Les frères Volovitch, comme tout le monde sont confinés. Pas ensemble donc Frédo et Olivier, déjouant en cela leur belle habitude de donner les interviews en groupe, toujours frangins comme cochons. Pour l’occasion de la parution de leur nouvel album, Avec son frère, c’est Frédo qui se frotte aux questions d’Antoine D’Audigier. Des chansons toujours en prise sur le monde et l’actualité, sans oublier la part du coeur et des sentiments. On les aime pour ça les Volo, et pas qu’un peu !
Il se passe comment, votre confinement ?
Je vais parler pour moi mais, avec mon frangin que j’ai tous les jours au téléphone, on n’est pas loin de vivre la même chose. On n’accuse pas le coup. Tout le spectacle vivant est à l’arrêt et on sait bien qu’il n’y a pas que chez nous : le tourisme, la restauration, l’hôtellerie ou l’aviation… On fait partie d’un pan de l’économie qui ne peut plus travailler. On est bien conscients que le problème est à prendre dans sa globalité, beaucoup plus grave que notre petit cas perso qui va devenir important de toute façon. Il y a énormément de structures qui avaient investi, qui avaient fait des productions et qui se retrouvent avec des trésoreries à zéro. Y’a plus rien qui rentre.
C’est ironique de se retrouver sur le label At(h)ome en période de confinement…
La vache, t’es bon, toi. On n’en a même pas parlé avec le label ni le frangin. On sait bien qu’on est partis, à mon avis, pour un long moment. Je ne crois pas du tout à début mai (l’interview a eu lieu le 2 avril, ndlr), j’ai de gros questionnements sur comment on déconfine sérieusement sans tester. Et si on teste, ça va vraiment mettre du temps . Et les grosses questions d’après : essayer d’utiliser cette catastrophe sanitaire et cet écroulement économique pour redistribuer les cartes. On savait que le système dans lequel on était nous menait droit dans le mur. Faut trouver des courants qui se feront entendre pour défendre nos valeurs, refaire des sociétés autour de l’humain, d’une économie responsable de l’environnement. Ensuite, il va falloir ramener des chaînes de production qui sont pour l’instant basées à l’autre bout du monde sur un principe main d’œuvre moins chère. Sauf qu’à l’autre bout du monde, quand ça bosse plus, t’as plus rien.
J’ai un petit peu l’espoir de réussir à amener mes adversaires – en l’occurrence, les néo-libéraux, les conservateurs, les dominants qui ont bien profité du système d’avant – à les faire venir avec nous dans le sens où ils ne seront pas vexés à cause de sales gauchistes. Ils pourront dire : « C’est à cause du coronavirus qu’on change d’avis, pas à cause de vos théories sur le partage des richesses. » C’est quand même une crise sanitaire où tout le monde est touché. C’est pas parce que t’es millionnaire ou milliardaire que ton gamin ne va pas l’avoir.
En termes d’aperçu pour le changement climatique, l’idée c’est qu’on est quand même tous dans la même merde.
C’est moche. C’est violent. Il faut plusieurs jours à se pincer en se réveillant le matin avec les gamins en se disant : « C’est vraiment ça le monde dans lequel on bascule ? C’est vraiment un monde où on est chez nous ? Si on croise quelqu’un, on change de trottoir ? » On se dit que ce n’est pas pour toute notre vie, qu’on va s’en sortir. Après, les spécialistes en épidémiologie nous expliquent qu’un virus, ça mute, ça revient. J’ai envie de vivre au jour le jour, en solidarité, en écoute, en respect des consignes, on espère se faire entendre.
Quand tu dis se faire entendre, au-delà des chansons – comme par exemple Je me demande quand sur le dernier album – tu agis à côté ?
J’ai une vie militante qui n’est pas réduite à rien mais de là à le dire dans une interview… Je fais mon job, je suis syndiqué à la CGT spectacle, je fais mes manifs, je fais mes actions. J’ai des copains qui sont beaucoup plus investis dans les mouvements de réflexion que moi.
Quand je n’étais que jeune auditeur, je remettais peu en question les textes des artistes que j’écoutais, ce qui m’a fait naturellement pencher vers des valeurs de gauche, écolo, contre les pesticides et le nucléaire.Ce n’est que bien après que j’ai plongé dans ce qu’en disait la science et constaté des divergences. Comment tu abordes ce militantisme en tant qu’artiste ?
