Xavier Plumas, Steppe by steppe

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Xavier Plumas ©David Desreumaux - Utilisation interdite sans l'autorisation de l'auteur

En parallèle de Tue-Loup qu’il a fondé avec Thierry Plouze en 1995, Xavier Plumas a entamé depuis 2009 une carrière en son nom. Pour autant il serait faux de dire qu’il poursuit une carrière solo, car il aime s’entourer afin de proposer des lieux de création collective. Ayant d’abord évolué dans un milieu pop rock à la fin du siècle dernier, Xavier Plumas a eu à cœur, au fil de ses parutions, d’inviter les saveurs musicales du monde. Dans son quatrième album, Rose-amère, il convoque les sonorités malgaches, le créole et la poésie de William Blake. Cinéphile, lecteur de littérature contemporaine, explorateur de la diversité qu’offre la création, arpenteur des chemins de campagne, Xavier Plumas, implanté dans la Sarthe, s’autorise à aller où bon lui semble.

Pourrais-tu raconter la genèse de Tue-Loup à nos lecteurs ?

Jeune adulte, j’ai vécu plus d’un an à San Francisco. Frédéric Testu, décédé cet automne en même temps que Jean-Gilles Badaire — ce sont les deux personnes auxquelles je dédie Rose-amère —, était un très bon ami. Or le père de Frédéric m’avait assuré que pour réussir dans la musique, il me fallait apprendre l’anglais et il m’a payé un billet d’avion pour que je rejoigne son fils à San Franscisco. J’y suis parti dans la semaine. Pour payer mon loyer, je jouais dans la rue, et ce tous les jours. Quand je suis rentré — chez mes parents, à Dollon —, je ne savais pas trop ce que j’allais faire mais j’avais acquis cette expérience.

Mon frère me présente alors Thierry Plouze, qui est guitariste. Je me suis installé au Mans puis, avec le bassiste et le batteur, nous avons démarré Tue-Loup. Le nom est tiré du lieu-dit où habite Thierry et où nous avons enregistré en deux jours notre premier album, Les sardines. Cet album n’a pas été diffusé, mais je l’ai envoyé aux Inrockuptibles, le seul magazine que je lisais, et à Pias, le seul label que je connaissais parce qu’il importait toute la musique indépendante que j’écoutais. Les Inrocks ont chroniqué le disque en s’amusant du fait qu’ils ignoraient totalement d’où il venait, et dans la semaine Pias m’appelait. Après ce premier album, nous en avons enregistré un second, qui nous a pris nettement plus de temps — quatre jours. (Rires.) Cet album est devenu le premier album officiel de Tue-Loup, La bancale, en 1998.

La remarque des Inrocks est intéressante car tout compte fait, ne pas diffuser de photos de vous, en tout cas sur les pochettes, c’est quelque chose que vous avez gardé.

À part pour mon premier album solo en 2009, La gueule du cougouar, illustré par un portrait de moi par Jérôme Sevrette, c’est vrai qu’on ne voit pas nos têtes. Comme amateur de musique, j’aime les disques mystérieux, et j’aurais même préféré être représenté de dos sur ce premier album solo.

Le nom de « Tue-Loup », sans photo des membres qui le composent, n’a-t-il pas donné lieu à des malentendus ?

C’est véritablement un toponyme. Mais Thierry a dit pour blaguer que c’était le dernier lieu où un loup avait été tué dans la Sarthe, et c’est resté. Ce qui est totalement faux. « Tue-loup » est le nom courant de l’aconit tue-loup, une plante vénéneuse. Dans la région beaucoup de noms font référence aux loups. Un autre malentendu a été de croire que nous y vivions en communauté, ce qui n’a jamais été le cas.

Après Pias, vous signez avec Le Village Vert : deux maisons de disque qui diffusent de la pop française.

Nous avions signé chez Pias pour trois albums, et le discours voulait que cette maison de disque indépendante défende la liberté artistique absolue. Grâce à Yves Lecarpentier, le directeur artistique qui nous a fait signer, nous avons pu enregistrer La belle inutile, le deuxième album, à Marrakech, dans un riad où le matériel avait été apporté par des ânes. Mais pour le troisième, Penya, j’avais pris une direction musicale radicalement différente, en invitant notamment un pianiste de jazz. Pias a refusé de le sortir arguant qu’il ne contenait pas de titre défendable en radio. Nous étions jeunes et impétueux et nous avons claqué la porte, pensant retrouver facilement un label puisque ça marchait bien pour nous. Ça n’a pas été si facile, et seul Le Village Vert nous a fait confiance. Mais l’histoire s’est répétée avec cette maison de disque, encore plus indépendante et confidentielle que Pias. Ils ont fait paraître en 2004 Tout nu, un album de reprises, mais l’année suivante ont refusé Rachel au rocher — paru finalement chez Naïve — au prétexte qu’il ne contenait pas de single.

