Vendredi 16 janvier 2015, mes pas me menaient au forum Léo Ferré pour voir Frédéric Bobin qui passait en co-plateau avec Jérémie Bossone. On reparlera de ce Bossone-là qui nous a emballés mais restons pour l’heure sur notre objectif Bobin. Pas franchement remis de nos blessures de la semaine précédente, je traînais donc mes stigmates du côté de la Porte d’Ivry pour voir ce sémillant lyonnais qui se fait bien trop discret dans la capitale.
Ça fait un temps que j’ai un œil sur ses zigues au Bobin et je m’en serais voulu de le rater à nouveau. Celui-là, cher dévoreur d’hexagonales colonnes, je te donne en mille qu’on le retrouvera bientôt panthéonisé chez nous sous forme d’un illustre dossier. On te tiendra informé parce qu’on n’est pas avares en infos dans notre bicoque à chansons.
Fred Bobin, donc, nous vient de loin nous vient de Lyon. Je dis Fred parce que le type est tellement sympa que t’as envie de l’appeler Fred. Jusqu’à présent, on n’a pas suffisamment souligné ici la qualité de cette scène lyonnaise : Buridane, Karimouche, Laurent Berger, Hervé Lapalud, Reno Bistan et encore bien d’autres forment un vivier de première tenue. Mieux que ça, une sorte de, sinon de famille, compagnie fraternelle.
Fred Bobin, c’est un peu l’élégance discrète qui serait maquée avec un raffinement naturel. Autant dire quelque chose de suffisamment rare pour s’y pencher d’un peu plus près. Vendredi soir, le public s’est retrouvé rapidement dans le ton de la soirée et plongé dans le même temps dans l’univers et les origines de Fred Bobin. Pour ouvrir la soirée et déclencher les pacifiques hostilités, c’est un duo de bo-bo, comme l’a présenté Gilles Tcherniak, qui nous a été proposé. Bossone / Bobin ensemble pour un Blowin’ in the wind, enregistré il y a plus de 50 ans sur l’album The Freewheelin’ Bob Dylan. Une oeuvre maitresse du gars du Minnesota. Et c’est bien vu. Ça vient calmer nos plaies d’entendre cet appel à la paix et ça ouvre la voie au concert. Tout le reste du set peut être regardé par le prisme dylanien.
Fred Bobin n’écrit pas ses textes. Ou plutôt, il les écrit avec les mots de son frère Philippe. Un travail à deux en somme, depuis l’origine des temps. Prisme dylanien je disais et j’y reviens. Ils sont peu nos troubadours hexagonaux à tenter et réussir la folk-song entreprise dans la langue de Molière sans trahir l’esprit de Dylan. On ne répètera jamais assez, cher Lecteur, que faire sonner le Littré dans la langue de Bob, c’est un défi des plus casse-gueule où plus d’un s’y est brisé les incisives. Les frères Bobin, non seulement parviennent à émouvoir les fantômes de Greenwich Village mais c’est dans la poétique même qu’ils se démarquent et transforment l’essai, comme sur La Pyramide où les références historiques et aux textes sacrés renvoient à la singularité de Dylan. (« Une fois que les derniers seront devenus premiers »).
Bien sûr, on retrouve le fil rouge, le trait d’union des folk-singers d’outre-atlantique dans l’art et la propension à diagnostiquer la société des laissés pour compte. Bien sûr, ce sont eux qui habitent ces chansons, les brisés sur l’autel du libéralisme comme sur Singapour, devenue non pas un tube mais un symbole des années post 2000. Fermées les usines, délocalisées au nom du seul profit. « Mes ancêtres ont connu la trique et puis la guerre / Moi c’est à coups de statistiques que l’on m’enterre / Il va falloir doubler mes doses de Kronenbourg / Y a mon usine qu’a foutu l’camp à Singapour, à Singapour. »
Une des forces des chansons de Fred Bobin, c’est de partir du particulier pour aller vers l’universel. Dans une galerie de portraits précis, dessinés en quelques mots pour autant de destins individuels qui viennent s’inscrire dans l’Histoire collective. Le cas de Joe de Georgie en fournit un exemple significatif : « Il n’y a plus de travail dans ton champ de coton / On te fait GI que tu l’veuilles ou non / On te sort de ton trou quand le drapeau rugit / Ou bien tu mendies ou tu mets les bouts / Plages de Normandie loin de Malibu / On te prend par la main quand sonne le jour J / Joe de Georgie. » On pourrait citer dans des registres différents Tatiana sur le périph’ ou La vieille ouvrière qui s’inscrivent dans cette même démarche d’universalité puisée dans l’intime.
Accompagné à la contrebasse par Mikael Cointepas, Frédéric Bobin s’accompagne à la guitare. Parfois à la folk électro-acoustique Taylor, souvent à la demi-caisse Gretsch. Fred compose les musiques de ses chansons, à partir des textes de Philippe. Ici aussi il faut s’arrêter deux secondes pour décrire le style musical Bobin. A nouveau, on est campé sur une solide base folk-blues qui s’est nourrie à la mamelle de Zimmerman. Mais Fred Bobin ne fait pas de la récitation. Il s’invente, sinon un style, des sonorités qui lui sont propres et que l’on reconnaît entre mille. Il n’assomme pas de bruit et d’accords grattés à l’envi mais plutôt distille des phrases, des notes, subtilement. Ce garçon-là parle avec sa guitare. Le jeu est fluide mais puissant et tout à la fois souligne, habille et donne à entendre les textes avec raffinement.
Le concert s’achève après une quinzaine de morceaux porteurs d’une franche et généreuse humanité. Le public est conquis et l’on se dit qu’on est bien là en présence d’un artiste qui compte, qui va continuer à compter et qui a encore de belles pages à offrir à la chanson. On sera là.
Les photos sont cliquables pour être agrandies et être plus jolies.
Pour la vidéo, passe la qualité en HD, c’est pareil, ce sera bien mieux.