Lily Luca : Chansons à rebrousse-poil

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Photo David Desreumaux

J’avais vu Lily Luca en juillet au Café chantant du festival de Montcuq où en trente minutes elle avait conquis spectateurs et professionnels. Fin octobre, elle est venue jouer à Toulouse, du mardi au samedi, s’accompagnant à la guitare pour les apéros-spectacles du Grand-Rond pour la seconde fois (son premier passage datant de 2014). Le spectacle solo présenté, construit et rythmé, reprend deux chansons du premier album dont la marquante Future 2000 et quatre titres du second : la chanson de scène Le charme impénétrable des artistes perturbés – où elle va s’asseoir sur un spectateur -, la très originale La petite goutte chanson consacrée au… sperme, la superbe T’es où ?, et en rappel La stratégie du foulard en coton surprenante chanson d’amour à la fin inattendue. Cela laisse une grande place, en fait plus de la moitié, pour la découverte de nouveaux titres non encore enregistrés. Ceux-ci semblent s’inscrire dans une certaine continuité : angle de vue original de traitement d’un sujet, volonté de surprendre et sens de la chute. A l’aise sur scène, Lily surprend aussi, entre les chansons et parfois pendant, par sa grande facilité à jouer avec les événements et le public (une personne qui essaie de rentrer par le mauvais endroit, un spectateur qui boit, une porte qui s’ouvre...). En bref, un concert que je te recommande.  J’ai profité de son passage toulousain pour la rencontrer et lui faire évoquer ses concerts du Grand Rond et sa semaine, ses autres activités artistiques et ses projets 2019.


Hexagone : Cette semaine, tu joues cinq jours d’affilée, dans le même lieu. Que peux-tu nous en dire ?  

© Chantal Bou-Hanna

Lily Luca : C’est très intéressant pour au moins deux aspects. D’abord pour tester et faire vivre les nouveaux titres, en public et sur la durée.  Ensuite pour se faire connaître du public et éventuellement des programmateurs de la région. Et donc il ne faut pas non plus être trop en rodage, il faut présenter un concert qui tient bien la route.

Hexagone : Quelles sont tes impressions après trois jours ? 

Lily : C’est très positif. Il y a du monde chaque jour et cela se passe très bien. Les nouvelles chansons commencent à bien exister, je les sens frétiller. J’aime beaucoup être ici au théâtre du Grand Rond : on voit l’équipe du théâtre toute la journée. On passe une semaine tous ensembles, un peu en famille, c’est chouette.

Hexagone : Ton nouveau répertoire contient une chanson, qui à chacune de mes trois écoutes, a déclenché les même réactions du public : de la surprise et des sourires au début, un rire franc ensuite, et à la fin une forte gêne nécessitant un temps avant d’applaudir. C’est original et fort. 

Lily : N’écris pas le titre de la chanson ! Sinon, tu vas la déflorer. Les gens sauront qu’il va se passer quelque chose, cela enlève l’intérêt de la chute. Dans toute ma démarche artistique, il y a l’envie de surprendre, de « cueillir les gens au tournant », de ne pas faire ce qui est attendu. J’ai envie de titiller, d’aller vers le grinçant. Peut-être que « Chansons à rebrousse-poil » pourrait bien décrire ce que je fais.

Hexagone : Par deux fois, tu enchaînes la chanson suivante sans laisser de temps aux applaudissements. Pourquoi ?  

Lily : Cela permet de casser un peu la routine  « chanson – applaudissements. » Parfois, on a envie de silence à la fin d’une chanson, et les applaudissements peuvent «briser le charme»…  Les applaudissements font une respiration mais parfois c’est aussi une respiration de ne pas applaudir.

© Chantal Bou-Hanna

Hexagone : Lors de cette semaine toulousaine, on a pu aussi te voir deux fois à la Cave Poésie : pour la scène ouverte de la Pleine Lune et pour Chansons à la cheminée. Tu nous en dis quelques mots ?

Lily : C’est vrai, j’ai eu de la chance que ces deux événements tombent sur cette semaine-là ! Ces deux-trois chansons jouées dans des soirées collectives ont éveillé la curiosité et m’ont ramené du public au Grand Rond, ça fait plaisir ! Chansons à la cheminée, c’est une jolie soirée en acoustique où Simon Chouf invite quelques artistes. On en a profité pour partager des reprises choisies sur le pouce comme du Ferré avec Ronan que je venais de rencontrer ou Petit Bonhomme d’Anne Sylvestre que Lise et moi avions déjà chantée ensemble.

Ce qui m’a marqué cette semaine à Toulouse, c’est le nombre de gens curieux qui viennent, tant au Grand-Rond qu’à la Cave Poésie, sans savoir ce qu’ils vont voir. Un public de tout âge qui prend une heure de son temps pour venir écouter des inconnus. Cette envie de découvrir est vraiment très… saluable.

Hexagone : Je voudrais évoquer tes autres activités artistiques. On commence par ta tournée 2018 en co-plateau ?

Lily : On a monté avec Reno Bistan une tournée avec une dizaine de dates dans le Sud-Est et trois soirées au Forum Léo Ferré à Ivry.  Le spectacle est un co-plateau « amélioré » qui contient des moments où chacun joue ses chansons et des moments aménagés en duo où nous mêlons no nos chansons. Comme on a beaucoup de points en commun dans notre démarche d’écriture, on se complète et cela fonctionne bien.

Hexagone : Je t’ai vue plusieurs fois au festival de théâtre de rue d’Aurillac avec un duo : Les Enculettes. Que peux-tu nous en dire ? 