Le principe de base, c’est que je fais les chansons que j’ai envie d’écouter. J’ai pas envie d’écrire pour un public seulement pour le garder. J’ai besoin d’aller plus loin que du mielleux. J’ai envie d’interroger les causes et d’aller sur certains terrains. Je m’alimente grâce à des intellectuels, des romanciers, des hommes politiques, des chercheurs, des scientifiques… Des fois, quand j’apprends quelque chose que je trouve très important, si j’arrive à le mettre dans une chanson, je suis content. Le contre-exemple, dans Je me demande quand même, c’est mon petit couplet pour dire tout le soutien qu’on peut se permettre de donner à la Palestine, à Gaza contre la politique de Netanyahu. Ça fait une petite strophe où personne ne va se dire : « De quoi il parle, Fredo ? », ça va pas plus loin que ça mais ça nous fait plaisir d’en reparler. Mais le petit couplet où on explique que, dans le calcul du PIB, nos élites avaient trouvé intéressant de rajouter le trafic de drogue pour ne pas dépasser les 3% de déficit, je trouve ça moins entendu. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de gens qui sont au courant de ça. S’ils le sont, c’est bien, ils feront : « Ah, c’est cool, Volo en parle » et s’ils ne le sont pas, j’espère qu’ils feront : « Mais de quoi ils parlent, Volo, pourquoi ils racontent ça ? Qu’est-ce que ça veut dire ? »
On n’est pas toujours dans la finesse. Sur nos albums précédents on avait notre chanson sur les capitaines d’industrie qui détiennent 99% des médias en France. Et ça c’était suite à différents boulots de Pierre Carles, Les Nouveaux Chiens de Garde d’Halimi, de plein de gens qui bossent dessus. Notre patron de label de l’époque – qui n’est plus le même, ce n’était pas At(h)ome – nous avait dit : « C’est un peu mégalo. » Premièrement, je lui ai dit : « Ben oui, j’ai 2″30 », puis je me suis défendu en disant : « C’est vérifié ce que je raconte. Tu peux chercher, tu verras que je me trompe pas. » Mais, oui, ce n’est pas un bouquin que j’écris, c’est un peu coup de poing. Il y a des choses, ça fait du bien de les dire telles quelles. Notre seule limite, c’est de ne pas tomber dans la facilité et puis d’essayer de faire avancer le débat ou la réflexion. Ne pas dire de conneries, aussi. Surtout ne pas dire de conneries.
Vous êtes un des rares groupes à employer les acronymes qu’on entend dans la vie quotidienne, les GAFA, le SMIC, le Medef… Il y a une volonté de dépeindre un réel précis, temporalisé ?
Oui. Pour la blague, je te dirai que j’ai mon fils aîné de 17 ans qui est en terminale ES, en éco – d’ailleurs, il n’a pas encore compris qu’il n’aurait pas de bac cette année. Je l’aidais sur une copie et je lui dis : « Ça va, tu vois ce que c’est, le SMIC ? » Il me fait : « Ben oui, c’est comme dans votre chanson avec tonton Olive. » Après, ce ne sont pas quatorze chansons sur quatorze qui vont faire référence à des termes d’un quotidien social, économique, administratif…
Souvent, on les reconnaît, il y a un rythme plus agressif, plus d’attaque. On reconnaît la chanson politique de l’album. Même si tout est politique.
C’est pas tout ça mais quand est-ce qu’on baise, c’est pas très politique…
En revanche, ça rentre dans une thématique, avec Histoire sympa, Depuis quand, Avant l’amour, il y a une sorte de romantisme adultérin. Est-ce que l’adultère romantique est un genre que Volo revendique ?
L’adultère romantique, oh la la… Faudrait que je sache ce que ça veut dire. Par contre, c’est vrai que ce ne sera pas la première et ce ne sera pas la dernière chanson qui parle de l’adultère parce que c’est chouette que ça existe. On a le droit, on n’est pas lapidé, on n’est pas assassiné pour ça. La vie de couple nous intéresse vachement, et une fois que tu traites la vie de couple, eh ben il y a des moments où dans la vie de couple, ça ne va pas bien et il y a des moments où on est content d’avoir quelqu’un d’autre. C’est un bon axe, je pourrais faire une chanson sur ces fois-là. On verra.
