Yves Jamait : Fonds populaire

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Yves Jamait et sa joyeuse clique balancent avec une énergie hors du commun des rengaines réalistes, d’amours, de bars et de déboires sur fond de swing-musette aux accents populaires. La voix est puissante, rauque et attachante. « De verre en vers », le Dijonnais conquiert un public séduit par l’authenticité du personnage.

De l’usine à la scène
« J’ai arrêté mes études à 13/14 ans en cinquième, ensuite on m’a envoyé en CET de cuistot. Je me suis fait virer par manque d’assiduité et je suis entré en apprentissage de cuisine. J’ai été apprenti un an puis j’ai fait une fugue » récite Yves Jamait, roué – à son propre étonnement – aux interviews depuis qu’un succès relatif, mais mérité, lui tombe dessus.

Photo Youri Lenquette
Photo Youri Lenquette

Enfant de prolo de la région de Dijon à laquelle il reste fidèle, élevé par sa mère, le monde ouvrier, Jamait ça le connaît ! Et pour cause, il est né dedans, il y a bossé 40 ans comme il dit car « quand tu nais prolo, t’es ouvrier à la naissance. » Alors, vous pensez bien que lorsqu’il parle de sa profession de « chanteur sur le tard », son rêve de gosse, il en a l’émotion au bout de la langue, et il se raconte avec une pudeur ouvrière, la flamme pétillante au fond des yeux. Il se livre, volubile, attachant, d’une belle tendresse sincère. Il raconte ses années de galère, ses petits boulots de manœuvre, manutentionnaire, cuisinier, ouvrier à l’usine, alternés par des périodes de chômage bien alcoolisées.
Il parle de sa passion pour la chanson, pour la variétoche quand il était minot, de son premier 45 tours de Sacha Distel qu’il a acheté avec ses premiers sous. Il parle de Cloclo, de Johnny dont il connaît des dizaines de chansons par cœur.  « C’est de la chanson populaire, c’est de là que je viens, c’était normal d’aimer ça ».
C’est à l’âge de 15 ans, qu’il commence à écrire les siennes de chansons. Embauché en tant qu’aide-cuisinier dans une colo, il découvre à la fois Maxime Le Forestier et les rudiments de la guitare. Sans fausse modestie, il raconte « la calotte » qu’il a prise en même temps qu’il dresse un constat. « J’ai constaté que j’étais con, que je ne connaissais rien. C’est un constat qui est assez douloureux. Après la colo, j’ai acheté les disques de Maxime Le Forestier. Et là, je me suis procuré un dico et j’ai commencé à décortiquer ses disques. Quand il parlait de Prévert, j’allais acheter un Prévert et j’essayais de comprendre. »
Depuis toujours enragé par ses difficultés d’écriture, c’est la découverte de Renaud qui va faire tomber le complexe de Jamait. « Ca paraissait tellement simple alors que ça ne l’est pas du tout. Le Forestier était plus littéraire, inaccessible. » raconte-t-il aujourd’hui.
Vers 20 ans, il crée un groupe éphémère, L’Adam de sagesse, dont l’existence durera le temps d’un concert avant d’être rattrapé par son envie « de déconner, de picoler, de traîner les bistrots ». S’ensuivent des années difficiles de dérive, de pessimisme où l’alcool tient une place omniprésente.
Galvanisé par la naissance de son fils au début des années 90, Jamait décide de changer de vie. Toujours ouvrier à l’usine, il rencontre un musicien et crée, en 1997, un trio au nom sans équivoque, De verre en vers. La bande tourne dans la région dijonnaise, acquiert un public de plus en plus large si bien que l’aventure se ponctue par la réalisation de l’album autoproduit, De verre en vers, financé avec la prime de licenciement de Jamait.