Lily : Les Enculettes c’est un autre monde : plutôt celui du théâtre, du théâtre de rue, du clown. La chanson est mise en spectacle, on la décale. Le spectacle a pour titre Chantons à sexe. On le tourne depuis une dizaine d’années. C’est pour moi, comme une espèce de soupape, un exutoire. Dans Les Enculettes, on se moque, avec bienveillance, de la démarche de l’artiste qui vient chanter sur scène. Je me sers énormément dans mon solo de ce que j’apprends dans mon travail de clown. Les deux s’auto-alimentent. Et je vais continuer Les Enculettes : en ce moment nous somme sur la création d’un nouveau spectacle.

Hexagone : On a vu hier soir que, dans ton spectacle solo, tu joues de ce qui se passe dans la salle avec une belle interaction avec le public. C’est ce que tu appelles le travail de clown ? 

Lily : Oui. Par clown, je ne parle pas du personnage avec son nez rouge et ses cheveux frisés bleus. J’évoque une discipline particulière de théâtre qui prend en compte une forte écoute du public, de ce qui se passe dans la salle, sur scène et « dans l’acteur » … Et chaque soir, je profite de ce qui se passe de particulier pendant le concert pour l’intégrer au spectacle.

© Lily Luca

Hexagone : Dans l’oreillette, on me dit que tu animes aussi une scène ouverte à Lyon. Tu confirmes ?

Lily : Oui, elle s’appelle La confiture acoustique et a lieu chaque premier jeudi du mois, depuis plus de douze ans. Une scène ouverte propose des conditions « professionnelles » aux artistes : une scène, des lumières, un public qui écoute vraiment. J’apprécie beaucoup d’une part la variété du public et d’autre part le non clivage entre «professionnel» et «amateur». C’est un petit espace où le pro peut venir faire sa pub ou faire une nouvelle chanson sans pression, et où l’«amateur» (ou l’artiste débutant) peut chanter devant un public. C’est tellement varié. C’est magique. En plus c’est grâce à une scène ouverte que j’ai démarré, alors en organiser une maintenant, c’est un peu ma façon de dire merci!

Hexagone : Tu ne nous as pas encore évoqué la Lily dessinatrice et illustratrice. 

Lily : J’ai tenu un blog de bande-dessinée pendant quatre ans qui depuis quelques mois est en pause. Mais ça fait partie de ma vie, oui ! J’ai besoin de m’exprimer par le dessin. J’illustre et je fais le graphisme de tous mes albums. Je travaille aussi sur ceux des autres, par exemple j’ai illustré le livre-disque jeune public de Presque Oui : Icibalao. Tiens, pour ton information, je connais assez bien Toulouse car j’y ai passé l’année scolaire 1999-2000 à l’école des Beaux-Arts.

Hexagone : On vient de citer pas mal d’activités artistiques. En exerces-tu une autre que je ne connais pas ?

Lily : Oui, je fais du strip-tease dans un club sadomasochiste japonais. Mais c’est intime, je compte sur toi pour ne pas en parler – rires – Et je tricote de temps en temps.

Hexagone : Tu fais partie des artistes qui vont souvent voir les autres en concert, on te voit souvent à Barjac, on t’a vu cette année au Printival à Pézenas. 

Lily : Oui, j’aime cela. Et curieusement, mes idées de chansons me viennent parfois pendant les concerts des autres. Des associations d’idées arrivent en écoutant une chanson qui pourtant n’a rien à voir avec celle que j’écrirai : si la chanson me touche, ça peut faire bouger quelque chose en moi et semer une petite graine créative.

Hexagone : On t’entend souvent aussi faire des reprises, comme dans le spectacle Tout contre elles l’an passé, ou lors d’après concerts. Là aussi, c’est un plaisir ?

© David Desreumaux

Lily : Je me considère autant comme interprète qu’auteur-compositeur. J’aime l’idée d’être une passeuse vivante de chansons que ce soit d’artistes morts, vivants, jeunes ou peu connus. J’ai chanté plus de dix ans au sein au sein du choeur « Les clés à molette », mené par Elisabeth Ponseau. Excellente professeur d’interprétation,elle m’a transmis la passion d’interpréter les chansons de qui qu’elles soient, de se les approprier et de les recréer. Par exemple, je chante Ricet Barrier que j’apprécie beaucoup. C’est d’ailleurs un grand regret de ne pas l’avoir vu en scène. Mon titre La petite goutte et son clip sont en référence à sa chanson Les spermatozoïdes.

Hexagone : Et tes projets pour 2019 ?

Lily : Je suis en train de préparer mon nouvel album. Je vais travailler comme pour le précédent avec Fred Thomas. Probablement avec une esthétique différente, un retour vers un peu plus d’acoustique. Il sera plus sobre, plus sombre que le précédent… ça sera mon  « Dark album ! »  Il est prévu pour l’été ou en septembre 2019. Le spectacle issu de l’album se fera en solo.

En 2019, on fera aussi une nouvelle tournée avec Reno Bistan en mars.

Hexagone : Veux-tu ajouter autre chose ?

Lily : Oui, une petite dédicace à Marion qui m’a accueillie chez elle cette semaine : « J’aurai ma revanche au Scrabble !« 


Lily Luca : du 23 au 27 Octobre en apéro concert au Théâtre du Grand Rond. Compte-rendu du concert du 24 et de l’entretien du 26. Photo de une © David Desreumaux

Prochaines dates : le 9 décembre au Forum Léo Ferré  : Montcuq à Ivry avec Jean-Michel Piton, Wally et Michel Boutet. Le 19 janvier 2019 à l’Annexe à Ivry.

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