Aux commencements de Tue-Loup, la presse parle de rock littéraire, fait référence à Noir Désir. Te reconnaissais-tu dans la manière dont a été perçu Tue-Loup ?

Pas vraiment pour Noir Désir, mais je reconnais volontiers l’influence de Jean-Louis Murat qui a aussi été avancée. Stéphane Deschamps, des Inrocks, pour notre première chronique avait mis en exergue : « Tue-Loup chante comme Murat et joue comme Swell » et ça me convenait tout à fait — j’adorais bien évidemment ce groupe de San Francisco !

On lit aussi volontiers que tu es un amoureux des mots. Comment s’est faite la distribution des rôles dans le groupe ?

J’ai toujours aimé lire et j’avais déjà quelques chansons lorsque je suis allé à la rencontre de Thierry. Mon idéal aurait été d’atteindre une forme de création collective où chacun apporte quelque chose à tour de rôle, mais ça ne se passe finalement jamais comme ça : pour mettre un album en route, j’arrive avec une poignée de chansons. Éric Doboka, excellent compositeur, ainsi que Thierry, considèrent que c’est mon rôle, mon initiative.

Ce qui fait qu’il y a peu de différences entre Tue-Loup et Xavier Plumas, car Éric et Thierry participent aux deux projets.

Dans les albums en mon nom j’invite d’autres artistes, mais il est vrai que les membres de Tue-Loup participent également.

Entre Tue-Loup et Xavier Plumas, tu viens donc de faire paraître ton seizième album…

Dix-septième, parce qu’en 2005 j’ai fait paraître un album sous le nom de Fulbert, Les anges à la sieste, ma première escapade hors Tue-Loup.

Que représente ce dix-septième ?

Je ne raisonne pas de cette manière. Ce qui m’intéresse et me motive davantage que d’accumuler les albums, c’est le prochain. Les personnes qui suivent l’histoire depuis le début sont assez rares, mais leur présence me touche. Stéphane Herzog, mon ami écrivain, m’assure que j’ai réalisé une œuvre, mais je n’ai pas cette vision.

Xavier Plumas ©David Desreumaux – Utilisation interdite sans l’autorisation de l’auteur

Parmi les invariants, tu choisis systématiquement des titres d’album qui ne sont ni matriciels (mis à part Total musette) ni ne reprennent le titre d’une chanson. Ils demandent souvent une explication : pour Mayerling par exemple, paru en 2018, c’est la marque de la montre de ton grand-père.

Ça tient de la volonté de proposer un projet global. Il ne s’agit pas de concept-albums comme ça se voyait dans les années 70, pour autant ça s’en approche : l’album représente une période de ma vie et il se construit dans une forme de cohérence et par accumulation. J’y développe un son singulier qui tient au lieu, à l’enregistrement live… Le titre de l’album raconte ce moment singulier.

Pourquoi, en 2009, un premier album de Xavier Plumas ?

Raphaël Montet, que j’avais rencontré chez Pias et avec lequel je suis devenu ami, m’avait offert de produire personnellement le premier album que je ferais, enregistré par Gilles Martin, uniquement parce qu’il souhaitait entendre un album de Xavier Plumas ! Ce n’était pas mon initiative, mais ça ne se refuse pas. En définitive, nous avons enregistré en guitare-voix et les trois réalisateurs ont travaillé à distance, ce qui fait que je n’ai pas eu accès à leur travail avant publication. Cette manière de faire est aux antipodes de ce que j’avais fait jusque-là, mais c’était intéressant.

Rose-amère, paru cette année, est un album solo mais est loin d’être un album fait tout seul. Il a été composé durant le confinement…

Il fallait bien s’occuper durant cette période… Je vis en pleine campagne, aussi le confinement n’a pas changé mon quotidien — si ce n’est que plus rien ne se passait professionnellement. J’ai composé ce disque, pensant à l’après. Nous avons donné un concert avec Tue-Loup où nous partagions la scène avec Berikely & Zama, un groupe de musique traditionnelle malgache emmené par Éric Doboka. Ça m’a donné l’envie d’orienter l’album que je venais de composer dans cette direction, avec cette couleur exotique, en invitant certains membres du groupe.