Mais à la base, ta question, c’est d’inscrire ça dans un temps présent. La réalité sociale ou les termes en tant que tels : oui, tant pis si ça ne veut plus rien dire. Il y a des chansons comme ça qu’on a chantées à des périodes et qui sont trop marquées et qu’on se voit plus chanter. La chanson sur la régulation des marchés financiers qu’on avait faite en 2009, Allez tous vous faire réguler, on nous l’a redemandée en 2015, 2016… Notre refrain faisait « Allez tous vous faire réguler, vous me faites rigoler quand je vous vois paniquer » en parlant des traders ou autres bourses mais, les années passant, on se disait avec le frangin qu’on n’avait plus trop envie de rigoler. Là, pour le coup, la crise était passée : deux millions d’Américains avaient perdu leur maison, le chômage était à 9%… Ça passait pour nous de le dire comme ça à l’époque mais il ne me font plus rigoler.
Il y a des chansons qui ne dépassent pas les 2/3 ans qui entourent sa création. Sauf Le Medef qui est encore là.
Et quand vous évoquez « une marche d’empereur », « les sanglots longs des violons » ou Joséphine de Bashung, des références qu’on comprend naturellement, il y a une volonté de définir un socle commun à tous, une façon de chercher des choses qui nous unissent ?
Sur ces chansons écrites par mon frère, je ne suis pas sûr que c’est ça qui l’ait motivé, je ne peux pas répondre à sa place. Mais d’une manière générale, oui, on n’a pas l’impression que ce qu’on vit – mon frère, moi ou les gens qui sont autour de nous – soit particulièrement original, fabuleux ou dingue à raconter dans une chanson. Ce qui nous plaît, c’est de raconter ce qu’on peut ressortir de tel ou tel événement et ce qui nous fait plaisir, c’est quand des gens nous disent : « Putain, j’ai l’impression que c’est ma vie » ou « Ça me fait penser à moi » ou « C’est comme ça que j’aurais voulu l’écrire ». On a les mêmes vies, on a ce petit passage sur Terre. Comment sublimer telle ou telle histoire, qui sont les histoires de tout le monde ? Les nôtres.
J’ai fait pleurer quelqu’un, il n’y a pas longtemps, en lui faisant écouter C’est pas grand c’qu’on vit. Et j’ai une confidence à te faire : il y a un moment où j’ai arrêté de vous écouter parce que justement ça commençait à ressembler beaucoup à ma vie. Et j’ai eu une espèce de peur de vivre la vie de n’importe qui, donc j’ai claqué la porte pour partir cinq ans autour du monde en stop. J’avais l’impression que la chanson française se mettait beaucoup à faire l’éloge de la normalité, du temps qui passe, des souvenirs. Comme si on devait se résigner à être simple, normal. Est-ce que vous êtes un médicament pour l’accepter, en voir la poésie ?
Super question. En tout cas, je te félicite parce qu’un tour du monde en stop, y’a pas grand monde qui l’a fait. C’est effectivement original, et pourquoi pas un bouquin, hein ? Quand on écrit une chanson, ce qu’on espère, c’est qu’on aura quelques complices. Dans l’album d’avant, je me suis marré, à 41 ans, d’écrire une chanson sur mon premier roulage de pelle à 14 ans, derrière les autos tamponneuses à la campagne. Ça m’est arrivé à 14 ans mais jamais j’aurais pu écrire une chanson. Il faut une trentaine d’années avec du recul pour se regarder jeune ado et avoir toute la hauteur de vue pour replacer ça dans un contexte, un décor, une sensibilité : la fille, les copains, la vie de ce moment-là. Les parents étaient parisiens quand ils étaient adolescents, le côté fête de campagne/roulage de pelle derrière l’église, ce décor-là, ça ne leur a pas parlé en tant que tel mais la façon dont la chanson était amenée, ça, ça leur allait. Puis il y a des copains qui ont vécu la même chose que moi – les appareils dentaires, les langues, les roulages de palots – ça ne les a pas touchés à en pleurer mais ça les a fait marrer, ils s’en sont rappelé grâce à la chanson.
Il y a tellement de détails, on sent tellement les personnages qu’on se demande : est-ce qu’on est face au travail de gens qui arrivent très bien à retranscrire des scènes du quotidien ou est-ce à ce point autobiographique ? On a l’impression d’être complètement avec vous dans vos étapes de vos vies.
