Isabelle Bazin travaille depuis plus de 20 ans dans le monde des musiques traditionnelles. Elle y serait plutôt sur le mode « néo-trad » qui depuis 10 ans donne une nouvelle jeunesse aux musiques folk un peu partout en Europe. Isabelle compose ses musiques et elle a réalisé en 2014 un album de chansons françaises résolument contemporaines sans renier sa filiation avec le trad. Elle va présenter ce travail à Lyon le 22 janvier, invitée à la salle des Rancy par Christine Azoulay. Isabelle est déterminée à franchir les barrières qui imposent aux artistes de rester dans les cases où on aurait tendance à les enfermer. Elle rêve d’une musique sans frontières qui se chante ou qui se danse. Elle cherche un public ouvert et enthousiaste pour l’accompagner dans cette belle aventure.
Hexagone : Après plus de 20 ans de parcours dans les musiques traditionnelles comment es-tu arrivée à la chanson française ?
Isabelle Bazin : Cela fait plus de 20 ans que je travaille dans le secteur des musiques traditionnelles. Mais je joue aussi dans d’autres réseaux artistiques, depuis 10 ans avec une conteuse qui s’appelle Françoise Barret ; dans le milieu du théâtre, et celui de la danse contemporaine, dans des milieux spécialisés tels que l’hôpital psychiatrique. Je suis aussi clown à l’hôpital au sein de Vivre aux Éclats. Bref, une touche à tout incurable ! Cela faisait longtemps que j’avais envie de me plonger dans un travail plus personnel et c’est le résultat d’un long cheminement que je vais présenter cette semaine à la salle des Rancy. Je l’ai commencé avec le trio Les Sylvaines, que j’avais fondé en 1994, pour faire de la chanson à plusieurs voix avec 2 autres musiciennes multi-instrumentistes avec qui je partageais une envie d’écrire et de composer. C’était un trio plus spectaculaire et ludique que concertant. J’ai quitté ce groupe en 2002. J’avais fondé en 1996 un duo, D’Accord Léon, avec Claude Seychal, duo avec lequel j’ai fait beaucoup de bals folk. En 2006 nous avons élaboré un spectacle de chansons écrites et composées par nous deux, qui s’appelait Les Léonnes. Puis ce duo s’est arrêté en 2010.
Hexagone : Tu es accordéoniste et tu composes toi-même tes musiques ?
Isabelle : Je joue de l’accordéon diatonique et mon répertoire est principalement basé sur mes compositions. Je ne me suis jamais plongée dans un répertoire de musiques traditionnelles, du type musique irlandaise ou bretonne. Ça ne m’intéressait pas et j’avais envie d’écrire ma propre musique. Je me sentais harmoniquement étriquée dans ce répertoire traditionnel, tout en appréciant aussi cette modalité, mais j’avais envie d’autres chemins harmoniques. Le monde du folk est maintenant très ouvert. Il y a toute une mouvance qui s’appelle le « néo-trad » qui est une vraie déferlante depuis une dizaine d’année. Un bel exemple : le site Boom Bal en Belgique qui touche beaucoup de jeunes entre 18 et 25 ans et c’est pareil en France où la moyenne d’âge des bals folk a chuté énormément.
Hexagone : Comment as-tu construit ton projet de chansons françaises ?
Isabelle : Depuis 2011 j’ai arrêté plusieurs activités et je me suis concentrée sur mon propre projet. J’ai sorti 2 albums : D’ombres… en 2012 et Et De Lumière ! en 2014. Le premier est un solo d’accordéon avec des compositions exclusivement instrumentales. Sur le second, j’ai invité d’autres musiciens et chaque chanson est accompagnée par une formation différente. Il n’y a que des chansons et toutes ne sont pas composées par moi. J’ai écrit moi-même les arrangements. Pour le spectacle des Rancy, l’écriture est différente. Le travail a été plus collégial et j’ai commandé certains arrangements à d’autres musiciens. Aucun de ces musiciens n’est issu des musiques traditionnelles même si Marie Mazille et Stéphane Arbon ont un contact fréquent avec ces musiques. Marie a longtemps accompagné des artistes dans le milieu de la chanson comme Gérard Pierron ou Henri Courseaux et a joué dans plusieurs groupes de musiques traditionnelles. Avec Stéphane et Marie nous avons aussi un trio de musique pour les bals folk.
