BARJAC M’EN CHANTE
Mardi 30 juillet 2019
Christian Camerlynck nous donnait rendez-vous l’après-midi, en compagnie de Nathalie Fortin au piano, pour dire et chanter essentiellement Gilles Vigneault. Il en ressort un moment de douceur, une pause dans un monde qui n’en finit pas d’aller vite, trop vite, trop mal. Les mots de Vigneault sont ceux de la sagesse, de l’appel à la raison. Ce sont les mots, bien souvent avant-gardistes pour ne pas dire prophétiques, d’un écologiste avant l’heure. Un homme, natif de Natashquan, qui de longue date a mal à la Terre et aux hommes. Dans la bouche de Christian Camerlynck, autre humaniste chantant, Vigneault nous parvient comme un courant d’air frais et vivifiant. Et quelle belle idée de la part de Christian, partageux entre tous, d’inviter le temps d’une chanson chacun Michel Bühler (autre « vigneaultphile ») et Gilbert Laffaille.
Zoé Simpson et Pierre-Paul Danzin se partagent l’après-midi sous le chapiteau et nous nous retrouvons le soir, dans la cour du château pour deux spectacles de très haut vol, de très haute tenue. L’ouverture de la soirée revient à David Sire et Cerf Badin pour ce spectacle d’arts mêlés que nous avons adoré et vu déjà à plusieurs reprises (voir portrait de David Sire, Hexagone n°3 – Printemps 2017). Avec, c’est le nom du spectacle, conjugue chanson, bidulosophie, danse, cirque, transe et philosophie. La philosophie dans le sens où elle demande à s’étonner de tout. Tout s’enchevêtre et se télescope dans ce spectacle qui tire l’humain vers le haut, invite à faire « avec » plutôt que sans, avec ce qu’on a ou ce qu’on est. Hymne à la générosité d’urgence, il se dégage une poésie folle de ces tableaux hauts en couleur d’où surgissent des pompes à vélo, des ballons, des personnages désarmants entre réel et imaginaire, un chanteur lunaire échevelé et un guitariste clown blanc des plus talentueux. Fatracadabrantesque et jubilatoire. Public debout.
Pour achever la soirée, Thomas Fersen arrive en chemise de nuit, bonnet de nuit sur le crâne et bougie à la main. Il lance alors un « Et si on allait se coucher ? », et paradoxalement entame son tour de chant. Un tour de chant fort théâtral et on ne s’en plaindra pas. Présente-t-on encore celui qui en vingt-cinq ans a construit une œuvre essentielle en matière de chanson ? Essentielle dans le sens où elle n’a pas sa pareille, cheminant entre littérature et poésie dans le sillon du plus parfait esprit français qui n’aurait déplu ni à La Fontaine ni à Rabelais. Mes amitiés à votre mère, le spectacle présenté à Barjac, ne nous apprend pas autre chose de ce surdoué qu’est Fersen. Alternant monologues en vers parlés et monologues chantés, seul en scène derrière un Steinway demi-queue, Fersen exécute nombre de ses standards ainsi que les nouveaux morceaux de l’album à paraître à la rentrée, C’est tout ce qu’il me reste, dans lequel la gauloiserie est présente à chaque instant. Avec toujours la forme et l’esprit fin qu’on lui connaît. Doté d’un métier remarquable et d’une justesse impressionnante dans la diction, sur scène Fersen fait mouche à chaque fois, qu’il soit dans un rôle de comédien, de poète ou de musicien. Chaque geste, chaque mot produit est juste, sans artifice. Indéniablement, Fersen est un des tout grands de la chanson.
A suivre…
David Desreumaux
Reportage paru dans le numéro 13 de la revue Hexagone.
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