En plus on écrit beaucoup avec le je. Et si ce n’est pas notre étape à nous – parce que ça ne peut pas être ça tout le temps, heureusement – ce sont des histoires qui nous sont très proches, générationnelles.
On voit fleurir le phénomène des concerts confinés. Vous, vous vous y êtes mis en alternance avec Olivier. Comment tu les vis ?
Moi, c’est la première fois que je le fais. J’aurais jamais eu cette idée-là avant qu’on rentre dans ce type de nouvelle vie. Avec une demande d’une partie de notre public qui est venu nous écrire en nous demandant : « Quand est-ce que vous faites ça ? ». La culture, c’est dans ces moments-là aussi, voire encore plus, que c’est important et qu’on peut réellement être dans la relation. On va voir, tant qu’il y aura un peu de monde, on va faire ça. Ça nous permet de dire : « C’est chouette, je ne sers pas à rien. »
Le confinement a eu quel effet sur votre nouvel album ? En termes de timing, ç’aurait difficilement pu être pire. À part pour votre chanson Je me demande quand qui parle de la prochaine crise financière et, ça y est.
Elle est déjà dépassée la chanson. En plus, vu le principe de cette chanson catalogue, j’ai dans mes notes des tentatives de strophes sur la pandémie. Et, au bout du compte, dans mon écriture, j’étais là : « Putain, ça va être trop glauque, mon sujet de merde avec le refrain… On va quand même alléger, j’ai qu’à mettre le Qatar et la coupe du monde, c’est plus drôle que la pandémie. » C’est un fou rire pour nous, parce qu’on se revoit en réunion en septembre dernier avec notre label et notre éditeur à pointer du doigt le 13 mars comme bonne journée pour sortir un album. Les questions qu’on se posait c’était : « Ce sera en plein dans les municipales, est-ce que dans les médias, ça marchera ou pas ? », puis on s’est dit : « On s’en fout, il y aura toujours des gens pour parler de culture pendant les élections. » Personne autour de la table n’a levé la main pour dire : « Et s’il y a une pandémie ? »
Là, j’espère qu’on va s’en souvenir si on se sort de cette histoire. Maintenant qu’on est dedans, je découvre que c’est complètement normal que ça arrive parce que ça arrive tout le temps. Pourquoi on était aussi mal préparés ? Et moi le premier, hein. Pourquoi je n’’ai jamais interrogé les hommes politiques : « OK, c’est sympa de parler de la lutte contre le chômage mais en cas de pandémie, tu as prévu quoi ? » Je me mets à la place des épidémiologistes qui, eux, chacun dans leur coin devaient se dire : « C’est bizarre qu’on soit aussi peu prêts. Ça va arriver, ça arrive, et ils parlent des JO, eux ? »
En novembre, je suis allé voir Les Wriggles, dont tu ne fais plus partie, en concert. Le titre de votre album, Avec son frère, a un double sens évident : votre chanson parle des migrants mais sur la pochette, on vous voit front contre front. Est-ce que c’est une façon aussi de dire : « Maintenant, ma place est là, avec Olivier. » ?
Ah, marrant. Pas du tout, quand on a arrêté les Wriggles, on n’était plus que trois, c’était en 2009. Les Wriggles n’existaient plus. J’avais déjà la chance de pouvoir faire Volo sur les quatre années qui ont précédé. Et après, je suis avec le frangin, et avec les Wriggles, pour moi c’était fini, enterré, au revoir. Une dizaine d’années plus tard, trois des anciens camarades nous rappellent : « Nous on voudrait le remonter, est-ce que vous en faites partie ? » Moi, la question ne s’est pas posée, c’était non. C’était un univers que j’avais laissé, j’avais fait ce que j’avais à y faire. Ils font bien ce qu’ils veulent, on en a discuté, j’ai un peu écrit pour eux, on s’est reparlé un peu. Je ne suis pas en réponse avec ce que les Wriggles ont reconstruit. Je continue ma vie avec le frangin. Une contrainte qu’on a avec le frangin pour trouver le titre d’un album c’est qu’il faut que ce soit le titre d’une chanson qui compose notre album. Pour le dernier album, c’était Chanson française. Pour nous, ça tombait bien, parce c’est ce qu’on fait, de la chanson française.
Propos recueillis par Antoine d’Audigier