la Carot et Jeunet s’échappe de l’univers pittoresque mais tendre d’Alexis HK. Il y a ici Mitch, un catcheur rêvant de devenir poète. Il y a là le destin cruel de Gaspard le nain volant. Il y a Satan qui attend dans un restaurant moules-frites, attablé. Ici encore, il y a le triste sort d’un cycliste de mauvaise fortune. Et puis, il y a la fameuse déclaration d’amour – en voie de devenir un tube – de C’que t’es belle, humour vachard au plus que second degré :  « C’que t’es belle quand j’ai bu, / je regrette de n’avoir pas fait d’autres abus / tellement t’es belle quand j’bois. »

L’univers onirique voire fantastique d’Alexis HK renvoie tantôt aux Histoires extraordinaires d’Edgar Poe, tantôt aux Contes cruels de Villiers de l’Isle Adam. Les textes suffisamment satiriques, lucides participent à démontrer et dénoncer par la raillerie l’absurdité du monde moderne matérialiste. L’ironie, l’humour sont autant d’armes qui allègent la destinée souvent fatale des « antihéros notoires » mis en scène par Alexis. Pour eux, une autre vie est ailleurs. Une vie entre imaginaire et réalité. Un destin qui se joue toujours sur le fil du surnaturel tel le credo des contes cruels.

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