D’ailleurs Tue-Loup est le premier en 2002 à reprendre Rest’ la maloya du Réunionnais Alain Péters, avant Sages comme des Sauvages en 2015 et Moriarty en 2016. Ce goût pour l’exotisme ne date pas d’hier…

C’était pour Penya qui nous a valu de prendre la porte de Pias, et à l’époque Péters venait tout juste d’être réédité en CD. L’Afrique en général me fascine depuis toujours. J’aime la richesse de cette musique parce que je ne la comprends pas : son rythme est différent de la façon dont nous percevons les choses. La version originale de Rest’ la maloya est fluide, mais à l’écouter de plus près, les musiciens ne partagent pas la même pulsation et c’est incroyable !

Rose-amère a été enregistré en prise directe : est-ce à dire que les musiciens improvisent lors de l’enregistrement ?

Avant la prise nous répétons trois fois. Cette fois nous avons décidé non pas d’enregistrer chacun dans une pièce avec des casques, mais de jouer ensemble et de nous écouter. Et l’expérience a été fabuleuse : la fluidité était telle que nous n’avons fait que trois prises par chanson.

La pochette de Rose-amère a été peinte par Agnès Paspire, qui signe aussi un des textes en créole. D’autres collaborations ont été porteuses pour cet album ?

En voyant le groupe Berikely & Zama, j’ai été saisi par les percussions de Bema Ratovondrahery. C’est très rythmé — j’appelle ça de la « techno bio ». (Rires.) Il a été très créatif, comme tous les participants de l’album.

Ramo, titre d’un des albums de Tue-Loup, fait référence au Portugal ; Rose-amère invite le créole ; et la presse régionale aime à rappeler ton appartenance au pays sarthois. Or tu nous as dit y être retourné par hasard. Quel est ton rapport avec ce territoire ?

Je vivais au Mans, J’ai voulu vivre à la campagne lorsque nous avons appris la grossesse de ma compagne. Et par le plus grand des hasards, elle avait des attaches dans mon village d’enfance. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes installés à Dollon. Ce choix influence certainement mon rapport à l’écriture, mais aussi mon rapport au monde en général. Souvent on me parle du fait que mes textes ne sont pas clairs, pas limpides. Je ne savais pas quoi en penser. J’ai été éclairé par la lecture de l’anthropologue Philippe Descola, qui remet en question la frontière entre nature et culture — deux concepts occidentaux qui pour lui sont totalement fabriqués, qui plus est dans leur antinomie. Parler de « nature » c’est s’en exclure. Les civilisations primaires se considèrent comme faisant partie du vivant. Je crois que depuis toujours, c’est la recherche que je mène à travers mes textes afin d’abolir les catégories : je parle des rapports humains au travers de métaphores inspirées par le paysage… et tout se mélange. C’est un imbroglio peu limpide, mais mon but est davantage d’exprimer un rapport au vivant, une humeur, que de raconter une histoire.

Xavier Plumas ©David Desreumaux – Utilisation interdite sans l’autorisation de l’auteur

Cette quête du global — rechercher la création collective, inviter des intervenants… —, c’est aussi quelque chose que tu poursuis dans ta façon de travailler. On le perçoit dans tes influences : tu cites des chanteurs francophones, anglophones, mais aussi toutes sortes d’artistes : Jim Jarmusch, Ingmar Bergman, Egon Schiele, Julien Gracq, Jack Kerouac, Blaise Cendrars, Jean-Loup Trassard, Claude Louis-Combet… Ces influences multiples se manifestent aussi dans le choix du titre : Rose-amère.

Il s’agit d’une référence au Mont Analogue de René Daumal, un ouvrage inachevé qui s’arrête au milieu d’une phrase, un roman d’aventures imaginaires, voire fantastiques. Il se déroule dans le monde de l’alpinisme et est techniquement crédible : le mont Analogue serait la montagne la plus haute de la Terre sauf que personne ne l’a jamais vue — c’est une réflexion mystique. Au moment de la conception de l’album, le décès de Jean-Gilles Badaire, qui m’avait fait découvrir ce livre, m’a incité à lui rendre hommage avec ce titre. La rose amère[1] intervient dans un récit inséré dans le roman, où chez un peuple le rite du passage à l’âge adulte consiste à aller cueillir cette rose avec les dents, en altitude, mais sans ressentir la peur. Sans quoi la rose ne se laissera pas cueillir. Celui qui réussit ne pourra plus jamais mentir, parce qu’au moindre mensonge il ressentira une acidité terrible.