Hexagone : Il y a beaucoup de sonorités électro sur ton album de chansons
Isabelle : J’ai rencontré une perle rare. C’est Sylvain Berger que j’ai vu un jour sur scène au Polaris à Corbas avec ses claviers. Je cherchais quelque chose de fin, subtil, musical, pas de l’électro pur et dur. Sylvain a tout de suite compris ce qu’il pouvait apporter à mon univers, et ses notes subliment chaque chanson ! Comme il est aussi vidéaste, il a fait des petits teasers et un clip sorti en octobre 2015 pour la chanson À la dérive. Marie Mazille qui est multi-instrumentiste joue de la clarinette, la clarinette basse et du nyckelharpa, vielle à archet suédoise. Stéphane Arbon, qui est issu du monde du jazz et des musiques improvisées joue de la contrebasse. Ce sont des univers très différents qui se rencontrent. Le 22 janvier aux Rancy, nous allons profiter du concert pour enregistrer un album live, après les 3 jours de résidence qui le précéderont.
Hexagone : Ta musique est très contemporaine et tes textes sont plus proches de la musique traditionnelle.
Isabelle : Certaines de mes chansons sont de facture traditionnelle car j’ai envie d’affirmer cette filiation. Et ces paroles écrites sur le mode traditionnel racontent les mêmes histoires, les mêmes peines, désirs et aspirations qu’il y a 100 ans et que dans 100 ans peut-être. Ce que j’aime beaucoup dans la chanson traditionnelle c’est toute l’imagerie et tout l’imaginaire qui s’en dégage. On y dit une chose sans la dire tout à fait par le truchement d’objets, d’animaux. On ne dit pas directement et crûment ce qu’on a à dire. Tout y est symbolique et subtil, malgré l’image « gros sabots » que l’on prête souvent à cette esthétique. Au contraire, la poésie se cache pour moi entre les lignes. Dans la chanson française, on se raconte peut-être plus directement. Mais dans le fond, je ne raconte que ma vie avec un voile de pudeur et ensuite, chacun se tricote l’histoire qu’il veut à l’endroit qui le touche.
Hexagone : Tes chansons ne s’inscrivent pas tellement dans l’actualité.
Isabelle : Mes textes ne renvoient pas du tout à l’actualité car, ça je ne sais pas le faire. C’est trop concret. Même si je suis très touchée par tout ce qui se passe au niveau politique au sens le plus large du terme. Mais suite aux attentats de novembre, j’ai jeté des bribes de texte par écrit. Je ne suis pas une chanteuse engagée mais je me sens très engagée par ce que je dis. L’univers que je fais affleurer est très engageant et dévoilant pour qui veut bien écouter. Et par exemple la chanson Le Luneux que j’emprunte avec bonheur à Malicorne, n’est autre qu’une chanson sur la décroissance !
Hexagone : Quelle est la prochaine étape pour ton projet ?
Isabelle : Pour le moment nous avons un gros travail de communication à mettre en place pour faire connaitre ce tour de chant dans le milieu de la chanson. Ce qui n’est pas gagné, malgré mon expérience de scène et bien que le premier album D’ombres… ait été chroniqué en 2012 dans Télérama, et que le second Et De Lumière ! ait été cité dans le bel article que François Gorin m’a consacré dans Télérama également, en janvier 2015. Les réseaux sont toujours extrêmement hermétiques. Personne ne connait les musiciens de jazz dans le milieu classique, personne ne connait les chanteurs de salsa dans le milieu des joueurs de tango… Et dans le milieu de la chanson, personne ne me connaît encore ! Mais ça ne va pas durer !!!
Isabelle Bazin Quartet en concert à la Maison Pour Tous – Salle des Rancy
Vendredi 22 janvier à 20h30
249 rue Vendôme 69003 Lyon
04 78 60 64 01 / maisonpourtous@salledesrancy.com
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