Une culture du quotidien
Sur l’album, paru en 2001, figure tout l’univers de Jamait, sa mythologie. Amours, amitiés, alcool. Des rengaines de bars, de boire et de déboires. Des amours bien troussées ou détroussées comme le superbe Dimanche, sorte d’appel au secours poignant et urgent, « Et toujours la marche funèbre / De cette semaine qui crève / A cette détresse une trêve / Poser ma bouche sur tes lèvres / Caresse-moi caresse-moi / J’ai le ventre gonflé de larmes / Ce soir la vie me rétame / Caresse-moi caresse-moi ».

Photo Youri Lenquette
Photo Youri Lenquette

Jamait nous fait visiter son monde, chante ce qu’il connaît, d’où il vient, ce qu’il a vécu. Avouant ne pas avoir de notion de la chanson sans la pensée populaire, il livre une poétique des bistrots – lieu populaire par excellence – fort imagée, fort alcoolisée par la force des choses. « Autour d’un verre, je me suis aperçu qu’il se passait plein de choses. Les vies se passent autour des verres. J’ai picolé comme un sac mais qu’est ce que j’ai rencontré comme amitié, comme bonheur, comme détresse et comme malheur aussi dans les bars » confie-t-il avant d’ajouter qu’il a  « passé 20 ans de [sa] vie dans les bars, dans [son] milieu prolo. Ca faisait pratiquement parti du fonctionnement d’un homme normal de faire les bars. Quoi qu’on en dise aujourd’hui, que soit bien ou pas, trouvons autre chose pour faire vivre mieux les gens. Le seul moyen d’enlever le verre aux gens, c’est de leur faire vivre une vie meilleure. »
Alors que l’artiste qu’est Jamait se défend d’être engagé, l’homme, lui, l’est assurément. « On a ses colères » lâche-t-il timidement en évoquant Y en a qui, chanson « d’humeur » écrite alors que son auteur pointait encore à l’usine. Chanson reprise pour le plus grand plaisir de Jamait au cours de manifestations à Dijon et qui sans prendre de pincettes affirme que  « Y en a qui seront jamais dans la merde / Y en a qu’auront jamais de problème / et ce sont souvent ceux-là même / Qui nous dirigent et qui nous gouvernent ».
Si cet admirateur de feu Cavanna et (feu) Philippe Val considère que l’engagement est une chose difficile, qu’il pense ne pas être capable et ne souhaite pas être un porte-parole, il reste cependant que les chansons de Jamait tiennent l’audacieux pari de peindre des images de la société, de certains pans de cette société, sans donner de leçons ni entrer dans une contestation ridicule.

Un bœuf bourguignon
Comme sa poésie est profondément ancrée dans ses origines ouvrières, il en va de même avec le style vestimentaire du chanteur. En souvenir du front populaire, des ouvriers qui se sont battus, Jamait le bourguignon a des allures de titi parisien en arborant fièrement – et en toute légitimité – sa casquette de gavroche qu’il porte depuis 30 ans. Depuis que ces potes du groupe lui ont demandé de la mettre sur scène, il ne la quitte plus, à la scène comme à la ville.

Photo Youri Lenquette
Photo Youri Lenquette

Chez Jamait, on sent une urgence à donner de l’émotion brute, que ça fasse rire, que ça fasse pleurer, que ça fasse lever le point, Jamait va chercher au plus loin des sentiments et distribue avec une générosité authentique. Ce gars-là donne sans compter, distribue par le biais de sa voix rauque, chaude, poignante et écorchée une énergie décapante. Depuis plus de 15 ans, Yves Jamait a inscrit un nombre impressionnant de concerts à son actif. Les prestations scéniques du bourguignon sont impressionnantes de vitalité, de sincérité. Il y fleure bon l’amour, l’amitié, la fraternité. On en sort avec l’envie de s’en jeter un petit au « bar de l’univers ». Histoire d’y refaire le monde en moins moche, le verre et le verbe heureux de savoir qu’un certain Yves Jamait, fier et respectueux de ses origines, restitue à la culture populaire ses plus belles lettres de noblesse. Avec la plus touchante humilité.

Photo de une : Jean-Baptiste Millot

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