Se sentir appartenir à un grand tout fait de connexions permanentes, c’est le contraire du cartésianisme qui stipule que seul l’esprit existe.

J’ai beaucoup lu les auteurs américains qui, à la suite d’Henry David Thoreau et son Walden ou la vie dans les bois — récit d’une année en autonomie —, ont poussé la réflexion de ce rapport au vivant, jusqu’à donner naissance au mouvement beatnik — qui n’est pas à confondre avec celui des hippies — et plus près de nous à l’œuvre de Jim Harrison. C’est une pensée qui réfléchit aux rapports indissociables entre le corps et l’esprit.

L’Occident pense que le siège de la conscience est le cerveau, quand les Asiatiques pensent que chaque cellule y participe. C’est discutable mais ces réflexions me nourrissent. Aujourd’hui les excès du capitalisme nous déconnectent totalement de notre corps. Notre espèce a réussi l’exploit de se dresser sur deux jambes… et nous passons nos journées assis en dépensant de l’argent dans des cours de développement personnel. C’est délirant !

C’est d’ailleurs la marche dans les alentours de ta maison qui t’inspire l’écriture. Rose-amère est né ainsi.

Les autres aussi. Mes deux premiers albums étaient un peu hargneux — j’y déversais une rancœur amoureuse dont j’ai rapidement eu envie de sortir. (Rires.) Ce changement est intervenu avec Penya et m’a été reproché, mais j’écris bien ce que je veux. Je n’avais plus envie de m’enfermer dans la guerre des sexes. Depuis, c’est davantage mon rapport au monde qui m’inspire. La musique a ceci de fabuleux qu’elle exprime une humeur, davantage que du sens.

Parmi tes influences francophones, tu cites dans cet ordre : Barbara, Anne Sylvestre, Nino Ferrer, Gérard Manset, Jean-Louis Murat. On perçoit une progression vers des auteurs qui s’éloignent du sens. Sylvestre et Murat ne jouent pas avec la même boîte à outils poétique.

Les deux participent autant de mon histoire. J’ai énormément écouté Anne Sylvestre lorsque j’étais jeune, puis je m’en suis éloigné, et je l’ai redécouverte. Je trouve son écriture fascinante tout autant que celle de Jean-Louis Murat.

Anne Sylvestre a ce côté cartésien de construire des chansons comme des cathédrales. Jean-Louis Murat explore davantage la sensation.

J’ai un esprit cartésien : j’étais excellent en maths ! Je suis sensible aux constructions d’Anne Sylvestre. Puis j’ai été fasciné par son féminisme que j’ai redécouvert par la suite. Mon esprit cartésien fait que, même si ce n’est pas explicite pour l’auditeur, la construction de mes textes est logique. Pour un peu expliquer les contradictions que j’essaie de résoudre, j’essaie de marier dans un même morceau Bourvil et Mark Hollis, le leader de Talk Talk, dont je considère le dernier album, Laughing stock, comme un chef-d’œuvre absolu.

Parmi tes influences musicales, tu cites Leonard Cohen et Ennio Morricone. En définitive tu veux qu’on ne te refuse aucune porte.

J’essaie moi-même de ne rien me refuser. Ennio Morricone, lui qui a écrit de grandes mélodies, a participé à un mouvement de musique concrète dont le fer de lance était de refuser la mélodie. Nous sommes tous multiples !

Claude Louis-Combet est l’auteur dont tu as, dis-tu, le plus offert de livres, avec Visitations.

J’aime son style indescriptible. Quant au sujet, il réécrit les mythes d’un point de vue intérieur en exprimant les pulsions sexuelles qui animent les esprits féminins, avec un regard un peu psychanalytique. Je trouve fascinant qu’il se projette ainsi. Visitations interroge la psyché de grandes figures mythologiques en commençant par Marie.

Tu apprécies Jean-Loup Trassard, « écrivain de l’agriculture »… Tu apprécies davantage les auteurs contemporains que les classiques ?

J’apprécie aussi Julien Gracq, qui est un grand styliste. J’essaie d’exprimer un rapport au monde et un sentiment d’appartenance à un tout, et quand je rencontre un auteur qui parvient à rendre ce rapport concret, cela me fascine.

Comment procèdes-tu pour écrire ?

La pratique de la musique est quotidienne tandis que l’écriture est aléatoire. Les idées me viennent en marchant, je reformule, et arrivé chez moi je note la forme que ça a pris — qui est loin d’être aboutie. Le mouvement m’est nécessaire, c’est certain.

Tu n’as pas écrit uniquement des chansons : en 2007, tu as publié Gilbert ou la musique...

C’était dans le cadre d’une collection, à l’initiative de Sonia Bricout, du groupe Superflu. La commande adressée à des auteurs-compositeurs-interprètes était d’écrire un texte pour raconter leur métier. J’ai utilisé le personnage de Gilbert, mon voisin paysan à la retraite. Il possédait une sagesse innée avec des formules définitives et profondes. Je l’ai fait intervenir pour ne pas tenir seul le propos.

Xavier Plumas ©David Desreumaux – Utilisation interdite sans l’autorisation de l’auteur

Pourrais-tu nous raconter ton expérience d’écriture avec Alain Bashung ? Il lui avait été proposé anonymement des textes, et il en avait retenu certains, dont le tien. Il avait commencé à les enregistrer, puis finalement a collaboré avec Gaëtan Roussel pour l’album Bleu pétrole. Ces enregistrements ont tout de même paru à titre posthume, ce qui fait que ton travail figure dans En amont.

Sylvain Taillet, le directeur artistique de Barclay, avait demandé à Dominique A, Miossec et d’autres d’écrire plusieurs textes afin de les proposer à l’aveugle à Bashung. Mon texte est resté dans le lot. Avant que le projet soit abandonné, j’ai passé une petite semaine aux Studios ICP, à Bruxelles, et j’ai trouvé ces jours peu productifs. Bashung était très sympathique et intéressant, mais connaissant le tarif de location de deux mille euros par jour, j’étais très mal à l’aise — c’est quasiment le budget que je consacre à un album. Ils avaient loué trois semaines pour ne faire que des expérimentations.

Avant cela, Bashung a demandé que tes textes soient modifiés…

Effectivement, par échanges téléphoniques. Il sélectionnait des parties de mes textes qu’il me renvoyait par courrier, puis me téléphonait. Parfois il prenait quatre phrases de l’un, quatre de l’autre et les réunissait. Il percevait bien les choses parce que je me suis rendu compte qu’il prenait les quatre phrases sans lesquelles le reste du texte était inutilisable : il repérait le cœur de la chanson. L’association des deux donnait ensuite une autre chanson, et il me demandait de développer ce nouveau texte. Puis ça recommençait. À la fin, sans qu’il ait réellement écrit, ça donnait des choses très intéressantes.

C’était très contraignant.

Oui, mais j’étais très excité à l’idée qu’un de mes textes soit chanté par Bashung. En fin de compte, il a enregistré quatre de mes chansons dont seulement Un beau déluge figure dans l’album posthume. Je ne sais pas quoi faire de ces trois chansons. Toutefois, lorsqu’a paru En amont, certains se sont étonnés que ma chanson se rapproche de textes publiés en 2009 dans mon premier album. Mais c’est normal : lorsque le projet s’est arrêté sans qu’on nous donne d’explication, j’ai récupéré mes textes avant le travail de réécriture et je les ai enregistrés.

Que dit-on encore de toi qui est faux ?

Quelque chose perdure depuis vingt-cinq ans, qui était vrai pour mes deux premiers albums mais ne l’est plus du tout : le fait que je fasse quelque chose de sombre. Je ne crois pas, voire de moins en moins. Mais l’image reste.

Tu reprends William Blake : les poètes anglais n’ont-ils pas la réputation d’être noirs ?

Je ne trouve pas The tyger[2] sombre. Blake y décrit une fascination pour la puissance créatrice divine. Je ne suis pas croyant, je ne suis pas non plus anticlérical, mais j’aime que Blake, qui lui est croyant, parle de la création sans jamais faire référence à Dieu.

Le prochain album, le dix-huitième, est-il déjà en marche ?

Rose-amère est paru depuis peu, mais il a été enregistré il y a un an et demi. Comme nous fonctionnons en totale indépendance, il faut le temps de s’organiser, trouver les financements, etc. Mais pour ce qui est de la composition, un an est bien suffisant pour concevoir un album : composer dix chansons n’est pas le bout du monde ! Je vois donc plus ou moins à quoi ressemblera le prochain.


[1]     Dite aussi « pervenche de Madagascar ».

[2]     Poème publié en 1794 dans le recueil Songs of experience, mis en musique pour l’album.


Chronique parue dans le numéro 29 de la revue Hexagone

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